«Le Verbe s’est fait chair. Et il a habité parmi nous. » Le prologue de l’Évangile de saint Jean nous place d’emblée au cœur même de la spécificité de la Révélation chrétienne. Celle qui nous introduit à une sorte de scandale intellectuel. Scandale pour le platonisme qui considère la chair à un niveau très inférieur. Scandale pour l’islam qui ne supporte pas cette sorte d’atteinte à l’absolue transcendance divine. Et comment ne pas reconnaître qu’il y a un abîme a priori infranchissable entre le monde sensible et le Tout-Autre qu’est Dieu ? S’il y a un enseignement premier de l’Ancien Testament, il réside bien dans cette certitude d’une séparation qui interdit toute idolâtrie et même toute représentation du divin.
Contempler la crèche
Cependant, il y a aussi dans l’Ancien Testament une autre dimension irrécusable. Le Dieu Tout-Autre est aussi celui qui entre en relation avec le peuple qu’il a choisi au point de faire alliance avec lui. Et puis il y a aussi l’affirmation étonnante du livre de la Genèse sur « l’homme créé à l’image et comme à la ressemblance de Dieu ». La valeur iconique du visage n’a pas d’autre explication que cette relation directe avec un éclat qui vient d’ailleurs. Il n’est donc pas scandaleux que la représentation de Dieu après Noël et l’avènement du Christ, se concentre dans le visage de Jésus, dont la figure du suaire de Turin pourrait être considérée comme un premier modèle, tant elle se répercutera de siècle en siècle.
Nous sommes ainsi ramenés à la contemplation naïve de la crèche de Noël, que le laïcisme éradicateur voudrait expulser de l’espace public. Ce tout-petit dans les bras de la Vierge Marie, qui est toute fragilité, toute dépendance à l’égard des siens, surgit en même temps de la profondeur de la Trinité. Dieu s’est rendu si humain également qu’il s’est livré à la souffrance et à la mort. Les théologiens parlent à ce propos de kénose, d’une sorte de désappropriation de la divinité, si bien exprimée dans l’épître de saint Paul aux Philippiens. Dans l’abaissement de la Croix, il y a aussi révélation de la gloire du Dieu fait homme. Celui qui s’identifie au sort de l’esclave pour manifester l’amour rédempteur du Dieu trinitaire.
Noël, c’est bien sûr la joie simple des familles et des enfants devant les scènes familières de l’adoration des bergers et des mages, sans oublier le chant des anges. Mais cette simplicité même nous conduit à la plus profonde contemplation, celle de notre humanité appelée à s’identifier au dessein de Dieu sur elle. Comme l’écrivait saint Augustin : « Dieu pouvait-il faire briller sur nous une grâce plus grande que celle-ci : son Fils unique, il en a fait un fils d’homme, et en retour, il transforme des fils d’hommes en fils de Dieu » (Sermon pour Noël).
Au Père de l’Occident latin, nous pouvons associer un Père de l’Orient grec, saint Athanase : « Il ne s’est pas contenté de prendre un corps n’importe comment et de se rendre totalement visible. C’est dans la Vierge qu’il se construit à lui-même ce corps, comme temple de sa présence et qu’il se l’approprie comme instrument de sa manifestation » (Traité sur l’incarnation).