Du néant - France Catholique
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La justice de Dieu
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Du néant

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Le vieil adage dit : ex nihilo, nihil fit – « du néant, rien n’advient ». Cette affirmation ne peut être « prouvée ». C’est une base, un premier principe. Rien n’est plus clair qui pourrait le rendre encore plus clair. Une « preuve » nécessiterait quelque chose de plus évident que ce principe même. Nous ne pouvons le nier sans, en même temps, l’affirmer implicitement. Si je dis « quelque chose provient de rien » ou « rien provient de quelque chose », je manifeste que je n’ai pas compris ce que « rien » signifie.

Nous ne rencontrons pas « rien » déambulant dans nos rues. Nous rencontrons seulement des choses, celle-ci ou telle autre. La véritable notion de « rien » nécessite que nous sachions préalablement que quelque chose existe. Pour comprendre la signification de « rien », nous devons nier mentalement l’être d’une chose existante. Le concept résultant nous permet d’avoir une notion du néant. Nous ne rencontrons pas réellement un « néant », une nullité peut-être, mais c’est autre chose.

Alors nous demandons : « pourquoi y a-t-il quelque chose et pas simplement rien ? » Nous ne pouvons pas poser cette question et rester entièrement rationnel. Si le néant est ce qu’il dit être étymologiquement, le non-être, nous nous imaginons que l’existant doit procéder d’un autre existant. Ce dernier doit lui-même provenir d’un autre existant ou alors il doit être par lui-même. Un « existant » indépendant devrait être la source de tout ce qui existe. Il serait au coeur de tout ce qui sort du néant.

Il est possible que rien n’existe en dehors de cet « existant indépendant qui n’a pas de cause première ». Le monde que nous connaissons pourrait ne pas exister. Ni le monde, ni nous qui le peuplons et cherchons à le comprendre ne devons obligatoirement exister. Si nous existons tels que nous sommes, c’est en vertu d’une origine qui ne dépend pas de nous. Notre réflexion sur notre existence ne nous conduit pas au néant.

Nous vivons dans une culture qui, sans se contredire, aimerait nier ces implications. Beaucoup aimeraient, lorsqu’ils réfléchissent, un monde issu de « rien ». Cette origine, prétend-on, simplifierait les choses. Nous ne serions responsables que vis-à-vis de nous-mêmes. Nous serions « libres » de toute requête nous demandant d’être autre chose que ce que nous « voulons » être. Cette alternative signifie que nous avons besoin d’affirmer qu’on ne peut rien trouver nécessitant une cause, une explication extérieure.

Derrière de telles réflexions, il y a le soupçon lancinant que nous voulons toujours que soit vraie la proposition : notre origine est dans le néant. Mais si cela est vrai, pourquoi cherchons nous toujours à prouver, au moins à nous-mêmes, que nous ne provenonspas de l’existence elle-même ? Nous voulons jouer sur les deux tableaux. Si nous faisons face au néant, c’est assurément nous, des « non-néants » qui y faisons face.

Dans le dernier livre de la République, Platon évoque l’immortalité de l’âme. La raison qu’il donne est de répondre à la question de savoir si le monde est créé juste ou injuste. Puisque de nombreuses fautes et crimes ne sont pas punis dans cette vie et que de nombreux bienfaits ne sont pas récompensés, il est clair que sans un jugement final, le monde serait injuste.

Si cette constante injustice était, nos actions seraient indifférentes. S’il en était ainsi, les justes comme les injustes finiraient dans le néant. Rien de ce que nous ferions n’aurait d’importance ou même de sens. Mas si nous existons vraiment et si nos actes font une différence fondamentale, alors le néant n’est pas notre terme.

Le néant n’est qu’une tentative désespérée d’éviter de reconnaître ce que nous sommes. Pourquoi devrions-nous nier la nature de l’existence qui nous a été donnée ? L’existence humaine inclut une liberté qui peut rejeter la nature de l’homme. Mais la trajectoire de ce refus ne conduit pas au néant. Elle conduit à une existence éternelle dans un état d’auto-enfermement.

Ce qui est dit de Judas pourrait être dit de quiconque suit la même voie : « il aurait mieux valu qu’il ne soit pas né » (Marc 14:8). Une fois né, le néant n’est plus une alternative, excepté dans une imagination qui préfère le fantasme au réel. Mais celui qui choisit le néant ne retourne pas finalement à « rien ». Une fois que nous sommes conçus et venus à la vie, notre destinée n’est jamais le néant. C’est soit la vie éternelle, soit la damnation éternelle.

Chesterton citait son grand-père disant : « qu’il remercierait Dieu pour son existence même s’il savait être une âme perdue ». L’enfer n’est pas le néant. C’est plutôt un état d’existence qui a préféré le néant à la gloire qui, comme l’existence elle-même, nous est gratuitement offerte. Au commencement, Dieu était libre de ne pas nous créer. Mais une fois des êtres libres venus à la vie, Il n’était pas, malgré Ses efforts, capable d’empêcher aucun d’entre eux de choisir le néant. Il ne pouvait pas nous faire à la fois libres et non-libres, immortels et non-existants.


James V. Schall, S.J., qui a été professeur à l’université de Georgetown durant tente-conq ans, est l’un des écrvains catholiques les plus féconds aux Etats-Unis.

illustration : ceci n’est pas le néant

source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-nothingness.html