« En France, on a le droit de critiquer les religions, il n’y a pas de délit de blasphème. » On peut dire que ce genre d’affirmation court en boucle en ce moment dans tous les médias et les réseaux sociaux. C’est suite à l’affaire Mila, du nom d’une jeune fille de 16 ans qui s’est permis d’exprimer des propos peu aimables – c’est le moins que l’on puisse dire – à l’égard de l’islam. Cela lui a valu des menaces de mort et même l’impossibilité d’accéder à son lycée, sa sécurité étant en cause. Ce genre d’incident est déjà caractéristique d’un certain climat moral, mais il s’est trouvé amplifié à la suite d’une déclaration de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui, tout en condamnant les menaces de mort, a néanmoins pris position contre la jeune fille coupable, à son avis, d’insulte à la religion. La ministre est revenue par la suite sur ses propos qui avaient provoqué un véritable charivari. Comment pouvait-on s’opposer à la liberté de critique des religions ? N’était-ce pas revenir à l’ancienne législation contre le blasphème ?
Sur le sujet du blasphème, il y aurait beaucoup à dire. Est-il vraiment sûr qu’aujourd’hui il n’existe plus d’interdits à propos de principes fondamentaux, ceux qui sont à l’origine de notre droit, par exemple ? Les droits de l’homme constituent ainsi le sacré des démocraties modernes et leur déni est redevable de sévères réquisitions. Il en va de même du racisme, des discriminations, et de toutes sortes de phobies qui sont réprimés par la loi. En ce qui concerne la religion, il est vrai qu’il y a un droit de critique qui se réclame des Lumières et de toute une tradition anti-religieuse. Cette critique est-elle toujours pertinente, ne relève-t-elle pas souvent de l’esprit le plus mesquin et le plus étroit ? C’était la conviction d’un Flaubert qui a immortalisé dans Mme Bovary, avec le pharmacien Homais, le type même du rationaliste borné. Reste que la plus large liberté doit être laissée à l’intelligence et à l’échange des idées. Le mieux est quand même que cette liberté serve vraiment l’intelligence et ne se limite pas à brandir des noms d’oiseaux. Quand Emmanuel Macron visite l’école biblique de Jérusalem fondée par les Pères dominicains, il honore une magnifique création française qui témoigne de la plus haute forme de l’érudition et de la critique. C’est tout de même un apport plus judicieux au service de la raison et de la paix sociale.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 3 février 2020.
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