Du bienheureux au déplorable - France Catholique
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La justice de Dieu
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Du bienheureux au déplorable

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La foi ne serait-elle plus ce qu’elle était ? – Je prends un plaisir certain à tenir ce journal, qui n’est après tout qu’une suite de chroniques, avec parfois, au-delà des événements et des réflexions qu’ils m’inspirent, une inspiration tout autre et qui me touche au cœur parce qu’elle me fait entrer en ce qui m’est le plus précieux, en une lumière d’autant plus heureuse pour moi que je sais très bien qu’elle émane de Qui j’aime.
Sans cela, serais-je aussi régulier à me tenir à disposition, non plus de l’écritoire, mais du clavier ? Je ne sais… quoiqu’il m’arrive de trouver à cette liberté un goût d’esclavage, persuadé qu’il faut poursuivre en même temps que je me répète mille fois que c’est vain, stupide, orgueilleux, prétentieux même… sans jamais pour autant parvenir à me persuader d’avoir tort de persévérer.

Alors, plus évidents pour moi ou plus incitatifs, une information, un texte ou une image surviennent soit d’une radio, soit d’un message soit d’un de ces sites arachnéens que je fréquente assidument et qui lance aussitôt mes neurones comme des chiens à la poursuite d’un lièvre ! Ainsi, ce jour, tandis que des événements certainement plus importants devraient solliciter mon attention, je rencontre la colère d’un écrivain de Belgique, Jean-Pierre Snyers … De même, lorsque je me promène dans les environs de notre habitation campagnarde, la vue d’une barrière m’incite soudain à passer dans le champ qu’en principe elle interdit !

Donc, cet écrivain relevant de la foi catholique a fait parvenir à Riposte catholique un article cinglant sur les propos tenus par un prêtre et par un évêque. Il ne nomme pas le prêtre mais Riposte précise qu’il s’agit de « l’abbé Gabriel Ringlet », écrivain et conférencier de grand renom en Belgique mais aussi en France : une dame, ayant assisté à l’une de ses conférences, exprimait en ces termes sa colère de l’avoir entendu : « ’’Si c’est ça que l’Eglise enseigne, j’abandonne’’ ! » On ne saura jamais la nature de l’abandon évoqué…

Ce témoignage, bref mais vif, lui avait été « rapporté par le regretté Monseigneur Dangoisse qui, il est vrai, n’était pas un ‘’fan’’ de ce conférencier en situation de dérapage incontrôlé’’… » Nous ne saurons pas ce qui avait à ce point ulcéré cette dame mais je connais assez de cas semblables pour n’être pas étonné et comprendre le titre donné à cet écho par Riposte : « Autodestruction ! ».

Cependant, Gabriel Ringlet1 étant un conférencier fort réputé, souvent sollicité dans le monde pour parler, sinon de la foi, au moins de tout ce qui tourne plus ou moins autour d’elle, je me suis dit qu’il fallait explorer plus avant : mérite-t-il cet éclat de voix et cette irritation ?

Je suis donc allé sur son site – dont l’aspect à lui seul est indicatif de la réputation dont il jouit. J’ai, il y a trois ans, rencontré ce prêtre lors d’un mini colloque à Bruxelles : m’y avait convié la présidente des Scriptori christiani2, Micheline Poreye, dont le pseudonyme, Luc Norin, est favorablement connu dans le landerneau journalistique belge.

Ayant très jeune décidé d’épouser le métier de journaliste, elle s’était rendu compte qu’il vaudrait mieux qu’elle habille sa féminité d’un costume d’homme : d’où ce pseudonyme… En effet, il était alors mal vu que des femmes investissent la presse… Avec elle il m’arrivait de n’être pas sur la même longueur d’onde dans le domaine de la foi, d’où des discussions merveilleuses et enjouées qui pouvaient se prolonger fort tard. Quelques-unes de ses approches me semble aujourd’hui avoir dû leur tour quelque peu en marge justement au père Ringlet … mais l’essentiel était préservé.

Cette vieille amie, connue en 1958, est aujourd’hui enfoncée dans la plus redoutable épreuve de sa vie et j’en suis à la fois fortement attristé et inquiet : je ne sais même pas où elle a trouvé refuge ! Ni quelles souffrances l’accablent ! Ni quels soubresauts de l’être l’accompagnent dans le parcours abrupt de son passage ! Je crains de n’être jamais informé du jour de son départ vers le Royaume. Il faut que j’écrive à la Libre Belgique où elle était pigiste depuis cinquante ans.

