Dryden et le médecin - France Catholique
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La justice de Dieu
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Dryden et le médecin

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Le poète du dix-septième siècle John Dryden n’est peut-être pas la première personne des canons de la littérature anglaise qui vienne à l’esprit, mais il vaut le coup d’être connu, en particulier par les catholiques qui rencontrent aujourd’hui l’ostracisme sous une forme ou sous une autre sur leur lieu de travail. Malgré les évidentes différences entre son temps et le nôtre, Dryden savait à quoi ressemble la vie à notre époque « où triomphe le vice et où la vertu est un crime ».

A son époque, l’anglicanisme est la religion d’Etat, embrasser le catholicisme a toujours des conséquences et est souvent risqué. Aujourd’hui, l’Etat en tant que pseudo-religion est devenu viral, et personne ne s’excite vraiment sur les réelles différences « confessionnelles ». Les querelles doctrinales peuvent être un peu perdue de vue (pour le laïciste ou l’étatiste, elles n’ont de toute façon pas vraiment d’importance), mais le catholicisme est redevenu une fois encore la principale entité à vaincre.

La décision de Dryden de professer la foi catholique le conduit rapidement à perdre son poste prestigieux de poète-lauréat national. Entre autres choses, cela signifie aussi qu’il doit payer deux fois plus d’impôts que ses compatriotes. Ce n’est peut-être pas une page tout droit sortie de la règle du jeu musulmane, mais sous cet aspect au moins, il est réduit à une dhimmitude virtuelle.

J’ai beaucoup écrit ici à propos de l’essai édifiant de Bryan Berry « Le coût du catholicisme de John Dryden », paru dans le journal Logos (printemps 2009), qui raconte sa participation aux tensions religieuses de son époque, entrecoupé de passages marquants de plusieurs de ses œuvres. Humoriste distingué, Dryden est également titulaire de la distinction d’avoir produit « la seule œuvre majeure de la littérature anglaise » – la Biche et la Panthère – « consacrée à la thèse selon laquelle l’Église catholique romaine est l’unique église, sainte, catholique et apostolique instituée par le Christ. ».

« Dans ce poème et dans Brittania Rediviva, écrit Berry, Dryden adjure la Grande-Bretagne de retourner à la foi catholique sur son territoire, et de répandre l’évangile du Christ à l’extérieur plus qu’elle ne le fit dans le passé ». A part le pape, qui oserait dire une telle chose aujourd’hui, même si, comme Dryden, il sent que c’est un devoir de le faire et que cela contribuerait au Bien ?

Nous pourrions dire que la récompense de Dryden est exprimée dans la préface de son Discours sur la Satire : « Il y a plus de libelles qui ont été écrits contre moi que contre tout homme vivant aujourd’hui. ». Et il nous dit que ce n’est pas à cause de sa poésie mais de ses mœurs – son refus de suivre les autres qui fuient la vérité. Dans sa préface de Absalon et Achitophel, Dryden cisèle ses critiques à vif avec le genre d’intuition perceptive qui ferait aussi reculer les oreilles les plus modernes : « Si vous n’aimez pas mon poème, la faute peut en incomber à mon écriture… Mais il est plus probable que cela provienne de vos mœurs qui ne peuvent pas en supporter la vérité. »

L’analogie que Dryden emploie dans un autre passage – un bijou que Berry n’a pas inclus dans son ouvrage – à la fin de cette même préface me fait penser à ce que nous tolérons du médecin. La véritable fin de la satire est la modification des vices par la correction, et lui qui écrit honnêtement n’est pas plus l’ennemi du délinquant que le médecin n’est celui du patient lorsqu’il lui prescrit de durs remèdes contre un mal invétéré. On considère pour acquis que le médecin a présent à l’esprit l’intérêt supérieur de son patient, et qu’il lui est par conséquent accordé le permis de recourir même à de durs traitements en vue de sa guérison. C’est certes toujours le cas en ce qui concerne par exemple, une chimiothérapie agressive.

Pourtant, de nos jours, le médecin – l’organisation de santé publique, plus précisément – n’est plus titulaire d’une telle licence si elle signifie prescrire des remèdes aux maladies liées au mode de vie, remèdes que les gens jugent « durs », s’ils interfèrent avec ce qu’ils veulent faire.

Au lieu de cela, le dispositif de santé publique doit s’en remettre aux autorités culturelles qui prônent avec insistance qu’il n’y a aucun vice et que, par conséquent, il n’est tout simplement pas nécessaire d’apporter de « correction ». Il n’y a que la maladie à conquérir, les mauvais sous-produits de la transformation sociale profonde sont donc médicalisés.

Prenez l’obésité comme cas d’espèce. L’approche globale est-elle « sévère » ou est-elle évasive et technocratique ? Que l’American Medical Association ait juste jugé bon de la classer comme notre « maladie » la plus nouvelle répond suffisamment à la question. Les solutions correspondant au rôle du régime alimentaire et aux modifications de la dynamique familiale seraient rudes. (Cela ne veut pas dire que l’interdiction des sodas ou simplement gronder les gens fera l’affaire). Les produits pharmaceutiques doivent donc venir à la rescousse.

Trouver une recommandation dans les revues médicales pour éviter complètement les pratiques néfastes est plus difficile que de repérer une espèce en voie de disparition. C’est pourtant ce qu’a fait le British Medical Journal dans un article de janvier 2013. Mais comme c’était sur le tabagisme, ce genre de dureté atavique est parfaitement acceptable : « Mais pour la plupart des fumeurs, cesser de fumer est la meilleure option et doit être présenté comme réalisable et attrayant. » Rien d’aussi dur ne serait jamais proposé pour la gamme des maladies sexuellement transmissibles endémiques : ce serait un dangereux écart vis-à-vis du pouvoir qu’à la technologie de fournir de la « sécurité ».

Je suppose qu’il me faut préciser que l’article du BMJ parlait du tabac. La marijuana tombe dans cette catégorie de « la toxicomanie en tant que maladie » pour laquelle seule la gestion du risque est autorisée, la « meilleure pratique » consistant, dans de nombreux cas semblables, à remplacer une drogue (ou une aiguille) par une autre.

Selon René Girard, « chaque génération incarne une étape de la maladie ontologique ». D’une manière générale, que les professions de santé s’abstiennent de donner de « durs » conseils parce que, ipso facto, ce serait porter un jugement ainsi qu’être raisonnable, est symptomatique de la folie dans laquelle nous sommes plongés.

Il est difficile d’être au service de l’homme lorsque l’on est esclave des mensonges du moment. Les catholiques ont reçu la promesse que le monde les détesterait ; « ennemi » est à présent la manière dont sont appelés les diseurs de vérité, c’est pourquoi les autorités sanitaires fuient le recours à la vérité. Rendre d’authentiques services dans le domaine de la santé, comme dans tant d’autres de nos jours, tout comme Dryden à son époque, signifie en payer le prix.


Portrait de John Dryden par Michael John Wright (c. 1688)

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/dryden-a-the-physician.html


Matthew Hanley est membre du Centre Catholique National de Bioéthique. Avec Jokin de Irala M.D., il est l’auteur de Affirmer l’amour, éviter le SIDA : ce que l’Afrique peut enseigner à l’Occident qui a récemment remporté le prix du meilleur livre de l’Association de la Presse Catholique. Les opinions exprimées ici sont celles de M. Hanley et pas celles du CCNB.