Dans le New York Times du 23 avril 1978, Malcolm Muggeridge a publié une « libre opinion », intitulée « 2 propositions pour un 75ème anniversaire ». Qu’il ait été invité à le faire et ait été autorisé à publier la proposition 23, prouve que les choses vont relativement mieux : « Hélas, l’inhumanité terrible de l’humain ! Le massacre des innocents par Hérode était négligeable comparé aux millions de bébés massacrés par les procédures de l’avortement légal qui existent maintenant presque partout. Et aussi, dans le domaine de l’euthanasie légalisée les réalisations des Nazis pâlissent jusqu’à l’insignifiance. A Nuremberg la pratique nazie de l’euthanasie légalisée a été condamnée comme un crime de guerre. Il a donc fallu trente ans pour transformer un crime de guerre en un acte de compassion. » Je doute que les gardiens qui examinent aujourd’hui « Toutes les nouvelles qui sont bonnes à imprimer » laisseraient passer cela.
En 1978 j’étais étudiant au Dartmouth College et j’ai eu le privilège d’y entendre Muggeridge à deux reprises. J’ai lu son livre magnifique Something Beautiful for God qui révéla la sainteté et l’amour de Mère Teresa de Calcutta, qui devait être bientôt canonisée. Le livre était le fruit d’un programme TV que Muggeridge fit sur la sainte amie des pauvres. Quand il devint catholique, Mère Teresa lui dit qu’elle désirait être présente à sa Première Communion. C’est probablement ce qu’il voulait entendre d’elle.
J’ai fait au moment de sa seconde visite la recension de son Jésus : The Man who Lives pour le journal du campus et je lui dis combien j’avais pris plaisir à lire le livre. Il répondit qu’il ne lisait jamais le livre dont il devait faire la recension ; il se renseignait simplement sur la période de l’histoire dont il était question dans le livre et racontait quelques anecdotes qu’il connaissait sur cette période. Je pris cette remarque en partie pour une plaisanterie, mais elle n’était pas entièrement fausse.
Dans cette vallée de larmes humour et sainteté donne de la joie de vivre. Muggeridge écrivait dans la proposition 10 : « L’extase mystique et le rire sont les deux grands plaisirs de la vie, et les saints et les clowns, qui les procurent, sont les deux seules catégories d’êtres humains auxquels on peut faire confiance pour dire la vérité. D’où les clochers et les gargouilles côte à côte dans les grandes cathédrales. » L’image est frappante. L’homme élève son regard vers le ciel en suivant la montée de la flèche, tandis que les gargouilles jettent leur regard de dérision sur les hommes occupés à bien des choses en oubliant souvent qu’une seule chose est nécessaire : trouver l’Un que recherche ceux dont la recherche est guidée par la direction des flèches.
Ses adversaires peuvent avoir écarté Muggeridge comme un fou ou un rêveur mystique. Je suis sûr qu’il n’en était pas offensé. C’est le prix à payer pour dire la vérité. Qui sinon le bouffon de cour ou le saint Confesseur du roi, pourrait dire au roi gravement trompé qui fait parade devant la cour de ses vêtements à la dernière mode, qu’il est en réalité totalement nu, tandis que les autres spectateurs gardent par intérêt un silence terrifié et coupable ?
Les saints et les clowns savent comment rire parce qu’ils voient les choses telles qu’elles sont, et donc relèvent les inévitables incongruités du comportement humain dans un monde déchu. Rire et pleurer ouvrent l’un comme l’autre la possibilité de changement dans nos vies. C’est le fanatique qui ne peut pas rire, ou pleurer. Le saint peut faire les deux, souvent.
Saints et clowns n’ont pas peur de dire la vérité parce qu’ils savent que seule la vérité libèrent les hommes d’eux-mêmes, cette source constante de leurs misères les plus communes. La vérité nous libère des illusions et des préjugés. Le saint exige notre attention ; la promesse que fait le clown de divertir attire toujours une audience. Quand nous entendons la vérité de l’un ou de l’autre, la chance nous est donnée de faire quelque chose de différent dans nos vies.
Les honnêtes gens ont toujours faim de la vérité. Ils savent qu’entendre la vérité est nécessaire pour agir dans la vérité. L’amour de la vérité nous fait aller au-devant de tous les sacrifices qui sont nécessaires pour vivre nos vies en accord avec la vérité.
Le politiquement correct est une tentative sans humour de supprimer la vérité en imposant la société une série de slogans qu’on ne doit pas mettre en question, mais dont a besoin la réalisation de différents programmes discutables. Ceux qui ne sont pas très sûrs de pouvoir faire prévaloir leurs idées sur la place publique doivent prétendre que leurs positions sont inattaquables et donc obligatoires. Le dialogue est remplacé par le monologue, et les gens qui ne sont pas d’accord sont invités à la soumission ou à l’ostracisme.
D’où le besoin pour une société en bonne santé d’écouter les saints et les clowns qui tendent à rendre le puissant mal à l’aise en dépassant les limites admises, limites au-delà desquelles il n’y a que les ténèbres. C’est ce que dit le puissant. La 14 e proposition de Muggeridge présente une autre façon de voir : « Les ténèbres n’existent pas ; c’est simplement une incapacité à voir. »
La vérité est toujours présente pour celui qui la trouve. Parfois cela demande parfois un travail difficile, et cela exige d’accepter d’être surpris, et même foudroyé. Comme avec saint Paul qui faisait route pour une mission qui n’était pas la bonne, Dieu va parfois nous jeter à terre et nous priver de la vue – la façon dont, avant, nous voyions les choses – , simplement pour ouvrir nos yeux à la Voie, la Vérité et la Vie, quand nous Lui avons dit oui.
Dans la proposition 25, Muggeridge écrit : « Dans ses vieux jours saint Thomas d’Aquin s’est trouvé bloqué dans sa Summa Theologica à propos de la pénitence, et il a senti faiblir son courage. Aussi, rapporte un ancien biographe, il suspendit sa harpe aux saules au bord du fleuve parce qu’il avait entrevu le ciel. J’aimerais que cela m’arrive. » Entrevoir le Ciel c’est ce qui nous garde à la fois attachés et pleins d’espoir pour cette vie et la suivante.
Quatre ans après avoir écrit cet article, Muggeridge et sa femme Kitty furent reçus dans l’Eglise catholique. Il reçut Jésus dans la Sainte communion à ce moment (mère Térésa n’était pas présente cependant) et pendant huit années encore. Sa prière fut exaucée. Sa joie était complète. Les saints et les clowns se sont bien amusés.
Lundi 27 juin 2016
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/06/16/of-saints-and-clowns/
Malcolm Muggeridge [© Penny Tweedie/CORBIS]
Pour aller plus loin :
- Souvenirs de Malcolm Muggeridge
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- A propos du projet de loi espagnol sur l’avortement
- Catholiques, on ne veut pas de vous dans l'État de New York
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