À Bruxelles Gabriel Ringlet ne m’avait pas fait une extraordinaire impression, quoiqu’il s’y soit montré relativement conciliant et brillant. J’ai voulu lui offrir mon livre De l’obscur à l’aurore – j’en avais quelques exemplaires dans ma besace puisque je devais parler plus ou moins de ce rassemblement de tous mes recueils de poèmes, dont deux inédits, l’un, oublié, du début des années 70, l’autre de 2009…, et j’eus au moins cinq minutes pour le faire – mais apparemment il ne tenait pas vraiment à voir l’un ou l’autre des invités qui l’entouraient : il s’ensauva à si grande vitesse que nous fûmes plusieurs à croire qu’il s’était volatilisé… Le chroniqueur de la Libre chargé de rendre compte des ouvrages de poésie accepta l’exemplaire tendu et promit d’écrire sur lui une chronique : je l’attends toujours.

Donc conférencier très prisé ! La spiritualité, sous toutes ses apparences et profondeurs, est son champ de bataille ; les titres de ses interventions en témoignent : « Quelle spiritualité aujourd’hui ? Avec ou sans Dieu » – « Illuminer la pesanteur : spiritualité et imaginaire » – « Oser la gravité chrétienne » – « Osez s’ouvrir quand tout se ferme » – « Quel christianisme pour le XXIe siècle ? » – « Autour du Cantique des cantiques » – « La mort, parlons-en tant qu’il fait beau », etc.

« Quelle spiritualité aujourd’hui ? Avec ou sans Dieu ». Voici son texte de présentation :

« Des artistes, des poètes, des hommes de science, des personnes publiques, nous laissent parfois deviner, en quelques mots, leur monde intérieur. On pressent alors ce qui fait sens pour eux, ce qui les porte dans la vie, ce qui dynamise leur existence. En un mot, leur « spiritualité ». Et on se rend compte que l’aspiration spirituelle déborde largement ce que proposent les religions. Mais toute intériorité mérite-t-elle le label de spiritualité ? Et que se passe-t-il de nouveau, aujourd’hui, dans ce domaine de la spiritualité ou des spiritualités ? »

Vaste sujet, certes des plus à la mode – l’expression ‘’faire sens’’ aussi est à la mode –, tellement il y a foule au portillon pour être introduit dans le lieu saint des « spiritualistes ». Il convient donc et en effet de faire le tri…

Cependant, cher lecteur, accorde-moi une question : qu’est-ce qui permettrait de penser que le christianisme pourrait être ‘’largement’’ débordé ou submergé par une ‘’aspiration spirituelle’’ qui lui serait étrangère ? Personnellement, mais je n’ai pas la culture et le savoir du père Ringlet, – rien ne me paraît ‘’dépasser » ce que nous offrent les évangiles. J’ai pourtant cherché, longtemps… peut-être pas assez ?

Autre sujet : « Illuminer la pesanteur : spiritualité et imaginaire », ainsi présenté :

« ‘’En un temps où la pesanteur nous écrase’’, dit le théologien orthodoxe Olivier Clément‘’, il est peut-être urgent de rappeler au christianisme qu’il a non seulement accepté, mais animé aux siècles de sa plus noble incarnation, une véritable illumination de la pesanteur’’ Pour rencontrer cette question, la conférence se proposera d’abord d’évoquer des créateurs d’imaginaire (musiciens, chanteurs, cinéastes, poètes…), croyants ou non, qui ont su faire de leur blessure une grâce. Dans un second temps, l’exposé suggérera de donner corps au spirituel en proposant de sculpter, célébrer et sauver l’humble réalité quotidienne. Enfin, le conférencier posera, en troisième partie, une question impertinente mais brûlante d’actualité : peut-on illuminer la pesanteur de l’Église ? »

Cette dernière question, prétendue impertinente mais posée avec soin et jubilation, je l’attendais, comme investi d’un sixième sens : car je n’aurais certainement pas formulée ainsi cette question. D’abord parce que je n’aime pas faire le procès de l’Église ici sous-entendu, même si je me permets parfois de faire celui de certains hommes d’Église ; ensuite, parce que je ne vois personne, mais vraiment personne susceptible ‘’d’illuminer’’ cette Église dont je suis.

