Il n’est pas trop tard, deux jours après, pour revenir sur le grand prix du festival de Cannes, attribué au film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux qui évoque l’histoire des moines de Tibéhirine. Beaucoup ont cru d’ailleurs qu’il recevrait la palme d’or, récompense suprême.
L’hebdomadaire Le Point n’avait-il pas parlé à son propos de « palme évidente » et Le Figaro chaleureusement plaidé sa cause ? Mais le Grand Prix n’est, d’évidence, pas négligeable, et il promet une belle carrière à un film qui a ému le public privilégié de Cannes. N’en faisant pas partie, je ne l’ai évidemment pas vu, mais j’ai pu lire toutes les critiques le concernant et regarder les extraits choisis à la télévision. J’ai aussi eu l’avis de deux amis, grands professionnels de la critique cinéma, qui étaient sur place et ont été subjugués.
Pour réussir un tel sujet, il fallait une totale empathie, pour le réalisateur et ses acteurs, avec cette communauté monastique établie dans l’Atlas. Nous savons que Lambert Wilson, Michaël Lonsdale et leurs compagnons sont allés vivre quelques jours à l’abbaye de Tamié dans les Alpes, pour s’imprégner du climat d’une communauté Cistercienne, avec sa liturgie, sa vie fraternelle. Il leur fallait, de plus, se mettre dans le contexte local de 1996, où l’Algérie est en pleine guerre civile et où une menace directe plane sur le monastère.
On sait que les moines de Tibéhirine ont fait le choix héroïque de rester au milieu d’une population musulmane qui leur était très attachée et qu’ils n’ont pas voulu abandonner. C’est ce qui leur a valu la palme du martyre, avec cet enlèvement qui a bouleversé le monde entier. Cela se passait donc en 1996, il y a quatorze ans déjà. On sait qu’il y a polémique sur les circonstances de la mort des sept moines cisterciens. Mais l’essentiel est bien dans le témoignage donné par Christian de Chergé et ses compagnons qui pressentaient le sort qui les attendait. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » : c’est le message de l’Évangile vécu jusqu’au bout et qui défie toutes les logiques de la haine et du fanatisme. Non, il n’est pas vrai que les religions sont forcément « meurtrières », pour reprendre le titre de l’essai d’Élie Barnavi. Il est vrai que la violence religieuse a été un thème récurrent en toute notre époque et qu’il a été encore renforcé par le 11 septembre 2001. Mais le témoignage de ces religieux fait signe pour montrer que la présence de Dieu parmi les hommes, c’est tout autre chose que la montée de la violence, c’est la pure offrande de soi pour l’amour des autres, et non pas le fanatisme qui défie l’honneur de Dieu et la fraternité des hommes.
Dans le passé, le jury du festival de Cannes n’a pas hésité à attribuer sa palme d’or à des films que l’on pourrait dire religieux. Je pense à Thérèse d’Alain Cavalier en 1986. L’année suivante il y avait eu Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat d’après le roman de Georges Bernanos. C’est donc que l’art peut très bien se saisir des sujets les plus difficiles, les plus délicats et parfois les plus mystiques, alors que l’époque semble être très éloignée des préoccupations spirituelles. Mais c’est la liberté supérieure de l’artiste que de secouer les conformismes et d’introduire à une autre dimension de l’existence qui, parfois, s’appelle la sainteté, le don suprême par amour qui a déjà conquis sa palme. Les moines de Tibéhirine, avant le film de Xavier Beauvois, avaient déjà conquis la leur.
mardi 25 mai 2010