Une petite histoire : « Une inondation (je suis à Houston pour l’écrire — N.d.T. : Ouragan Harvey début septembre). L’eau couvrait le rez-de chaussée dans une maison lorsque passa une barque. Montez, dirent les sauveteurs — Non, répondit l’habitant, Dieu me sauvera. L’eau continuant à monter, notre homme monte à l’étage ; Passa alors une seconde barque. On l’appela pour qu’il y monte. Non, répondit-il, Dieu me sauvera. Les eaux continuant à monter, notre homme se retrouva sur le toit. Passe alors un hélicoptère,et on lui déroule une échelle. Il refuse de monter, déclarant « Non, Dieu me sauvera ». Cet homme périt noyé et, arrivant au paradis interpelle Dieu : « pourquoi ne m’avez-vous pas sauvé ? » Et Dieu répondit : « Quoi ! ! ! je t’ai envoyé deux barques et un hélicoptère. Que te fallait-il ? »
Je raconte cette histoire à mes étudiants alors que nous traitons de la notion métaphysique de la Création selon Thomas d’Aquin. Pour lui, la Création est le don total et continu d’existence à tout ce qui est. Si Dieu cessait de « créer » quelque chose, ce quelque chose cesserait immédiatement d’exister. Et pourtant les choses existent. L’œuvre de Dieu créateur et l’existence d’une chose ne diffèrent pas, cette dernière dépend de Dieu.
Il en va de même pour les actes divers de par le monde. Dieu peut agir, à Son choix, sur et par les phénomènes naturels. La causalité naturelle dans l’univers et la causalité divine ne s’excluent pas mutuellement. La première dépend de la seconde, mais chacune s’exerce à sa manière ; quand je coupe du bois avec une hache, je coupe le bois, la hache coupe le bois — moi en tant que cause première, et la hache, comme cause seconde. Ce n’est pas « l’un ou l’autre » mais « l’un ET l’autre ».
Presque tous les chrétiens comprennent cette vérité fondamentale, ce qui explique leur précipitation au secours des victimes l’autre jour à Houston, puis pour aider à réparer les dégâts de l’ouragan Harvey. Ils n’ont pas déclaré « Dieu s’en occupera, je n’ai pas à m’en mêler. » Ils ont dit : « Dieu s’en occupera par mon aide. Mon devoir : être l’instrument de la volonté de Dieu. J’ai vocation à jouer maintenant le rôle des mains, des pieds, des bras du Christ. »
C’est le message qui passait sans cesse aux informations. Au slogan de Marx que « la religion est l’opium du peuple », on pourrait à juste titre rétorquer, selon l’exemple de Houston la semaine dernière (et en de nombreuses autres occasions au cours de l’Histoire) que, loin d’être un « opium » la religion se révèle comme un stimulant extraordinairement puissant, particulièrement en temps de crise. Bien des gens usent de l’opium, c’est sûr, en quantités parfois inquiétantes, mais sans aucun rapport avec la Chrétienté.
Pour certains contradicteurs, tous les chrétiens se comportent, ignorants, comme cet homme de la blague, et non comme ces hommes et femmes qui se précipitèrent en foule pour aider leur prochain, inspirés par leur foi en Dieu.
Une caricature récente parue dans Politico montre un « péquenot » texan vêtu d’un T-shirt de confédéré (évidemment), sauvé par hélicoptère et criant : « Les anges envoyés par Dieu ! » Réponse sans rire du sauveteur sérieux en train d’équiper la femme d’un gilet de sauvetage : « Hum, non, en fait, ce sont les Garde-Côte envoyés par le gouvernement. »
Vu ? Cet abruti croit être sauvé par Dieu. Le Garde-Côte sérieux est mieux informé ! Classique qui-pro-quo. L’auteur du dessin n’a évidemment pas rencontré les fort nombreux volontaires spontanés du coin. Selon ses propres convictions, il se plaît à afficher ses idées sur la religion. Ce dont beaucoup s’abstiennent.
Les chrétiens qui croient au côté sacré de la Création n’éprouvent aucune gêne à accepter l’intervention de Dieu dans les causes naturelles. Il n’existe nulle preuve de l’existence de Dieu susceptible de convaincre un athée, c’est certain, mais là n’est pas la question. Nul n’essaiera de soumettre un athée à une conviction relative aux sauvetages de Houston. C’est l’athée qui devra insister pour prétendre qu’une cause naturelle telle que l’intervention des Garde-Côte n’a rien à voir avec une intervention de Dieu.
Qui est étroit d’esprit, intolérant ?
L’auteur du dessin est persuadé par une autre forme malencontreuse de pensée. Vous remarquerez que le Garde-Côte insiste en précisant qu’il est envoyé par les Autorités alors que le rustre texan affiche sur sa maison « Indépendance » avec un drapeau proclamant « Ne m’opprimez pas ». Ce dernier détail est bizarre car un tel drapeau a flotté la première fois sur un navire des Troupes Coloniales en 1776, et est toujours arboré sur les navires de guerre Américains en périodes de conflits.
L’intention de l’artiste est claire : « Comment pouviez-vous penser vous débrouiller, Monsieur le péquenot Texan, si le gouvernement central n’avait pas été là pour vous sauver ? »
Sauf que ce n’est pas ainsi que ça s’est passé vraiment. Ce qui a épargné à des milliers de Texan un sort comme ce qui est survenu à La Nouvelle Orléans lors de Katrina, c’est que nul n’a attendu l’intervention du gouvernement fédéral. Les voisins se sont précipités pour aider leurs voisins, la « Marine Cajun » (N.d.T. : surnom donné aux barques et bateaux de particuliers) arriva de Louisiane et du Texas ; et, bien sûr, la municipalité, le comté, l’État, et le gouvernement fédéral ont bien joué leur rôle — sans aigreur, sans doigt accusateur, sans tirer de gloire.
Pas question de « ceci ou cela », mais « tous les deux». Ce que les catholiques appellent « subsidiarité ». La foi chrétienne ne peut inciter les gens à attendre Dieu comme si on attendait Godot (N.d.T. Jeu de mots intraduisible entre Dieu : God et Godot). Par ailleurs, les résultats de la foi envers le gouvernement ne sont pas toujours aussi efficaces.
Des influences étrangères dans la société américaine profitent à présent de la tendance « ceci ou cela ». Ne serait-il pas temps de suggérer « tous les deux» ? Pas question de Dieu ou de causalité naturelle. Les deux — chacun à sa manière. Il n’est pas question de gouvernement central ou de citoyens individuels, de groupes paroissiaux ou d’autorités locales. Tous — chacun ayant son rôle à jouer, travaillant ensemble pour aider efficacement les gens qui en ont vraiment besoin.
L’attitude « ceci ou cela » vient souvent lorsque l’idéologie prend le pas sur les individus. Penser « tous ensemble » est nécessaire quand le cœur de vos sentiments, séculiers ou religieux, consiste à répondre aux véritables besoins des autres.