Pour ceux qui ne pensent pas que le cléricalisme ait joué un rôle majeur dans la crise des abus dans l’Église catholique, le Rapport McCarrick publié cette semaine devrait les faire changer d’avis. Le rapport révèle une culture cléricale insulaire et bureaucratisée qui a servi les ambitions d’un homme comme Théodore McCarrick, qui savait comment manipuler ce système à son avantage, bien mieux qu’il ne servait l’Église et l’Évangile. Et certainement, bien mieux que cela a servi les nombreuses victimes des prédations de McCarrick.
Quiconque espère démasquer une grande conspiration sera déçu, de manière prévisible. La banalité de l’échec institutionnel à ce niveau n’est ni excitante ni satisfaisante, mais elle a toujours été l’explication la plus probable et la plus plausible. Elle l’est encore. Le rapport a des limites, bien sûr, et laisse de nombreuses questions sans réponse. Mais il présente également un compte rendu détaillé et incriminant d’échecs institutionnels couvrant plusieurs décennies et plusieurs pontificats.
Voici quelques brèves réflexions que j’ai après la lecture du rapport complet :
Les limites du rapport
Le rapport s’appuie largement sur deux types de sources : les archives et les entretiens avec les parties concernées. Le résultat est un regard public sans précédent sur la correspondance privilégiée entre des prélats, aux États-Unis et à Rome, et un compte rendu des allégations contre McCarrick, telles qu’elles ont été reçues, avant 2017.
On peut apprendre beaucoup de la correspondance officielle et des archives ; ce que l’on ne peut pas apprendre, ce sont précisément les types de détails et d’informations qui ne seront jamais dans la correspondance et les archives officielles.
En ce qui concerne les interviews, de nombreux acteurs principaux, en particulier depuis le début de la carrière de McCarrick, sont maintenant morts. D’autres entretiens concernent des événements vieux de plusieurs décennies. Et la fiabilité des entretiens dépend non seulement de la mémoire des personnes interrogées, mais aussi de leur honnêteté et de leur sincérité.
Un rapport de ce genre présente nécessairement une image incomplète. Il est important de reconnaître ces limites pour éviter à la fois la fausse impression qu’il s’agit d’un compte rendu totalement complet du sujet et la fausse impression que ses insuffisances sont des preuves de tromperie.
Qui savait quoi, et quand ?
Un certain nombre d’évêques et de prélats, ici et à Rome, étaient clairement au courant des rumeurs sur McCarrick dès le milieu des années 1990. Certains évêques étaient même au courant d’un petit nombre d’allégations spécifiques contre McCarrick mais ne jugeaient pas ces allégations crédibles. Ils en ont rendu compte à Rome. Aucun des prélats mentionnés dans le rapport – même ceux qui, comme le cardinal John O’Connor, ont recommandé de ne pas poursuivre la promotion de McCarrick – n’était disposé à donner d’indication ferme pensant que McCarrick était coupable. Si quelqu’un avait de sérieux doutes sur son innocence, aucun d’eux n’en a fait part.
Que cela soit dû à un désir ardent de croire à l’innocence d’un ami, un refus de prendre au sérieux qu’un frère évêque puisse commettre de tels actes, ou à quelque chose de plus néfaste, il est impossible de le savoir d’après le rapport.
Ce qui est clair, c’est qu’il n’y avait tout simplement pas d’appétit pour le type d’enquête qui aurait pu découvrir la vérité. Le risque de scandale était trop grand et la déférence envers un frère évêque était trop forte. Les tentatives d’enquête entreprises impliquaient généralement que des évêques appelassent ou écrivissent à d’autres évêques pour leur demander ce qu’ils savaient des rumeurs sur leur ami commun, McCarrick. Ce n’est que lorsque des allégations ont fait surface selon lesquelles McCarrick avait abusé d’un mineur que le cardinal Timothy Dolan a ordonné une enquête, impliquant des enquêteurs laïcs, en 2017.
McCarrick fut un Maître en déception
McCarrick était un sale type et un menteur. Ses tentatives de tourner à son avantage les allégations et les rumeurs anonymes soulignent sa capacité de manipulation. Il a insisté sur le fait que les rumeurs étaient des attaques de ses ennemis à droite et à gauche. Dans un geste de transparence, il a transmis les accusations anonymes portées contre lui au FBI et a prévenu son propre conseil presbytéral. Il a même admis auprès de ses collègues évêques, y compris des fonctionnaires romains, qu’il avait été « imprudent » de partager des lits avec des séminaristes dans sa maison de plage, mais qu’il n’y avait rien de plus.
Pendant tout ce temps, McCarrick a commencé à se rendre indispensable : aimable avec ses frères évêques, de la conférence des évêques, avec le nonce, avec la curie romaine, siégeant dans d’innombrables conseils d’administration et organisations caritatives, faisant des dizaines de voyages internationaux pour le compte de l’Église, et en établissant des partenariats étroits avec des amis riches et politiquement connectés.
Ce que savait le pape
Avant la nomination de McCarrick à DC (Washington) en 2000, Rome a demandé à quatre évêques qui avaient servi avec McCarrick d’évaluer son aptitude à être promu, en particulier en ce qui concernait les rumeurs persistantes sur sa conduite. Selon le rapport : « Trois des quatre évêques américains ont fourni des informations inexactes et incomplètes au Saint-Siège concernant la conduite sexuelle de McCarrick avec de jeunes adultes. Cette information inexacte semble avoir eu un impact sur les conclusions des conseillers de Jean-Paul II et, par conséquent, de Jean-Paul II lui-même. »
Dans le rapport, le pape Benoît XVI apparaît surtout comme inefficace – peu disposé à imposer des sanctions formelles à McCarrick et, soit peu disposé, soit incapable de faire appliquer les « indications » informelles enjoignant McCarrick de faire profil bas.
Le pape François semble avoir peu réfléchi sur McCarrick avant 2017. Les limites que Benoît avait imposées à McCarrick étaient, selon Viganò, « lettre morte » avant même que François ne fût élu. Les ordres de Rome à l’ancien nonce pour enquêter sur de nouvelles allégations contre McCarrick en 2012 n’ont jamais été exécutés. Lors de son élection, François ne montra aucun intérêt pour réexaminer la manière dont McCarrick avait été traité par ses prédécesseurs.
Questions sans réponses
Le rapport soulève une foule d’autres questions: pourquoi la Congrégation pour la doctrine de la Foi n’a-t-elle pas été consultée, comme le prévoyait la procédure ordinaire, avant l’approbation de la nomination de McCarrick à Washington ? Qui a divulgué à McCarrick le contenu de la lettre confidentielle du cardinal O’Connor recommandant que McCarrick ne fût pas promu hors de Newark ? Y aura-t-il des répercussions pour les prélats de haut rang – les cardinaux Donald Wuerl et Kevin Farrell viennent à l’esprit – dont les affirmations d’ignorance sur McCarrick en 2018 sont directement contredites par ce rapport ? La plus grande question qui persiste est celle-ci : quelle assurance avons-nous que ce rapport n’est pas teinté de la même culture cléricale, aveuglante et autodidacte, qu’il décrit avec autant de détails ? C’est une question à laquelle il est aussi difficile de répondre que d’éviter.