Dans le grand entretien que le Pape a donné à La Croix, le mardi 17 mai, son propos liminaire sur les racines chrétiennes de l’Europe a suscité la controverse. C’est bien dans son tempérament, lui qui aime bousculer les conformismes, mais jamais gratuitement. Le père Matthieu Rougé a fort justement expliqué qu’il cherchait toujours à mettre l’Église en mouvement. Il est vrai que la contrepartie d’une telle attitude, c’est la possibilité de réactions aussi vives que les « provocations » qui les suscitent. Mais préalablement à tout commentaire, il convient de citer les paroles exactes de François : « Il faut parler des racines au pluriel car il y en a tant. En ce sens, quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-Paul II en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds. »
Le Pape rappelle alors la belle figure d’Erich Przywara, qui fut le maître de Romano Guardini et de Hans Urs von Balthasar… mais aussi d’Edith Stein, qui avait tellement insisté sur la dimension du service évangélique. Ce rappel est précieux, tant il est vrai que le message du Christ ne saurait équivaloir à une idéologie qui domine et écrase… A contrario, on pourrait avancer qu’il existe parallèlement une tentation d’effacer la marque que le christianisme a imprimée à l’histoire européenne, précisément au nom d’une idéologie rationaliste dominatrice. Mais François le sait fort bien, qui met par ailleurs en garde contre les exagérations d’une certaine laïcité à la française, qui pourrait aller jusqu’au déni du droit à la transcendance.
Dans le climat actuel, où l’Europe se trouve bousculée dans son identité, un tel débat s’avère hautement utile. Quand Jean-Paul II rappelait à la France en particulier ses origines chrétiennes en partant du baptême de Clovis, certains le soupçonnaient d’avoir en tête une sorte de stratégie de la reconquista, ce qui était très loin de ses intentions. Non, l’esprit évangélique n’agit pas sur les sociétés de manière intrusive, même si des circonstances historiques particulières ont pu créer de graves équivoques sur la mission de l’Église. Aujourd’hui, il s’agit de faire rayonner l’Évangile pour qu’il éclaire les consciences et inspire les conversions intérieures nécessaires. Selon les préceptes du Seigneur, « on n’allume pas la lampe pour la mettre sous un boisseau, mais sur un chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,15). S’il faut parler des racines chrétiennes de l’Europe, le Pape nous convie à les faire vivre au service de tous, il ne s’agit pas de dominer mais de servir.