Le motu proprio publié le 9 mai dernier par le pape François – Vos estis lux mundi – ne contient pas tout ce que l’Église des États-Unis aurait pu espérer, mais c’est aussi beaucoup plus que ce à quoi l’on s’attendait. Et c’est un grand pas en avant pour l’Église mondiale, dont une grande partie est encore à la traîne de celle des États-Unis en ce qui concerne le traitement des allégations d’abus sexuels par des clercs.
L’Église dispose maintenant d’une norme universelle pour traiter les accusations de mauvaise conduite formulées contre des évêques, comprenant non seulement les abus sexuels mais aussi la mauvaise gestion et la dissimulation d’accusations d’abus. Elle étend la définition d’« adulte vulnérable » en y incluant l’abus de pouvoir et la contrainte par des supérieurs religieux. Elle met en place l’exigence de déclaration obligatoire pour tous les membres du clergé, des protections pour ceux qui rendent compte d’abus, et l’interdiction de l’imposition du silence à ceux qui voudraient signaler des abus.
Un grande partie de l’efficacité du document dépendra de sa mise en œuvre. Comme le père Murray et d’autres l’ont souligné, des fossés et des imprécisions demeurent, qui vont devoir être comblés et clarifiées. Et comme nous l’avons vu très clairement, ce n’est pas parce qu’un problème est signalé à Rome qu’il est garanti qu’il sera traitée rapidement ou avec un minimum de transparence. Cependant, ce n’est pas un mince exploit que d’avoir mis en place une telle réforme, au moins d’avoir publié des textes, moins d’un an après la fin du scandale McCarrick.
Une inquiétude soulevée par Vos estis est le rôle limité réservé aux laïcs en cas de malversation épiscopale. Vos estis adopte une version du soi-disant « modèle métropolitain » selon lequel les accusations contre un évêque sont du ressort du métropolitain de la province ecclésiastique concernée. Si les accusations concernent le métropolitain lui-même, elles doivent être traitées par le plus anciens de ses suffragants.
Au regard du contexte, que des évêques enquêtent sur des évêques peut susciter une légitime réserve. Vos estis autorise l’implication des laïcs dans de telles enquêtes mais ne l’exige pas.
La réunion à Baltimore en juin dernier de la conférence épiscopale des Etats-Unis a été l’occasion pour les évêques américains de bâtir sur le cadre fourni par Vos estis. L’un des enjeux était de renforcer l’implication des laïcs dans l’examen des accusations contre des évêques.
Un autre aspect de Vos estis qui appelle à la vigilance est l’exigence de déclaration. Vos estis stipule que tout membre du clergé, y compris un évêque, qui n’a même qu’« une bonne raison de croire » qu’un abus a été commis, doit déclarer cet abus. Cela inclut l’abus sur « adulte vulnérable » selon la définition nouvellement élargie (disposition qui concerne notamment les séminaristes). L’exigence de signalement s’étend même aux cas où un clerc a interféré ou évité – par omission ou commission – des investigations civiles ou canoniques sur des accusations d’abus.
Il n’existe aucun moyen de savoir avec quelle rigueur cette déclaration obligatoire sera respectée. Et le motu proprio ne mentionne pas les sanctions en cas de manquement au signalement. Mais le résultat est que chaque cas d’abus, et chaque manquement des évêques dans le traitement des abus et des enquêtes, doivent maintenant être signalés.
Depuis des années, et surtout depuis les révélations de l’été 2018 sur Theodore McCarrick, les catholiques exigent une totale transparence : qui savait quoi, et depuis quand ? Personne ne sait combien de cas d’abus, ou de mauvaise gestion de cas d’abus, n’ont pas été signalés pendant des décennies. Le nouveau motu proprio sera peut-être le déclencheur de nouveaux signalements.
Le prêtre qui se souvient d’effrayantes manigances de l’équipe de formation lors de ses années de séminaire et qui n’en a jamais parlé, est désormais tenu de le signaler. Le prêtre qui a travaillé à la chancellerie et fut quasi sûr que son évêque déplaçait des prêtres abuseurs pour leur éviter des ennuis avec la loi doit le signaler. L’évêque qui avait des raisons de croire que son frère évêque profitait des séminaristes ou fermait les yeux ? Le frère religieux qui fut sexuellement harcelé ? Tous sont obligés d’effectuer un signalement.
Bien sûr, les laïcs, hommes ou femmes, ne sont pas soumis à la même exigence de signalement, mais ils sont libres de le faire. L’insistance du motu proprio sur la protection de ceux qui signalent, et son interdiction du silence imposé à ceux qui pourraient sans cela rendre compte, peut transformer en torrent le ruisseau de nouveaux signalements.
Peut-être suis-je trop cynique sur le nombre des cadavres dans les placards que compte l’Église catholique américaine. Peut-être ne suis-je pas assez cynique sur les réticences des membres du clergé à signaler des incidents anciens qui peuvent ne pas les avoir concernés directement, juste parce qu’un nouveau motu proprio les enjoint de le faire. Peut-être.
Mais je pense que les chancelleries peuvent s’attendre à des lendemains chargés.
SI les chancelleries vont être occupées, je suppose que Rome sera inondée. Non seulement ils peuvent s’attendre à une série de cas nouveaux, mais Vos estis concerne in fine la Curie. Lorsqu’un signalement contre un évêque parvient à Rome, le dicastère concerné par le cas dispose de trente jours pour répondre, avec des instructions sur la manière de procéder. Le Métropolitain (ou le plus ancien des suffragants) qui enquête sur un cas dispose de quatre-vingt-dix jours pour le faire, et doit envoyer un compte rendu mensuel de l’enquête à Rome.
Ici, aux États-Unis, l’essentiel des infrastructures nécessaires pour traiter ces cas et ces enquêtes existe déjà. Mais ce n’est pas le cas dans de nombreuses parties du monde. Si les Américains sont enclins à pousser leurs évêques à faire vite et à être aussi offensifs que possibles dans l’application de Vos estis, l’application et la mise en œuvre du motu proprio dans d’autres parties du monde sera beaucoup plus difficile, tant à cause de la résistance culturelle aux réformes que tout simplement à cause du manque de ressources et de personnel.
Un an après que le scandale McCarrick, Vos estis place l’Église sur des bases beaucoup plus sûres pour faire face à la crise des abus. Et s’il ne constitue pas tout ce dont l’Église de ce pays a besoin, il établit des fondations solides pour le travail qui doit être fait par nos évêques.
Article publié le 23 mai 2019
Scène de l’Inquisition (Escena de Inquisición) par Francisco de Goya y Lucientes, v. 1810 [Académie Royale des Beaux-Arts de San Fernando (Real Academia de Bellas Artes de San Fernando), Madrid]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2019/05/23/a-solid-foundation-for-reform/
Stephen P. White est membre des Études Catholiques au Centre de politique publique et d’éthique de Washington.