Jacques Julliard a publié dans Le Figaro de lundi une grande page de réflexion sur le divorce qui s’est opéré entre la gauche française et le catholicisme : « Comme si après un siècle de rapprochement, la gauche et le catholicisme procédaient à un divorce par consentement mutuel, la première, au moins, sous les espèces de l’intelligentsia bobo, retournant à l’anticléricalisme vieux caleçon de la fin du XIXe siècle, le second se repliant sur ses valeurs traditionnelles, au risque de sortir du siècle présent. » La densité de cet article réclamerait un commentaire au moins aussi abondant, mais nous nous devions d’en signaler l’importance, sans tarder, tant il est si peu courant d’apprécier une mise au point qui vient à son heure et devrait susciter du côté catholique un puissant intérêt. Je l’écris d’autant plus volontiers que je suis en désaccord sur beaucoup de points de l’analyse et des jugements de valeur de celui qui se veut aujourd’hui le représentant tenace d’un courant de gauche chrétienne, presque disparu. Ce dont je ne me félicite pas.
Mon premier désaccord concerne le parcours historique accompli depuis la Révolution française et qui correspond au récit canonique qu’avait déconstruit Émile Poulat dans les années soixante-dix. L’historien s’en était pris à ce qu’il appelait une légende dorée qui contait « l’histoire sainte d’une minorité généreuse et incomprise, pénétrée d’esprit évangélique, réussissant peu à peu à faire nombre et à s’imposer, dans une Église longtemps repliée sur elle-même et fermée au monde moderne ». L’Église du XIXe siècle, notamment en France, n’a pas été une institution aussi obtuse que l’on veut bien dire. Elle a été à l’origine d’un élan missionnaire qui a assuré à l’Église d’aujourd’hui sa dimension mondiale. Par ailleurs, le récit canonique refait par Julliard trouve en lui-même sa propre objection lorsque l’intéressé constate que « les catholiques sociaux, à force d’être sociaux, ont fini par négliger d’être catholiques ». Il doit bien y avoir quelque raison à cela qu’il s’agirait d’examiner avec rigueur. La référence qui est faite, je crois à contre-emploi, au père de Lubac devrait mettre sur la piste de ce qui fut à l’origine d’un dévoiement. Car le grand théologien avait désapprouvé, dès la fin de la guerre, l’évolution d’un courant qui croyait que Vatican II consacrait sa victoire, alors qu’il se précipitait sur une voie d’apostasie.
Mais le désaccord sur l’histoire rebondit sur le désaccord sur le présent. Non, le catholicisme d’affirmation qui renaît aujourd’hui n’a rien à voir avec un repli intégriste. Mais il faudra en discuter plus avant.