De l’abbé Franz Stock à Helmut Kohl, en passant par Konrad Adenauer et le général de Gaulle, la réconciliation franco-allemande aura été une « longue marche ».
Coïncidence ou concordance des temps : ce 18 juin 2017, la cérémonie du souvenir au mont Valérien et le documentaire sur France 2 (émission « Le jour du Seigneur ») sur « la foi du Général » ont suivi les hommages à la mémoire de l’ancien chancelier fédéral Helmut Kohl décédé le 16 juin à l’âge de 87 ans.
Dans l’ordre chronologique, le premier événement fut le 26 mai la sortie en librairie aux éditions du Cerf d’un recueil des écrits inédits 1 de l’aumônier allemand du Mont Valérien, l’abbé Franz Stock (1904-1948). Due à l’initiative conjointe des deux associations, allemande et française, des « amis de Franz Stock », présidée en France par l’ancien ambassadeur Stéphane Chmelewsky, cette publication est absolument terrible. On ne saurait la résumer. Présent à 423 du millier d’exécutions capitales au mont Valérien, à 736 au total – dont 216 anonymes – entre janvier 1942 et août 1944, soit une par jour, l’aumônier allemand les consigne dans son Journal qui restera un témoignage unique de l’horreur et de la dignité, de la foi et de l’espérance. Épuisé, il contribuera de ses dernières forces, jusqu’à sa mort prématurée, à l’œuvre de réconciliation franco-allemande, notamment au « séminaire des barbelés » qu’il anima près de Chartres. L’examen de sa cause en béatification est en cours à Rome.
Le 16 juin disparaissait Helmut Kohl, « l’ami Helmut » comme on dit « l’ami Fritz » (Erckmann-Chatrian), un Rhénan du Palatinat, terre régulièrement dévastée par les troupes d’occupation française depuis le sac mémorable par Louis XIV, alors que la population est culturellement l’une des plus proches de celle de la rive droite. Le Rhin est peut-être une frontière stratégique. Ce ne fut jamais une frontière naturelle. Elle ne l’était pas en tout cas pour Kohl et ses émules qui très tôt déracinaient les panneaux douaniers.
Quand un grand Allemand rencontre un grand Français, ensemble ils peuvent faire de grandes choses. Leur posture même s’agrandit mutuellement. Helmut Kohl a su trouver sur son chemin François Mitterrand. Konrad Adenauer, d’abord Robert Schuman puis Charles de Gaulle. Et réciproquement. L’image des deux premiers se donnant la main à Douaumont le 22 septembre 1984 avait été précédée de celle d’Adenauer et de De Gaulle côte à côte dans leurs prie-Dieu dans la cathédrale de Reims le 8 juillet 1962 (« la foi du Général »).
Rien de tout ceci n’était inscrit dans les astres en août 1944, pas plus la réconciliation, avec les dates symboliques de 1962 et 1984, que la chute du mur de Berlin et la réunification des deux Allemagnes. Au témoignage de Kohl lui-même, pas même à l’automne 1989. On a l’impression aujourd’hui que l’événement était inéluctable, alors que rien n’était moins sûr : non pas l’unification en soi mais qu’elle aurait pu se passer tout autrement, par exemple dans la violence, le chaos, le nationalisme exacerbé. Rien n’était écrit. C’est ici que l’homme d’État se révèle, même dans le cœur d’un politicien de petite bourgeoisie de basse province jusque-là sous-estimé, et qu’il imprime sa marque personnelle sur l’histoire.
« A l’automne 1989, notre progression sur le chemin de l’unité ressemblait au début de la traversée d’une tourbière : nous avions de l’eau jusqu’aux genoux, le brouillard nous empêchait de voir et nous savions seulement que quelque part se trouvait un sentier solide. Nous ignorions où il passait exactement. Nous avancions à tâtons, un pas après l’autre, et nous sommes arrivés sains et saufs de l’autre côté. Sans l’aide de Dieu, nous n’aurions sans doute pas réussi.2 »
J’ai la faiblesse de penser que les prières de Franz Stock à Chartres, de De Gaulle et de Konrad Adenauer à Reims n’y sont pas étrangères.