Deus Absconditus (Dieu caché) - France Catholique
Edit Template
« Ô Marie conçue sans péché »
Edit Template

Deus Absconditus (Dieu caché)

Copier le lien
Mgr Lemaître (à droite), août 1938

Mgr Lemaître (à droite), août 1938

« On ne peut comprendre la physique moderne » me disait il y a quelques années un physicien spécialiste des particules, un sage, semble-t-il. Je l’ai pris au mot.

Je pouvais le croire parce qu’il enseignait la physique des particules à l’Université de Toronto. Je me disais qu’on doit sans doute posséder des qualifications pour cet emploi, et que pour l’obtenir, je suppose, on doit passer un examen.

Mais comprendre quelque chose et passer un examen sont, comme l’apprennent finalement beaucoup d’étudiants, deux choses différentes. Et l’une peut être incompatible avec l’autre.

Prenons comme exemple en physique la théorie du « Big Bang », qui (dans l’avenir prévisible) triomphera quant à la plausibilité de tous les autres récits de l’origine cosmique. Comme toute autre théorie de l’origine cosmique, cela ne nous dit pas en fait comment le monde a commencé. Cela ne peut prétendre être « fait scientifique établi » ; ce sont des non-scientifiques qui le prétendent.

Qu’est-ce qui est arrivé avant le Big Bang ? La foi religieuse (non scientifique) peut suggérer qu’avant il y avait Dieu, et qu’il était « la singularité ». Mais « singularité » ne convient pas pour Dieu ; ce n’est qu’un mot.

La vérité est que nous n’avons pas, et ne pouvons avoir, un indice de ce qu’il pouvait y avoir avant. Ce n’est pas seulement indétectable. C’est inimaginable.

Mgr Georges Lemaître, prêtre catholique belge et physicien de génie qui fit le premier l’hypothèse du Big Bang, eut affaire à un pape enthousiaste de la science et qui adhéra à la théorie de Lemaître, trop vite et trop entièrement. Lemaître lui-même dut freiner l’enthousiasme de Pie XII, car il pensait (comme beaucoup le font encore) que l’homme était sur le point de prouver Dieu, par la science.

Lemaître admettait que sa théorie cosmique était en harmonie avec le récit de la Genèse, mais il savait qu’harmonie n’est pas identité. Le premier Concile du Vatican avait eu à s’occuper de cela, dans sa présentation de fides et ratio. Il avait condamné le rationalisme, en l’absence de foi ; mais il avait également condamné le fidéisme, qui est la foi sans la raison

Cette erreur est la plus commune aujourd’hui, et c’est pourquoi, je le soupçonne, les gens, y compris des scientifiques, aiment à s’y laisser prendre, sans réfléchir. Mais, comme les autres hérésies, on peut faire la culbute de l’autre côté.

Mgr Lemaître – un homme vraiment remarquable – possédant une vaste culture, comme on peut l’apprendre de l’excellente biographie de Dominique Lambert – était un dénonciateur d’erreurs, sans concession. Le pape ne fut pas le seul dont il rectifia la doctrine catholique. On sait qu’il rectifia également en physique la doctrine d’Albert Einstein. L’univers statique d’Einstein était contradictoire avec sa propre théorie de la relativité. Lemaître lui montra que celle-ci ne pouvait s’accorder qu’avec un univers en expansion. Cela prit quelque temps à Einstein pour réaliser qu’il avait tort, tandis que Pie XII révisa très vite sa doctrine catholique.

Lui, le pape Pie XII, était tombé dans le « concordisme » comme nous l’appelons aujourd’hui ; une des hérésies catholiques les plus douces bien que potentiellement mortelle. C’est la croyance que le mode naturel, tel qu’il est décrit dans l’Ecriture, peut être décrit scientifiquement de la même façon.
*

C’est une constante tentation (comme d’autres hérésies) d’imaginer que Dieu, l’inspirateur final de la Bible, anticipait les développements pour les siècles suivants, laissant, pour les besoins de la science future, des difficultés à analyser dans ses laboratoires.

Dieu, je pense qu’on peut le dire, n’est pas tellement ami de ces pauvretés. Les vérités surnaturelles ne s’identifient pas aux vérités naturelles, bien qu’elles puissent être en harmonie. En réalité, l’Ecriture va jusqu’à le suggérer, je m’en rends compte, en lisant Isaïe.

Mais c’est un affect de poésie plutôt que de science.

Ajoutons que dire que l’Ecriture est une œuvre poétique n’est pas la rabaisser. Car la poésie peut être moins accessible que la science aux gens qui ont été éduqués dans des conditions modernes. Nous commençons à peine à apprécier son rôle dans la compréhension du monde créé par Dieu.

La poésie n’est pas « seulement des mots », comme saint Jean l’évangéliste n’est pas simplement un jongleur de mots. (Il y a tant de grandes choses que nous aurons à réapprendre).

Même ce qui est littéralement vrai peut s’élever au poétique, en présence du divin. Jésus lui-même était, au même moment, un paysan de Palestine et Notre Sauveur. Il n’était pas Lui-même réductible à des facteurs biologiques, comme aucun d’entre nous. La « personne » que nous décrivons par des mots, n’est pas un simple objet matériel, et ne peut être rejetée comme si elle l’était. Sa description complète doit finalement passer au-delà de la science, comme la plupart des scientifiques le comprennent.

Et c’est la même chose pour l’univers et son Big Bang. La description de Lemaître de l’« œuf cosmique infinitésimal » dont il jaillit, sert de métaphore et, par les mathématiques, comme une forme de poésie, qui s’ajoute au récit de la Genèse. Et il en sera ainsi même si la Genèse était acceptée comme littéralement vraie : quant à la vérité scientifique, ce serait encore autre chose.

Mais ce qui est arrivé « réellement » au commencement de la Genèse est quelque chose que dans notre condition présente et naturelle, nous ne pouvons connaître, parce que, bien sûr, nous n’étions pas là quand l’univers s’est formé.

Et la foi n’exige pas de nous que nous prétendions savoir ce que nous ne savons pas. Seul un fidéiste peut aller aussi loin en pénétrant dans le monde du concordisme.

Car, soyons catholiques un instant. Dieu n’attend pas de nous que nous mentions pour la cause de la religion, ni pour aucune autre cause. Nous ne pouvons pas proclamer, ou suggérer timidement, une connaissance qui est au-delà de nos moyens. Nous acceptons la tradition et l’acceptons dans ses propres limites, qui sont déjà assez exorbitantes – sans diminuer ni gonfler ses exigences à notre égard.

Si, comme l’affirment les chrétiens, il y a un Dieu qui peut être entr’aperçu dans Jésus-Christ mort et vivant, nous acceptons Sa divinité, et son autorité. Mais nous n’affirmons pas que nous sommes Christ, si notre foi est correctement assumée.

Revenant à ce professeur de physique dont le métier était d’enseigner ce qu’il ne comprenait pas parfaitement, j’y trouve un certaine signification. Nous devons rester modestes quand nous sommes confrontés à de choses surnaturelles. Et comme Lemaître, nous devrions savoir ce que nous ne pouvons savoir.