À mon avis, Benoît XVI apporte un éclairage fort attendu sur le dialogue inter-religions et son ambition. Dans un article précédent (Ratzinger et le dialogue interreligieux) je commentais le point de vue de Joseph Ratzinger sur le dialogue entre religions. Je reprends l’avis de S.S. Benoît exprimé sur ce dialogue dans son message de Noël 2012.
Bien qu’impliqué dans les relations et le dialogue avec les autres religions, S.S. Benoît exclut nettement dans son approche toute forme de relativisme religieux, d’indifférenciation et de syncrétisme. Il voit ainsi cet échange comme une quête d’authenticité ”plutôt qu’un apprentissage à simplement accepter autrui en sa religion, en son altérité et en sa pensée”. De plus, à la suite de St. Jean-Paul II [Cf. Encyclique Redemptoris missio], il rejette l’idée de substituer le dialogue inter-religions à l’évangélisation, et donne donc priorité à l’appel de Jésus (Jn, 1 ,39) — « Venez et voyez. » — pour la proclamation et l’évangélisation.
Selon S.S. Benoît une relation par le dialogue avec les autres religions a plusieurs dimensions. En premier lieu, il convient d’apprendre à coexister, vivre ensemble, en paix et en justice, ”partageant les responsabilités envers la société, la nation, l’humanité.” Pour y parvenir, S.S. Benoît affirme la nécessité du dialogue entre les religions. Ensuite, alors qu’une herméneutique de justice et de paix doive guider le dialogue, il faut, selon S.S. Benoît, ”dépasser l’aspect purement pragmatique au profit d’une recherche éthique des valeurs suprêmes.” Et il ajoute ”ainsi ce qui a débuté comme un simple dialogue devient une recherche pour une saine existence d’êtres humains.”
Selon S.S. Benoît, il faut, pour entamer le dialogue, suivre deux règles généralement admises en matière de dialogue inter-religieux ”afin qu’on apprenne à accepter autrui en son altérité ainsi que l’altérité de sa pensée.” Premier point : ”le dialogue ne vise pas à la conversion, mais à la compréhension. Il diffère en ce sens de l’évangélisation, de la mission ; ainsi, les deux participants au dialogue conservent sciemment leur identité, que le dialogue ne met en question pour aucun”. Ce qui signifie en particulier qu’il ne s’agit nullement de répondre à la question : « pourquoi suis-je Chrétien, et non Boudhiste, Hindou, Musulman, Juif , etc. . . ? »
Autrement dit, comme l’expose S.S. Benoît, la justification et la vérité des ”choix [religieux] de chacun n’est pas mise en question”. S’élever à ce niveau — une nécessité pour chacun — impliquerait ce que Paul Griffiths appelle ”l’obligation d’une apologétique inter-religieuse”. (Apologie de l’apologétique : Examen de la logique du dialogue inter-religieux)
Et il poursuit : « l’attente d’une réponse à une question spécifique devient un enchaînement où par l’écoute mutuelle les deux interlocuteurs peuvent atteindre purification et enrichissement. Ainsi cette recherche peut également faire avancer ensemble vers la vérité unique, même si les choix fondamentaux demeurent inchangés. Si les deux interlocuteurs arrivent à dégager justice et paix d’une herméneutique, alors, les différences fondamentales ne disparaîtront pas, mais cependant une olus grande proximité apparaîtra. »
S.S. Benoît accepte ces règles guidant le dialogue inter-religieux, mais les trouve trop ”superficielles” (ses propres mots) car elles négligent la question de la vérité ainsi que de l’évangélisation. Un échange agit dans un domaine de pré-évangélisation car ”il ne vise pas à la conversion, mais à une meilleure compréhension mutuelle.” Cependant, S.S. Benoît ajoute : « la quête de la connaissance et de la compréhension induit toujours une meilleure approche de la vérité. » Autrement dit, accepter simplement les différences fondamentales, bref, l’identité religieuse de chacun, encombre, selon S.S. Benoît, le chemin vers la vérité. Les choix religieux de base paraîtraient alors arbitraires, sans le moindre lien rationnel et authentique avec la réalité.
D’où un second principe énoncé par S.S. Benoît : « les deux interlocuteurs dans leur cheminement pas à pas vers la vérité sont sur la piste qui fait avancer vers un plus profond regard commun attiré par l’unicité de la vérité. » On pourrait ajouter à ces principes les présupposés réalistes d’une théorie de la connaissance : la vérité existe vraiment, et nous sommes fondés à en acquérir la connaissance et à proclamer sa recherche.
Ensuite, en raison de la nécessité d’apologétique inter-religieuse, il importe également que deux règles soient suivies par d’éventuels chercheurs : savoir distinguer la vérité et éviter l’erreur. De plus, résumant sa théorie chrétienne de la connaissance telle qu’elle concerne celui qui cherche la vérité, S.S. Benoît conclut : « Le Christ, qui est la vérité, nous a pris par la main, et nous savons que Sa main nous guide en sécurité sur le chemin de la recherche de la connaissance. Être tenus intimement par la main du Christ nous libère et nous rassure : libres car menés par Lui nous pouvons aborder ouvertement et sans crainte toute forme de dialogue ; rassurés car Il ne nous laisse pas tomber, à moins que nous nous détachions de Lui. Unis à Lui, nous restons à la lumière de la vérité. »
Pour conclure, cette façon de chercher la vérité nous mène finalement au cours de notre échange à évangéliser celui qui cherche la vérité, et à l’éloigner des distorsions de vérité. Cet interlocuteur “qui est à l’écoute et à la suite de Jésus, sans être encore un disciple, éprouve une sainte curiosité, attiré par la recherche.“ Alors, poursuit S.S. Benoît, « Jésus s’adresse aux interlocuterus et demande : “Que cherchez-vous ?“ Leur réponse est dans une question suivante, ce qui prouve l’ouverture de leur attente, leur préparation pour de nouvelles étapes. »
Bref, cette méthode est efficace si l’homme est à l’écoute, prêt à accueillir Dieu, si l’homme est pris dans la recherche intime, et donc sur le chemin vers le Seigneur.. En marche vers Jésus, il est guidé vers la résidence de Jésus, vers la communauté de l’Église, qui est Son corps. Celà signifie entrer dans la communauté en marche des catéchumènes, communauté à la fois d’apprentissage et de vie, où les yeux s’ouvrent au cours du chemin.
La théologie de Benoît XVI sur le dialogue inter-religieux ne s’arrête donc pas à la nécessaire connaissance de l’autre, mais encourage également à soutenir la relation par le dialogue afin de rester sur le chemin pour chercher et trouver la vérité dans le Christ et Son Église.
13 décembre 2017.