Après avoir avoué ici-même mon détachement par rapport aux analyses les plus sagaces de nos joutes politiciennes, il m’est difficile de me joindre au flot des commentaires qui accompagnent les résultats du premier tour de la primaire de la gauche. À dire vrai, j’adhère au constat le plus largement partagé par les experts. Oui, nous assistons à une phase décisive du choc des deux gauches, une gauche de gouvernement, réaliste, et une gauche de contestation qui, avec Benoît Hamon, a même adopté une rhétorique utopiste. Comment n’en pas conclure que la situation du parti socialiste est extrêmement critique, qu’elle peut déboucher sur l’éclatement et sur l’effacement ? C’est Manuel Valls lui-même qui parlait de deux camps irréconciliables. Il a enfoncé un peu plus le clou, dimanche soir, en renvoyant son adversaire du second tour à ses promesses irréalisables et infinançables.
L’ancien Premier ministre est d’ailleurs, en ce sens, fidèle à une conviction bien ancrée chez lui. Invité sur notre antenne, il y a sept ans je crois, il ne m’apportait aucun démenti, lorsque je notais qu’il sacrifierait volontiers jusqu’au terme de socialisme, et lorsque je m’interrogeais devant lui : « Va-t-on comme en Italie, vers la disparition de la gauche classique, avec comme seule alternative possible l’émergence d’une sorte de Parti démocrate à l’américaine ? »1 Ce que Manuel Valls ne dit pas nettement aujourd’hui, pour ne pas ajouter au trouble de son parti, Emmanuel Macron l’affirme sans restriction aucune.
Cependant, il me semble que pour comprendre les enjeux de l’éclatement de la gauche, il faut porter l’analyse beaucoup plus loin qu’en termes électoraux. Il y a là-dessous une dimension philosophique qui se rapporte à l’identité de la gauche française depuis ses origines. On peut ne pas partager les conceptions d’un Jean-Claude Michéa2 mais on doit admettre la pertinence de la distinction qu’il opère entre la gauche et la tradition socialiste et ouvrière. Les deux ne se sont pas nécessairement confondus depuis toujours comme on le croit facilement. Valls et Macron, aujourd’hui, ont pris congé de cette tradition ouvrière, dont Marine Le Pen récupère l’électorat. De même, le Parti démocrate d’Hillary Clinton a abandonné les couches populaires qui ont fait le succès de Donald Trump. Nous n’avons pas fini de subir les conséquences de la séparation de la gauche et du socialisme.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 24 janvier 2017.
- Gérard Leclerc, Abécédaire du temps présent, Chronique de la modernité ambiante, Éditions de l’Œuvre, 20 €.
- Jean-Claude Michéa, Notre ennemi, le capital, Flammarion, coll. « Climats », 2017, 320 p., 19 €.