On savait que les rapports entre État et Église avaient toujours été tumultueux en France : voyez les Templiers brûlés par Philippe le Bel, les guerres de Religion, Louis XIV et les jansénistes… François-Marin Fleutot nous apprend que sur trente-deux rois capétiens, entre le Xe et le XVIIIe siècle, « presque tous ont eu des démêlés avec l’autorité pontificale et seize d’entre eux ont subi les censures ecclésiastiques : excommunication ou interdit ».
L’interdit est une sanction sérieuse frappant une personne, une église, une province, voire tout un pays. Les sacrements ne pouvaient plus être délivrés. On ne pouvait plus célébrer de fêtes. Or la vie d’Ancien Régime était réglée par ses fêtes innombrables. C’est ce que vécurent les sujets du roi Philippe Auguste, qui refusait de mettre sa femme légitime dans son lit, au grand dam du pape Innocent III.
Outil de dissuasion
L’excommunication était la force de dissuasion des papes, sauf qu’ils s’en servirent avec abondance et pour des sujets qui ne le méritaient pas toujours. François Fleutot exhume ainsi l’excommunication de Louis XIV par le pape Innocent XI, qui ne supportait plus les franchises diplomatiques du quartier entourant l’ambassade de France à Rome – le palais Farnèse –, donc un problème de douane.
Mais au-delà de révélations parfois surprenantes, cette étude donne une trame renouvelée pour comprendre l’identité française. Les successeurs de Clovis se sont toujours considérés comme fils aînés de l’Église catholique, mais n’ont jamais toléré que leur légitimité puisse dépendre d’aucune puissance étrangère. Même celle des papes.
Avec la Pragmatique sanction de Bourges ou le Concordat de Bologne, Charles VII et François Ier, se réservant à nouveau la nomination des évêques et tentant de contrôler les flux d’argent, ont posé les bases d’une Église « gallicane » reconnaissant l’autorité spirituelle du Pape (Auctoritas) mais affirmant la puissance temporelle du Prince (Potestas), selon des catégories remontant au droit romain ou, en tout cas, aux papes du IVe siècle. Contrairement à l’Église anglicane qui, mâtinée de protestantisme, nie l’autorité du Pape, même spirituelle…
Mais le Pape avait aussi sa puissance temporelle, les États pontificaux. Il avait des relations conflictuelles avec l’Empereur romain germanique, le très catholique roi d’Espagne… Ses légistes s’appuyaient sur une « donation de Constantin ». On ne dira jamais assez le mal qu’ont pu faire des juristes toujours tentés de trop prouver. Ainsi en est-il pour les « lois fondamentales » du royaume de France, la prétendue « loi salique » ou le tardif « principe de catholicité ». Malgré ces traficotages, elles furent bien au fondement d’une identité française que la Révolution française devait bouleverser. Encore que, du gallicanisme à la « laïcité à la française », il y a bien des passerelles que l’étude de François Fleutot fera toucher du doigt.
On est vite pris par une histoire qui n’a rien à envier à Game of Thrones par ses retournements scabreux, trahisons, affaires de femmes et d’argent… Paradoxalement sans aucun trémolo psychologique. Les personnages sont dépeints par leurs actions et tout devient clair sans avoir besoin de commenter ou, pire, de juger.
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François-Marin Fleutot, Les rois de France excommuniés. Aux origines de la laïcité, éd. du Cerf, 540 pages, 25 €.