Un jour que je me promenais avec lui dans Paris, non loin de l’église Saint-François-Xavier, il me désigna une maison. « Tu vois cette fenêtre là-haut ? C’était ma chambre, et c’est là qu’à l’âge de seize ans j’ai fait don de ma vie au Christ. » Vocation mystique étonnamment précoce, vocation fidèlement et strictement suivie jusqu’au bout. Mais la vocation sacerdotale fut beaucoup plus tardive et, avant de devenir Don Patrick (ordonné prêtre par Jean-Paul II à Rome le 13 mai 2001), il fut longtemps Patrick de Laubier, fonctionnaire du Bureau international du travail (BIT) à Genève puis, jusqu’à sa retraite (2000), professeur de sociologie à l’université de Genève. En effet, ce mystique, lecteur assidu de Marie de l’Incarnation, d’Hildegarde de Bingen et de Marie d’Agreda, était aussi un sociologue — bon connaisseur de Karl Marx en particulier. Il était dans sa vocation d’apprendre à connaître le monde tel qu’il est concrètement pour l’amener sous la lumière du Christ telle qu’elle est réellement. Tâche considérable, évidemment, mais tâche exactement conforme à l’anthropologie chrétienne, qui voit dans l’homme un intermédiaire entre le charnel et le spirituel, entre le matériel et le divin, un « pontife » (le prêtre n’est-il pas la manifestation maximale de notre fonction ontologique de « bâtisseurs de ponts », lui qui fait venir Dieu sur la terre pour le donner aux hommes ?).
Tardivement devenu prêtre, Don Patrick savait néanmoins depuis toujours ce qu’était le sacerdoce. Une fois ordonné, il s’acquitta exactement de son ministère en tout lieu, forçant à l’occasion un barrage de police pour aller prier sur la dépouille d’un malheureux qui s’était suicidé dans le métro.
Sans doute ce geste chevaleresque du jeune homme qui, à seize ans, jure au Christ de le servir jusqu’au bout, doit-il quelque chose aux traditions aristocratiques de service dans lesquelles avait été élevé Patrick, issu d’une vieille famille vendéenne qui cousinait avec une bonne partie des têtes couronnées d’Europe (le prince de Liechtenstein, par exemple). Mais, de ces choses, Patrick ne parlait que très rarement, et à chaque fois avec une sorte de détachement amusé. Il aimait aussi à ajouter que, par deux de ses nièces, il était apparenté à Karl Marx et à Michel Houellebecq.
Très tôt, Patrick de Laubier s’intéressa à la Russie. C’est à la Révolution de 1905 qu’il consacra sa thèse d’études politiques et, au BIT, il se lia avec des représentants des syndicats soviétiques. Il n’était pas ignorant de leur véritable statut, mais il savait aussi que dans le plus madré des agents de renseignement il y avait également un homme. De plus, les contacts ainsi noués lui permirent, une fois l’URSS tombée, d’accéder aux collaborateurs de revues prestigieuses comme Novyï Mir. Avec le directeur de cette dernière, Igor Vinogradov, et avec l’académicien Serge Averintsev il fonda en 1991 à Moscou une Société internationale Vladimir Soloviev, avec une filiale à Genève et une à Paris (dont je devins le président). Vladimir Soloviev (1853-1900), généralement considéré comme le premier philosophe russe, s’était converti au catholicisme sans renier son appartenance à l’Église orthodoxe, adoptant ainsi une position à la fois paradoxale et hardiment prophétique.
Doué d’un remarquable entregent et d’une énergie que rien ne pouvait lasser, Patrick sut répondre à l’attente de Jean-Paul II, qui souhaitait mieux connaître la pensée russe (nous sommes au temps de la lettre apostolique Orientale lumen et de l’encyclique Ut unum sint, datées de mai 1995) et c’est ainsi que, six années de suite en juin, le pape reçut à déjeuner au Vatican des académiciens et personnalités des arts et des lettres de Russie que Patrick lui présentait. Là encore, Patrick jetait des ponts, tissait des liens pour l’avenir. Le pape, notamment, noua par la suite une amitié épistolaire avec la grande poétesse Olga Sedakova. Comment imaginer aussi que des penseurs orthodoxes influents comme Alekseï Kozyrev, Serge Khoroujiï ou Vladimir Bibikhine ne seraient pas touchés par les marques d’attention, l’intelligence et la simplicité du pontife romain ? Quant à Serge Averintsev et Constantin Sigov, ils avaient déjà, tout en étant orthodoxes, un « sens de Rome » tout à fait solovievien.
Ce « sens de Rome », propre à tout catholique, Patrick de Laubier l’avait à un degré éminent. à ses yeux, Rome était ce qui avait manqué à la Russie. Il m’écrivait : « Le drame de la Russie n’est-il pas dans son héritage byzantin ? Tandis que l’Occident a dû sa survie aux papes. » D’où son intérêt pour le Concile de Florence qui, en 1439, avait proclamé l’union des Églises latine et orientale et qui, depuis des siècles, est tombé dans un oubli funeste. Nous prévoyions avec lui de mettre sur pied un colloque sur le Concile de Florence à l’automne 2016. Ensemble nous avons écrit à ce sujet dans France catholique (n° 3399 du 16 mai 2014). D’où aussi son soutien sans faille à l’Église uniate d’Ukraine si mal comprise et si persécutée. Il tenait beaucoup à faire connaître ce héros de la cause gréco-catholique qu’avait été le métropolite André Szeptyckyj, dont il préfaça la Vie aux éditions F.-X. de Guibert.
