Droit à l'erreur et fin de la tolérance - France Catholique
Edit Template
La justice de Dieu
Edit Template

Droit à l’erreur et fin de la tolérance

Copier le lien

Voici bien des années, je participais à une émission de radio pour y parler d’un de mes livres. Lequel ? Je ne m’en souviens pas, mais j’ai gardé le souvenir vivace d’une confrontation avec un auditeur appelant au téléphone. Il se disait profondément choqué par mes propos défendant le côté sacré de la vie humaine avant la naissance, et par mes arguments expliquant en détail pourquoi je crois que la vie précédant la naissance a sa propre personnalité et que l’avortement est un homicide sans raison.

Après un bref échange initial et ma réponse à sa question sur la personnalité humaine, l’auditeur déclara sur un ton exaspéré: « Docteur Beckwith, vous êtes tout simplement intolérant. *Vous semblez tellement sûr d’avoir raison, et que les autres ont tort.» Pour quelqu’un comme moi, dont le violon d’Ingres est la comédie philosophique, cette espèce d’affirmation est trop vraie pour être vraie. C’est le genre de platitude insensée qui a permis à mon livre co-écrit avec Gregory P. Koukl « Relativism, Feet firmly Planted in Mid-Air » (Relativisme, ou Droit debout, les pieds dans le vide) de se vendre encore quinze ans après sa parution.

En réponse à mon interlocuteur j’ai posé la question: « Ai-je tort de penser ainsi?» Un truc de réponse interrogative que Greg et moi avons fréquemment utilisé avec de nombreux auditeurs. Mon interlocuteur répondit: « Oui.» Je lui dis alors; « Donc, vous êtes exactement comme moi. Vous pensez avoir raison, et me donnez tort. La différence, c’est que je reconnais croire en une vérité. Vous, par contre, croyez que quelque chose est vrai, mais vous comportez comme n’y croyant pas.»

Il tenta alors de reformuler son accusation, mais se prit les pieds dans le tapis. Il ne parvenait pas à s’exprimer sans se contredire. Finalement, il avoua: « je n’arrive pas à dire ce que je ressens sans risquer de paraître ridicule.» Ma réponse fusa: « c’est bien parce que c’est ridicule.»

Notons que mon interlocuteur ignorait tout de ma conviction, ce qui ne m’étonnait guère. La plupart des gens que je rencontre — même diplômés d’institutions prestigieuses — n’écoutent pas trop les arguments, et pourtant ils se clament souvent « défenseurs de la raison » et hostiles à la « superstition religieuse ».

Naturellement, ils prétendent soutenir la « diversité » et le « muliculturalisme » tout en soutenant qu’au nom de la justice toutes les institutions, privées comme publiques, devraient être conformes à un modèle unique ethnique, de genre, de croyances fondamentales au sujet de la sexualité humaine, et du rôle de l’état.

C’est pourquoi le refus de l’Église catholique de changer d’attitude au sujet de la prêtrise masculine, du mariage, du caractère sacré de la vie, de la contraception, et des artifices de la reproduction est confronté à des rafales d’invectives hystériques au lieu d’être acclamé pour célébrer les contributions particulières du Catholicisme à notre société multiculturelle.
Confondant cosmétologie et anthropologie, ceux qui critiquent l’Église aboutissent à une attitude obligatoire contre la diversité des tendances. Ce qui pour beaucoup d’entre nous est de leur part un appel hostile à nous soumettre à l’hégémonie gauchiste serait, selon eux, une incitation à proclamer notre pluralisme.

Mon dialogue avec cet auditeur critique est une miniature illustrant cette incohérence. La plupart des gens ayant une sensibilité de gauche, comme cet auditeur, en appellent souvent à la « tolérance » sans bien mesurer sa signification dans une démocratie libérale telle que la nôtre.

La tolérance, si elle est une vertu civique, implique notre conviction que nos contradicteurs sont dans l’erreur. Car si un concitoyen et moi-même sommes d’accord, nous ne nous tolérons pas. Nous sommes d’accord. Pourtant, chose cocasse, bien des gens croient que penser que quelqu’un se trompe — sur des sujets religieux ou sur le bien-fondé des comportements sexuels — est une forme d’intolérance.

Selon cette définition de la tolérance, l’accord, plutôt que le désaccord, serait une condition nécessaire à la tolérance. La tolérance ainsi considérée ne tient pas debout, elle devient, paradoxalement, intolérance.

J’ai beaucoup d’amis gauchistes qui, comme mon interlocuteur, déclarent que nous devrions avoir des doutes sur notre confiance accordée à nos jugements sur des sujets réfutés par les gens raisonnables. Mais c’est précisément sur de tels sujets que certains de leurs amis portent le plus de jugements sans rémission, sans indulgence. Ironiquement, ils semblent stimuler cette même étroitesse d’esprit et ce même dogmatisme qu’ils attribuent à ceux qu’ils appellent par mépris « Chrétiens intégristes ». Déclarant rejeter les institutions et modes de vie qui excluent les différences, ils ne mettent pas leur discours en pratique, et, en fait, cherchent à rejeter ceux qui ne suivent pas la « bonne » ligne.

La tolérance n’a pas une élasticité infinie. Gauche et droite sont d’accord sur ce point. Mais si sur les questions qui font débat — et le libéralisme a été inventé pour trouver un modus vivendi — la tolérance ne trouve pas sa place, alors la gauche a adopté précisément le principe qu’elle s’était vouée à rejeter : « L’erreur est interdite ».

Ainsi, la tolérance est bien morte.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-rights-of-error-and-the-death-of-tolerance.html