Puisque nous vivons les tout derniers jours du pontificat de Benoît XVI, il nous est permis, dans l’attente d’une autre configuration personnelle de la papauté, de réfléchir à la personnalité de celui qui va quitter le Saint-Siège. Joseph Ratzinger est d’évidence un grand intellectuel, mais ce n’est pas ce qui l’a distingué de son prédécesseur. Karol Wojtyla aussi était un intellectuel. Mais les deux hommes, très proches par l’âge, ayant une perception largement commune de la pensée chrétienne et de la pensée contemporaine, appartenaient cependant à des disciplines différentes. Wojtyla était plus philosophe et par ailleurs spécialiste de théologie morale. Ratzinger était un théologien généraliste, dogmaticien si l’on veut. Le futur Jean-Paul II avait étudié la phénoménologie à Cracovie, auprès d’un maître qui avait été très proche d’Edith Stein. Le futur Benoît XVI a pu, souvent, être qualifié d’augustinien, tant la pensée du grand évêque africain lui était familière.
Il n’était pas pour autant étranger à la pensée du Moyen Âge, même s’il n’a jamais été un thomiste au sens strict, comme a pu l’être le cardinal Journet. Étudiant, il avait écrit une thèse d’habilitation sur saint Bonaventure, ce fils de François d’Assise, qui joua un rôle majeur dans la définition de l’esprit franciscain. Les Presses universitaires de France ont publié en 2007 cette thèse, sous le titre La théologie de l’histoire de saint Bonaventure, avec une fort intéressante préface de Rémi Brague. Le caractère universitaire d’un tel travail ne saurait décourager le non-initié. Car il donne de précieuses indications sur la vision chrétienne de l’histoire de Benoît XVI et sur sa perception de l’Église.
Et là sans doute, nous pouvons retrouver nos deux derniers papes, avec le même amour de l’Église, qui s’explique par leur mystique, ou encore la dimension eschatologique du temps où celle-ci est engagée. Ceux qui n’ont pas les moyens d’entrer dans cette autre dimension risquent de ne pas comprendre grand-chose à la conception que Jean-Paul II et Benoît XVI ont eu de leur mission. Même le conclave à venir ne peut être ramené à des intrigues de couloir et aux supposées manœuvres de la Curie romaine. Il s’y joue bien autre chose. Mais pour le saisir, il faut peut-être se familiariser, faute de l’empathie surnaturelle du peuple de Dieu, de la grande pensée théologique en rapport avec le mystère de l’Église.