Elie Wiesel, dans La Nuit, rapporte qu’au camp de concentration de Buna-Monowitz, alors qu’un jeune garçon était pendu par les SS, un groupe de prisonniers assistaient à son agonie. L’un d’eux murmura : « Où donc est Dieu ? » Elie Wiesel entendit répondre une voix intérieure : « Dieu ? Il est là. Au bout de cette corde. » Cette scène terrible, et surtout cette réponse vertigineuse, posent avec force la question que je voudrais soulever dans les lignes qui suivent. Peut-on dire, doit-on dire, que Dieu souffre ?
Dieu, éternel et immuable
Ici deux intuitions, deux vérités fondamentales semblent se contredire : la toute-puissance immuable de Dieu, d’une part, et sa miséricorde infinie, d’autre part. La première suppose l’impassibilité, tandis que la seconde implique la compassion.
Si Dieu est tout-puissant, comme l’affirment à la fois l’Écriture et la philosophie, il est exclu que la souffrance – qui est l’épreuve d’un dommage, d’un manque, bref d’une impuissance – puisse le toucher. Dieu est parfait, sans limite, infiniment élevé au-dessus de notre faible condition. Il n’est pas matériel, mais pur esprit, éternel, omniscient et, comme dit saint Thomas d’Aquin, « Acte pur », sans une once de passivité. « Chez le Père des Lumières, dit saint Jacques, il n’y a ni changement, ni l’ombre d’une variation » (Jc 1, 17). Rien ne peut être ajouté à Dieu – puisqu’il est l’être infiniment parfait, et rien ne peut lui être ôté, puisqu’il est tout-puissant. Vérité solennellement proclamée par l’Église : « Le seul vrai Dieu est éternel, immense et immuable » (Latran IV, puis Vatican I).
« Mon cœur se retourne en moi »
Mais Dieu est aussi décrit par l’Écriture comme animé par toutes sortes de sentiments – le dépit, la colère, le regret, et surtout la miséricorde, c’est-à-dire la pitié pour ses créatures. Il est « L’Éternel, Dieu miséricordieux et compatissant » (Ex 34, 6). Dieu le dit lui-même : « Mon cœur se retourne en moi, toutes mes compassions sont émues » (Osée 11, 8). Or qu’est-ce que la pitié, sinon une souffrance éprouvée à la vue des malheurs d’autrui ? Comment concilier cette souffrance avec l’impassibilité ontologique de l’Éternel ?
La solution classique consiste à dire que lorsque l’Écriture attribue des sentiments humains – et singulièrement des souffrances – à Dieu, il ne faut pas les entendre au sens propre, mais métaphoriquement. Dieu est miséricordieux non pas au sens où il éprouverait réellement une souffrance, mais au sens où il agit à la façon d’un humain qui la ressent : « Quand Dieu a pitié, écrit saint Augustin, il ne souffre pas mais il délivre. » Saint Anselme résume : « Dieu est miséricordieux par les effets, non par les affects » (Proslogion, 8).
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