Comment cela personne ? Oui, personne d’ici-bas. La lumière vient du seul Jésus, le Christ : n’est-il pas « Lumière née de la Lumière » ? Et si quelqu’un chez les chrétiens peut donner l’impression d’être lumineux, c’est alors qu’il laisse, sans même y penser, transparaître la lumière intérieure dont il est envahi. (C’est exprimé à la va-vite, certes, mais mon lecteur se débrouillera avec l’intuition…)

Un autre de ces titres m’interpelle : « Oser la gravité chrétienne », précédé d’un faux alexandrin : « Élargissez l’espace de votre tente ».

Présentation de sa main :

« Plus que jamais, l’éducation apparaît comme une aventure risquée et passionnante. Une ‘’traversée’’ audacieuse qui demande des ‘’compagnons’’. [… pour] parcour[ir] trois chemins. – Le premier encourage à oser l’actualité. Oser avouer [vivre] un moment difficile […] la peur de l’autre […], le monde [qui] déconcerte, […] les besoins de travail et d’affection pas toujours rencontrés. Comment ‘’traverser’’ dans ces conditions-là ? – Le deuxième suggère d’oser la fragilité. Il n’y a pas de honte à montrer ses failles. […] – Le troisième pousse à oser l’intériorité. Rien à voir avec les sacristies ! Il ne faut pas confondre le spirituel et le dévotionnel3. L’intériorité dont il sera question se veut plus ‘’évoquante’’ que ‘’confessante’’. […] Une question pourrait se formuler d’une triple manière : Comment parler sa propre parole ? Comment rejoindre sa vérité la plus secrète ? Comment redevenir jeunes, même quand on est déjà vieux ? »…

Je ne trouve pas ici, et une fois de plus, exprimée la place du Christ : où est-Il dans cette œuvre ? sans doute non oublié dans le cours de la conférence, mais « ce qui va de soi gagne souvent à être dit » … Il est vrai que, sottement, je pensais que le prêtre, quel qu’il soit, intello ou non, n’a pas d’autre but dans sa vie que de faire aller son prochain, croyant ou non, à la rencontre du Christ, en faisant partir s’il le faut du ‘’sans Dieu’’ pour finir par le jeter dans ses bras…

Mais suis-je bête ! Dieu est en tout, et tout en Dieu : on me l’a opposé souvent cet argument que l’on peut parler de Dieu sans jamais faire allusion à sa présence ou à son action en chacun de nous. Cependant, chez un prêtre j’attends davantage de ‘’confessant’’ que ‘’d’évoquant’’. Je suis parvenu à un âge où il sera difficile de me refaire…

Encore un exemple : « Quel christianisme pour le XXIe siècle ? » Suivent d’autres questions :

« Quelle sera la spiritualité du troisième millénaire ? L’éclatement du paysage religieux va-t-il encore s’accentuer ? La laïcité va-t-elle encore évoluer ? Assistera-t-on à des recompositions inédites et donc à de nouvelles synthèses ? – Devant cette situation ouverte, […] la tentation est grande de […] durcir son identité. Ne faut-il pas, plutôt, [la] risquer, et oser rencontrer le visage de “l’autre” ? Entre la volonté de sauver ses positions à tout prix et celle de démissionner, pourquoi ne pas prendre le pari de la singularité et accepter le vertige du dialogue ? – Ce dialogue, au cœur d’une société pluraliste, Gabriel Ringlet a choisi de le mener aussi loin que possible […]. Pour lui, la libre pensée est une bonne nouvelle, et la Bonne Nouvelle, l’Évangile, conduit à la liberté de pensée. – À ses yeux, la laïcité est un formidable combat pour l’homme, pour son autonomie, pour sa liberté. La laïcité libère l’homme. Mais il affirme avec la même conviction que le christianisme est un formidable combat pour Dieu, pour son autonomie, pour sa liberté. Le christianisme libère Dieu. Il jette sur Dieu un regard qui appelle la laïcité. En ce sens, Dieu est peut-être bien plus laïque qu’on ne le pense généralement. […] »

On pourrait s’avouer que tout ce topo est excellent sauf à trouver un quelque chose ‘’d’échappant’’, pour imiter le style du père. Tout à fait d’accord sur la laïcité, moins sur ces concepts intrigants de « recompositions inédites et donc à de nouvelles synthèses », moins encore sur le fait que le ‘’christianisme’’ serait surtout un combat pour Dieu ! Il m’intéresserait moins s’Il ne faisait qu’appeler à une laïcité, même non idéologique, quoique j’en sois un fervent adepte : notre Église a trop souffert de ses compromissions avec les pouvoirs politiques, même s’il faut rappeler que parfois elle a été trop soumise à cette laïcité prétendue souvent comme l’idéal… y perdant de son autonomie d’expression et même d’action.

