Durant les quatre décennies qui ont suivi le document novateur du pape Paul VI Evangelii Nuntiandi publié en 1975, on a beaucoup dit et écrit sur l’évangélisation. Et de nombreux programmes d’évangélisation ont été lancés.
Je ne minimise pas ces efforts. Certains – « Viens à la maison pour Noël » et autres programmes similaires visant les catholiques non-pratiquants viennent à l’esprit – pourraient vraiment faire du bien en ramenant du monde à la bergerie.
Mais c’est un fait décevant, tous ces mots et grands programmes, et même le très célébré par les journalistes « effet François » n’ont pas jugulé le déclin numérique de l’Eglise aux USA et dans les pays qui leur ressemblent, où le sécularisme est établi et en expansion.
Cela mène à une remise en cause évidente. On a besoin d’évangélisation, mais les livres, les homélies, les lettres pastorales et les grands programmes novateurs ne semblent pas fonctionner très bien. Pendant ce temps la culture séculière est devenue un obstacle passif – et parfois actif – au message chrétien. Alors ? Comment pouvons-nous évangéliser ?
Je ruminais ces problèmes quand quelque chose s’est passé qui m’a offert la piste d’une solution réalisable, bien que difficile, je l’avoue. Elle se trouve dans le huitième livre des Confessions de saint Augustin, dans son récit du moment paroxystique de sa conversion.
Nous sommes en 386 après Jésus-Christ. Sous l’influence de l’évêque Ambroise de Milan, le jeune Augustin, brillant professeur de rhétorique, est convaincu qu’il devrait être baptisé, mais son style de vie dissolu fait obstacle. Un jour, étant au supplice de sa situation, il sort dans le jardin de la maison qu’il habite et répand « un torrent de larmes ». Désemparé, il se jette par terre sous un figuier et là il prie : « combien de temps, combien de temps ?… pourquoi n’y a-t-il pas à cette heure de fin à mon impureté ? ».
Alors, quelque chose d’étrange se produit. Augustin entend la voix d’un enfant qui lui parvient par-dessus le mur du jardin, répétant – psalmodiant même, dit Augustin – les mots : tolle lege, tolle lege (prends et lis, prends et lis!). Considérant que c’est un message de Dieu, il prend une bible et lit le premier passage qui lui tombe sous les yeux :
Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans ripailles ni beuveries, sans orgies ni débauches, sans disputes ni jalousies. Mais revêtez le Christ Jésus et ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour satisfaire ses désirs égoïstes. (Romains 13:13-14)
Cela a suffit pour Augustin. Dieu avait son homme.
Maintenant, considérons cette voix qu’entend Augustin. Certains pensent que c’était Dieu qui lui parlait directement. Mais supposons que c’était un enfant véritable, de chair et de sang. Dans ce cas, nous avons un modèle bien utile pour l’évangélisation.
Comment, c’est ce que je vais vous expliquer dans un moment. Mais d’abord laissez-moi rappeler combien l’évangélisation est devenue difficile ces derniers temps. Près d’un Américain sur quatre n’est affilié à aucune église, le plus grand nombre depuis que ces statistiques ont débuté. La baisse parmi les catholiques a été particulièrement forte. (25 millions d’Américains s’identifient comme d’ex-catholiques dans un sondage de l’an passé.)
Il y a également de sérieux problèmes parmi ceux qui se déclarent toujours catholiques. Les nouvelles vocations pour la prêtrise et la vie religieuse sont en chute libre (3650 séminaristes l’an passé, à comparer aux 8325 d’il y a cinquante ans). L’assistance à la messe dominicale ne cesse de baisser, tout comme les mariages catholiques et les baptêmes d’enfants.
Ce n’est pas non plus un déclin survenu dans le passé et stabilisé depuis. Cela continue maintenant. En 2008, 50% de la génération catholique du millénaire recevait les cendres lors du Mercredi des Cendres. Ils n’étaient plus que 41% cette année. Les Cendres ne sont pas l’alpha et l’oméga de la pratique religieuse catholique, mais un signe de plus que quelque chose ne va vraiment pas.
Il y a de nombreuses explications, parmi lesquelles les dégâts causés par des croyants pleins de bonnes intentions. Dans le Time Magazine, le révérend docteur Serene Jones, président du séminaire d’union théologique de New York proposait une définition de la théologie comme « rien d’autre que de grandes histoires que nous nous racontons à nous-mêmes sur l’univers et le sens de nos vies ». Pas mal de monde parle ainsi de nos jours. Mais franchement, ce sont « seulement des histoires » ?
On a eu l’habitude de dire que la théologie était l’effort rationnel et systématique pour approfondir la compréhension de la vérité révélée par Dieu. Et la vérité est au cœur de l’évangélisation. Les gens demandent les histoires aux auteurs de fiction. L’évangélisation consiste à prêcher la vérité sur le Christ.
Mais comment ?
Regardons à nouveau l’expérience de Saint Augustin. Dieu se sert d’Ambroise pour toucher le cœur d’Augustin, mais il se sert également d’un enfant, tout comme il peut se servir de nous pour toucher ceux qui nous environnent. Une prière de Newman exprime puissamment cette pensée :
J’ai une mission – il se peut que je ne le sache jamais durant cette vie mais cela me sera dit dans la vie future. Je suis le maillon d’une chaîne. Un lien entre des personnes. Il ne m’a pas créé pour rien. Je dois faire le bien. Je dois faire Son œuvre. Je dois être un ange de paix, un prédicateur de vérité là où je suis même si je n’ai pas eu l’intention de le faire, rien qu’en gardant ses commandements.
Un exemple : j’ai récemment rencontré un prêtre qui m’a dit qu’il avait lu l’un de mes livres il y a des années et que « ce livre est la raison pour laquelle je suis prêtre aujourd’hui ». Quand cela arrive, comme c’est le cas de temps à autre, vous prenez conscience que Dieu a atteint quelqu’un à travers vous. D’autres auteurs rapportent la même chose.
Ce ne sont cependant pas que les auteurs. Les prêtres l’expérimentent aussi. Et aussi les enseignants et bien d’autres – potentiellement, chacun d’entre nous. Dieu se sert de nous comme d’instruments. Nous sommes des maillons dans une grande chaîne que Dieu ne cesse de forger. Et si vous y réfléchissez, cela signifie que des gens ordinaires, vivant dans le monde de façon chrétienne, sont les premiers agents d’évangélisation.
Mais pas en étant moralisateurs ou prétentieux. Saint Josemaria Escriva, fondateur de l’Opus Dei, disait que la tâche était simplement de montrer « la différence entre vivre tristement et vivre joyeusement… entre être du monde et être enfant de Dieu ». Pour cela, nous avons besoin d’une formation continue, d’une intense vie intérieure et de beaucoup de bonne volonté ; Ainsi équipés, nous pouvons laisser le reste à Dieu.
Russell Shaw est l’auteur de plusieurs livres.
Illustration : La conversion de Saint Augustin par Fra Angelico, vers 1450 [musée des Beaux-Arts Thomas Henry – Cherbourg]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2016/10/16/links-in-the-chain/