L’appel des Douze dans l’Evangile devrait nous amener à réfléchir aux priorités de chaque prêtre et de chaque évêque. Après l’Ascension de Jésus et la Descente de l’Esprit Saint, les évêques nouvellement ordonnés ont été appelés à proclamer Jésus Rédempteur, à célébrer les Sacrements en Sa mémoire et à gouverner leurs églises respectives.
Chaque prêtre, évêque et pape devrait, de fait, être « prêtre, prophète et roi », à l’image du Christ, gardant ces fonctions dans cet ordre de priorité. Un prêtre offre et administre les sacrements au nom du peuple. En tant que prophète, un prêtre proclame la Parole de Dieu et exerce son autorité légitime d’enseignement. En tant que roi, un prêtre gouverne l’Eglise avec le Christ comme fondement, selon sa juridiction légitime.
Pourtant, aujourd’hui, il semble y avoir une inversion de ces priorités, ce qui entraine des distorsions notables : ce n’est plus prêtre, prophète et roi avec l’accent mis sur le service, mais plutôt roi, prophète et prêtre avec un accent mis sur l’autorité ecclésiale, le Christ étant largement absent.
La longue histoire du triomphalisme du pape au nom du Christ a pris fin de façon symbolique lorsque le pape Paul VI a décidé d’abandonner la tiare papale (maintenant exposée au Sanctuaire de l’Immaculée Conception à Washington aux Etats-Unis). L’orientation du pape concernant la défense de la chrétienté a également symboliquement pris fin lorsque le Pape Paul VI a rendu au peuple turc le drapeau ottoman capturé lors de la bataille de Lépante au XVIème siècle.
L’incursion du pape dans les affaires du monde au nom du Christ a fait son retour quand le pape St Jean Paul II s’est confronté au communisme. Pour autant, le Christ a toujours été au premier plan dans les références de Jean Paul II aux « pierres vivantes » de l’Eglise, comme pour le renouveau de la Pologne, ou sa confrontation intrépide avec les communistes sandinistes, croix à la main, alors qu’il célébrait la Messe au Nicaragua.
Sous le pontificat actuel, le triomphalisme chrétien audacieux a laissé sa place à un triomphalisme laïc furtif – qui appelle au dialogue, à l’immigration ouverte et à l’environnementalisme, qui sont rarement invoqués par Jésus.
Dans son récent « discours aux autorités au palais de la Moneda (Monnaie) » au Chili, le pape François a complimenté les Chiliens sur leur beau pays et les avancées de la démocratie. Il les a exhortés d’éviter le consumérisme et de régler les problèmes environnementaux. Mais le Saint-Père a repris un modèle établi en Amérique pendant ses discours aux autorités civiles. Il a soigneusement évité de mentionner « Jésus », « le Seigneur » et « Dieu ». En conséquence, et peut-être volontairement, il est apparu avant tout comme un chef d’état en visite officielle, avec un programme politique principalement laïc.
En tant que corps, les évêques américains ont suivi le Saint-Père en poussant les limites de leurs charismes prophétiques et royaux dans l’arène séculière. Les distinctions entre les principes catholiques magistraux et les jugements prudentiels sont parfois clairs. Traiter des lois concernant l’avortement, par exemple, ou des pratiques nazies concernant l’extermination des juifs sont des cas bien définis.
A d’autres moments, des distinctions prudentes ont besoin d’être faites, par exemple, sur le fait qu’il soit moralement acceptable que les politiciens catholiques soutiennent une législation progressivement meilleure (mais pas parfaite) dans l’espoir que le nombre d’avortements diminue. Mais le soutien de l’USCCB (la Conférence des évêques des Etats-Unis) apporté à des politiques d’immigration spécifiques, où il peut y avoir des désaccords raisonnables, est clairement pousser le bouchon trop loin.
Les évêques manquent simplement d’une juridiction dans de telles affaires. Formuler une politique juste sur l’immigration, comme l’application des principes d’une guerre juste, appartient aux laïcs selon Vatican II (« Décret sur l’apostolat des Laïcs »). Donc, les fidèles catholiques n’ont pas besoin de considérer les opinions de l’USCCB comme étant magistérielles et contraignantes, mais plutôt de les considérer comme les opinions de leurs concitoyens.
En revendiquant toujours plus leur autorité propre, les évêques se tournent involontairement vers une nouvelle forme d’égalitarisme ecclésial, dans laquelle les déclarations épiscopales n’auront pas plus de poids qu’un document de positionnement sur un sujet précis d’un groupe d’experts de Washington.
L’effet domino sur les prêtres a été corrosif. Au fil des décennies, il est devenu presque irrésistible pour des prêtres ordinaires de s’engager dans diverses formes de posture politiques, en empiétant clairement sur les droits des fidèles. Mais à part la politique, cette attitude encourage la supposition erronée que l’homélie (la partie de la fonction prophétique des prêtres) est centrale dans la messe. Ce n’est pas le cas. (Même si ce serait un grand service aux fidèles que tous les prêtres prennent la préparation de leur homélie plus au sérieux).
Le plus grand service d’un prêtre est la célébration et l’administration respectueuses des sacrements, avec la distribution et la réception de la Sainte Communion comme point culminant de son ministère presbytéral. L’homélie vient de Jésus et des Ecritures et doit être prise au sérieux pour ces raisons seules.
Quand j’étais jeune et que je n’avais pas encore ordonné, j’ai assisté à plusieurs messes privées, célébrées par un prêtre âgé qui souffrait de démence. Il était profondément respectueux, révélant la dévotion habituelle d’une vie entière. Ses homélies étaient toujours religieuses et occasionnellement plutôt amusantes. Un jour, il a solennellement excommunié l’archevêque et « installé » le pasteur comme remplaçant. Le pasteur n’a pas protesté.
Malgré la démence, ce prêtre a montré les bonnes priorités à avoir. En imitant le Christ, il a d’abord été prêtre, puis prophète et enfin roi. Il a peut-être perdu la capacité de prophète et de roi, mais la fonction presbytérale est restée intacte. Et il a distribué la Sainte Communion pour la sanctification des personnes présentes.
Je pense qu’il y a un nombre incalculable de fidèles catholiques qui préféreraient ce prêtre et sa démence à des pasteurs politiciens et activistes, et qui plus est, destructeurs de la liturgie.
Quand le bien-aimé pape Benoît XVI a démissionné, son ami le cardinal François Arinze a remarqué tristement que cette démission « aiderait de nombreuses personnes à mûrir dans notre foi … nous aiderait tous à être plus profonds dans notre foi, et à être aussi, disons, moins sentimentaux. » Il ajoutait : « Notre foi n’est pas fondée sur le pape, elle est en Christ, qui est le fondement de l’Eglise. »
Mercredi 24 janvier 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/01/24/of-popes-bishops-and-the-bridge-too-far/
Image : Feu du ciel, Le Sacrifice d’Elie devant les Prêtres de Baal par Domenico Fetti, c. 1631 [Hampton Court Palace, Londres]
Le Père Jerry J. Pokorsky est un prêtre du diocèse d’Arlington. Il est pasteur de la paroisse Ste Catherine de Sienne à Great Falle en Virginie, aux Etats-Unis.