Impression fugitive. L’évocation de « nouvelles synthèses » me fait trembler d’avance tant les risques de dévier du sentier qu’il nous faut suivre derrière le Christ me paraissent redoutables et permanents !
Le mot christianisme, qu’il faut bien parfois utiliser, ne m’a jamais satisfait. Dieu n’est pas un objet-sujet de thèse ou même de synthèse ; la foi, une idéologie ou une philosophie, même s’il est très satisfaisant pour l’esprit de philosopher en ligne droite à partir des paroles du Christ : mais justement, l’important, si l’on aborde les évangiles à la façon d’un philosophe, c’est de parvenir dans ce type de développement à faire entrer l’idée dans ce qui n’est que vie… Une vie cependant que l’on peut parfaitement savourer en dehors de tout conceptualisation de Dieu, de la foi. Ces travaux ne sont heureux ou féconds que lorsqu’ils facilitent l’adhésion du cœur, en prolongement de l’adhésion de l’esprit. « Merci, Père, d’avoir fait comprendre ces choses aux ignorants et non aux savants ! » La citation n’est pas littéralement le texte que Jésus a livré à ses disciples, mais c’est tout de même merveilleux de pouvoir se la répéter.
Il vaut mieux que je ne cherche pas à préciser, car ce serait sans fin !

Nous voici fort éloignés de ce qui avait interloqué Monseigneur Dangoisse puis Jean-Pierre Snyers : j’ai profité de l’occasion pour aborder, très ou trop succinctement je l’avoue, le monde de Gabriel Ringlet, mais suffisamment pour me rendre compte que ce n’est pas chez lui que je me fournirai à l’avenir, aussi vaste que soit le domaine de ses curiosités, aussi diverses ses compétences intellectuelles.

Chesterton me convient mieux, avec Bernanos, Péguy et Claudel. Plus quelques autres… Mes lectures ne doivent pas en premier lieu être des sujets de controverses, mais des nourritures substantielles. Aussitôt je me contredis, car toute lecture qui ouvre à la réflexion débouche naturellement devant une table servie. Que l’on ait été ou non d’accord avec l’auteur.

  1. Gabriel Ringlet, de l’Académie belge : journaliste, écrivain et théologien belge, né à Pair-Clavier en Condroz en 1946, ordonné prêtre en 1970. A enseigné à l’Université de Louvain, (département de communication). Professeur de journalisme et d’ethnologie de la presse, a exercé des fonctions au plus haut niveau de l’Université. – Œuvre littéraire : ouvrages ayant trait au journalisme, notamment Le mythe au milieu du village (1980), mais aussi nombre de livres d’inspiration spiritualiste destinés au grand public, et dont certains ont suscité la polémique : Éloge de la fragilité : l’actualité à fleur d’évangile (1990), Dialogue et liberté dans l’église : si l’épine enfantait l’épi (1995). En 1998, parution de L’Évangile d’un libre penseur. Dieu serait-il laïque ? qui donne lieu à de nombreux débats : prix de littérature religieuse 1999. – Plus récemment, des textes inclassables : poésie très présente et forme de confidence intime, mettant à l’épreuve les convictions de chacun : Un peu de mort sur le visage. La traversée d’une femme et le tout récent Ceci est ton corps. Journal d’un dénuement. (Note tirée du site de l’Académie belge.)
  2. Association belge des écrivains chrétiens, regroupant catholiques et protestants.
  3. Comme si le dévotionnel se confondait avec la ‘’sacristie’’, lieu sacré, certes, mais connoté négativement comme le royaume des rombières et des vieilles bigotes enchaînées à leur chapelet. J’ai depuis longtemps horreur de ce mépris universalisé.