Deux égale zéro - France Catholique
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La justice de Dieu
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Deux égale zéro

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« On ne peut servir deux maîtres,» nous a dit le Seigneur, c’est la première remarque venant à l’esprit à propos de la « Démocratie Chrétienne ». La preuve se trouve dans dans le potage de l’Histoire. Je ne fais pas allusion à l’Histoire mondiale, mais à sa minuscule parcelle traitant du mouvement de la Démocratie Chrétienne, qui fit ses premiers pas en Europe vers la fin du dix-neuvième siècle, et, encore à la mode, participe à la vie parlementaire de nombreux pays.

En fait l’Internationale Démo-Chrétienne, se classe seconde en importance derrière l’Internationale socialiste. Et si on compte les partis qui s’en réclament elle forme actuellement le groupe le plus important au parlement européen. Elle a marqué le vingtième siècle — même sous le titre, depuis 1976, de « Parti Populaire Européen ». C’est le parti de centre-droit, qu’on pourrait appeler aux USA « parti conservateur ».

Sauf qu’il ne l’est pas. Ni, loin de là, le mouvement Chrétien-Démocrate de par le monde (y-compris aux USA un petit rassemblement sous ce titre), ne peut être pris pour « conservateur » au sens propre, ni passer pour tel aux yeux d’un homme politique de ce côté de l’Atlantique. Une large tradition de Démocratie Chrétienne a grandi en Amérique latine, par exemple, qui s’associa à la « théologie de la libération », ce qui pour l’observateur extérieur, est le seul repère évoquant le terme de « chrétien ».

En Europe, cependant, adhèrent volontiers au parti les gens gênés par l’avortement, le mariage gay et autres sujets du même ordre, mais qui sont prêts à accepter des compromis. Et pourtant, ils ne lâcheront rien sur les questions « sociales ». Partout, en principe comme en pratique, il faut que l’État soit le pourvoyeur universel de soins de santé, et ce n’est qu’un début.

En se référant aux sources classiques, on peut trouver dans la Démocratie Chrétienne des positions plutôt conservatrices sur les questions sociales, et aussi plutôt pas; plutôt libérales sur les « droits de l’homme », et aussi plutôt pas; plutôt socialistes quant au contrôle des marchés, et aussi plutôt pas. La position vis-à-vis de la lutte des classes marxiste peut se résumer ainsi : plutôt pour, et aussi pas vraiment pour.

Mais la généralisation ci-dessus se traduit par un rapide coup de balai qui laisse pas mal de poussière sous le tapis, selon les pays et les régions. En ce qui concerne l’Europe, on aboutit à un flot, un verbiage englobant des concepts tels que « l’économie sociale de marché » aboutissant à la tautologie dans les bons jours, et, dans les mauvais, à la conclusion contradictoire.

Retenons, c’est un point historique intéressant, que les pionniers de la Démocratie Chrétienne voici environ un siècle soutenaient un mouvement politique nommé en Anglais « Distributism » (Distributivité). Ils ne visaient pas le succès électoral à tout prix, mais voulaient proposer une alternative décentralisée explicitement chrétienne à la fois au socialisme et au « laisser-faire » [en français dans le texte = libéralisme dans l’acception européenne du terme].

Tout ceci bien avant l’ajout « vert » à une structure verticale se réclamant fondamentalement de la « subsidiarité ». Le mot demeure dans de nombreux manifestes de partis, fantôme du passé. Tout récemment, vers la fin de la décennie 1940-1950, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi et Robert Schumann (à la tête de la Démocratie Chrétienne en Allemagne, Italie et France) prônaient une espèce de subsidiarité la tête en bas dans le chaos de l’après-guerre.

En vérité, le miracle économique qui a relevé de ses cendres l’Europe d’après-guerre doit beaucoup à ce que j’appellerai la « distributivité accidentelle ». Il a découlé de la déroute de la bureaucratie centrale — moins grâce à l’action des politiciens qu’en raison des événements. D’autre part, les dirigeants de la Démocratie Chrétienne se trouvaient parmi les pères fondateurs du pacte supra-national de l’OTAN, élaboré contre l’impérialisme soviétique, et de la naissante Communauté Européenne amorcée dans le continent par un marché commun du charbon et de l’acier.

Une paix perpétuelle, tel était l’objectif, et tous, de Dante Alighieri à Emmanuel Kant, étaient cités comme auteurs d’ingénieux projets d’unité dans la diversité. On invoquait toujours l’héritage chrétien de l’Europe avec des relents d’idéalisme récurrent jusque vers les années 1960.

Il fallait servir deux maîtres, le « Chrétien » et le « Démocrate ». Au plus fort de la guerre froide on ne voyait là aucune forme de contradiction. Souvenir de jeunesse, je me rappelle cette atmosphère particulière, alors que je sirotais mon eau d’Évian à la terrasse d’un café parisien avec mon cher papa, il y a bien longtemps. Pour autant que je m’en souvienne, le sentiment dominant était: « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » mais sans la vue divine de chrétienté que je découvrirais plus tard en rencontrant Julienne de Norwich [Mystique, 1342 – 1416].

Il n’y a pas plus d’une dizaine d’années j’ai été ému par le ton familier avec lequel feu Otto de Habsbourg — chassé du trône austro-hongrois, mais devenu une tête éminente de la Démocratie Chrétienne — s’adressait à une audience de militants bavarois. Il disait que chacun semblait saisir l’importance du mot « Démocrate » dans le titre du parti mais que bien peu se souciaient de la part « Chrétienne ». Il s’efforçait de la restaurer dans un esprit festif, mais il était alors un grand vieillard.

La sécularisation de son parti se poursuivit, selon l’idée qu’il ne fallait pas s’aliéner des alliés potentiels séduits par l’idée politique de « centre-droite » mais chrétiens ni en pratique, ni en théorie. Plutôt que les convertir au christianisme, il était plus facile de se séculariser.

Comme m’expliquait un politicien allemand (consciemment chrétien) du CDU : « Il faut être raisonnable, la démocratie a besoin de coalitions. Sans quoi, on ne peut gagner ».

Ce qui nous ramène à la déclaration du Christ, que je citais en début d’article. « On ne peut servir deux maîtres.» Ou bien le parti est chrétien sans ambiguïté, décidé à vaincre ou à perdre sur cette ligne, ou bien il servira quelque autre dieu.

http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/double-is-nothing.html