Patrick de Laubier estimait que la Russie avait beaucoup de points communs avec le Brésil : mêmes espaces impénétrables et vides d’hommes, mêmes problèmes de pauvreté, multiplicité des sectes, virulence des superstitions, violence sociale et en même temps religiosité intense. Aussi emmena-t-il par deux fois au Brésil des Russes dans les conférences qu’il y faisait. Mais cette expérience ne fut pas couronnée de succès, et il abandonna le projet.
Il aimait beaucoup la Chine, où il se rendit à de nombreuses reprises pour des conférences et des retraites, notamment dans les communautés catholiques clandestines fidèles à Rome. Il avait découvert (et publié en français) Mozi, philosophe du IVe siècle av. J.-C., dont les catégories de pensée rejoignaient celles d’Aristote et lui semblaient utiles pour rendre la philosophie chrétienne accessible à des esprits chinois. Il parlait beaucoup de Mozi aux Chinois. C’est en Chine qu’il laissa ses dernières forces en septembre dernier ; il eut néanmoins la joie d’y entendre une femme lui confier qu’elle s’était convertie deux ans auparavant en l’entendant dire que Jésus n’était pas une idée mais une personne.
Avec Newman et Soloviev (dont il appréciait particulièrement les Trois entretiens), Patrick de Laubier avait un sens aigu des fins dernières. Il réunit sur ce thème un colloque (où figuraient beaucoup de Russes) à Jérusalem à la Pentecôte 2005. Mais pour lui, les fins dernières devaient se conclure en ce monde par l’avènement d’une civilisation de l’Amour sur laquelle il écrivit tout un ouvrage.
Tel fut don Patrick de Laubier, grand intellectuel, grand mystique, homme d’amitié et ascète souriant, Mercure catholique aux pieds légers, messager ailé du Christ en tout lieu. Il écrivait à ses amis en août dernier : « Ma vocation est d’être missionnaire (semi-ermite) ; j’ai même posé ma candidature pour devenir « missionnaire de la Miséricorde » lors de l’Année jubilaire. » C’est à Rome, où il était allé recevoir cette mission, qu’il est tombé pour ne plus se relever.
Ses obsèques ont eu lieu à Genève le mercredi 2 mars et il a été inhumé en Vendée.
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Radio Vatican
http://fr.radiovaticana.va/news/2016/02/29/le_d%C3%A9c%C3%A8s_de_don_patrick_de_laubier,_pr%C3%AAtre_et_sociologue/1212014
http://fr.radiovaticana.va/news/2014/10/25/%C2%ABla_civilisation_de_lamour_selon_paul_vi%C2%BB/1109476
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http://boutique.france-catholique.fr/fr/60-la-civilisation-de-lamour-selon-paul-vi-patrick-de-laubier-9791092770018.html
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Département de sociologie université de genève
https://www.unige.ch/sciences-societe/socio/fr/patrickdelaubier/
Portail catholique suisse
Décès de l’abbé Patrick de Laubier, sociologue et auteur spirituel
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La Croix
http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Carnet/Le-P-Patrick-de-Laubier-est-mort-2016-02-29-1200743302
http://doctrine-sociale.blogs.la-croix.com/paul-vi-prophete-de-la-civilisation-de-lamour/2014/07/05/
http://www.france-catholique.fr/La-civilisation-de-l-amour-selon,14453.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_de_Laubier
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Zenit
Avec la mort du P. Patrick de Laubier, c’est un des « missionnaires de la miséricorde » de l’Année sainte extraordinaire, envoyés en mission par le pape François le 10 février, Mercredi des Cendres, qui disparaît.
Le P. Patrick de Laubier était né le 13 janvier 1935. Il s’est éteint hier, dimanche 28 février 2016, vers midi, à l’âge de 81 ans, à Genève. Ses obsèques – c’est encore à confirmer – pourraient avoir lieu le 2 mars en début de l’après-midi à la basilique Notre-Dame de Genève.
Il était venu à Rome pour l’envoi en mission par le pape, mais il est tombé dans sa chambre dans la nuit, du fait d’un AVC et il s’est cassé la clavicule, ce qui l’a empêché de participer à la cérémonie d’envoi.
https://fr.zenit.org/articles/author/patrickde-laubier/
https://fr.zenit.org/articles/l-ukraine-lieu-d-unite-par-le-p-de-laubier-france-catholique/
https://fr.zenit.org/articles/la-charite-au-service-l-intelligence-dans-l-universite-itinerante/
ENTRETIEN AVEC DON PATRICK DE LAUBIER
http://www.france-catholique.fr/ENTRETIEN-AVEC-DON-PATRICK-DE.html