Des Eglises locales à la collégialité - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Des Eglises locales à la collégialité

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Le R.P. de Lubac, s.j., vient de publier un de ces petits livres qui sont destinés à une bien plus grande influence que les gros. Ce n’est pas simplement parce que les gros, de nos jours, et peut-être toujours, personne ne les lit. C’est plus encore parce que quelques idées profondes exprimées avec force et concision méritent, et obtiennent généralement, plus d’effet qu’une abondance de considérations diffuses. En tout cas, il faut souhaiter qu’il en soit ainsi de ce volume, intitulé : Les Eglises particulières dans l’Eglise universelle (Aubier, éditeur).

Le P. de Lubac, en effet, y dissipe deux confusions qui, jusqu’à présent, dans notre pays en particulier, mais pas uniquement, semblent avoir en grande partie stérilisé l’œuvre du Concile.

La première est celle qui identifie, ou plutôt brouille ensemble, ce qu’il propose d’appeler l’Eglise locale et l’Eglise particulière.
La seconde a pour effet de substituer à la collégialité une bureaucratie envahissante. Les deux erreurs, comme il le met en lumière, sont étroitement liées.

Du flottement dans les termes

Sur le premier point, le P. de Lubac est tout disposé à en convenir, au Concile lui-même, il y a eu quelque flottement dans les termes : Eglise locale et Eglise particulière étant, l’un et l’autre, pris tantôt dans un sens et tantôt dans un autre. Cependant, comme il le souligne, il y aurait grand avantage à employer chaque terme dans un sens bien défini, suivant l’usage habituel, quoique pas absolument constant, du Concile.

L’Eglise particulière, en effet, peut désigner l’Eglise qui se groupe autour de son pasteur, l’évêque, ou les prêtres de second rang qui le représentent. L’Eglise locale, en revanche, pourrait s’entendre des groupement locaux d’Eglises particulières, constitués sur la base de la nationalité, de la langue, ou d’une civilisation commune.

Qu’il importe de bien distinguer les deux réalités en cause est incontestable. Car, si l’on prend les mots dans leur sens ainsi bien délimités, on voit qu’ils distinguent des réalités non seulement très différentes, mais de tout autre nature. L’Eglise particulière, ainsi définie, c’est, si l’on peut dire, l’incarnation même de l’Eglise du Christ, sans laquelle celle-ci n’aurait pas d’existence réelle dans notre monde. L’Eglise, en effet, n’existe que là où les hommes se rencontrent effectivement, pour écouter ensemble la parole de Dieu, prier ensemble, offrir ensemble l’eucharistie, communie ensemble et, ensuite de tout cela, vivre ensemble leur foi et en témoigner à la face du monde. Or cela n’existe que là où les fidèles s’assemblent effectivement, avant tout pour célébrer la messe, autour de leur évêque, ou d’un de ses prêtres.
En fait, à chaque fois qu’ils le font, dans le mystère de la Parole et du Sacrement, il y a bien plus que leur assemblée visible. Le Christ lui-même se tient au milieu d’eux pour venir vivre en chacun d’eux et dans la communion de leur charité. Et, avec le Christ, sont présents tous ses « saints », à la communion desquels il nous associe en nous incorporant en lui : c’est-à-dire tous les chrétiens consommés dans leur foi (les saints du ciel), mais aussi tous ceux qui sont encore en voie vers cette consommation (les fidèles partout dispersés, mais que, partout, l’eucharistie réunit dans le même Christ), et enfin tous les morts dans le Seigneur, même s’ils ne sont pas encore parvenus, eux non plus, à la plénitude de la vision céleste.
Ainsi, dans toute Eglise particulière, l’Eglise universelle est présente. Ou, disons mieux, l’épiphanie, la manifestation, et, mieux encore, la réalisation permanente de l’Eglise universelle, une et catholique, se fait essentiellement dans l’Eglise particulière.

Au contraire de cela, ce que nous avons défini comme l’Eglise locale n’est pas une « Eglise » au sens propre. Ce n’est qu’une collection d’Eglises particulières, lesquelles sont assemblées à ce plan, sans doute en esprit d’Eglise, mais non pas en tant qu’Eglises, mais en tant que communautés d’hommes rapprochés par la race, la langue, la nationalité, la culture, etc. Ce rassemblement est inévitable, voire souhaitable, en tant qu’il peut aider des Eglises particulières à résoudre ensemble les problèmes d’insertion dans leur contexte humain qui leur sont communs. Mais il est gros de dangers. Car, c’est évident, s’il n’est pas utilisé avec prudence, il tend à écraser, où à voiler, la réalité fondamentale de l’Eglise particulière, en même temps qu’à fractionner, et pour autant à dissiper la réalité de foi qui donne son sens à l’Eglise particulière elle-même : celle de l’Eglise universelle, une et catholique, la même partout, dans la diversité des situations humaines.
En un mot, la constitution de ce qu’on appelle ici « Eglises locales », nationales ou autres, ne sera bonne que si elle est toujours comprise comme un relais ente la réalité concrète, vivante, humaine de l’Eglise particulière, et la réalité de foi de l’Eglise universelle, dont l’unité et la catholicité ont pour gardienne la collégialité des évêques, réunis autour du Pape et sous sa spéciale responsabilité de l’unité catholique.

Le souci de l’unité catholique

C’est cela la collégialité : c’est-à-dire que c’est le sens effectif que doivent garder toujours tous les évêques de ne pouvoir œuvrer comme évêques dans leurs communautés particulières qu’en communion avec tous les évêques, sous la conduite du successeur de Pierre.

Au contraire, si la collégialité devient simplement un nom pour une bureaucratie nationale, se substituant de fait aux responsabilités, particulières et universelles, de tous et de chacun des évêques, et s’entendant pour se clore aux contacts avec les autres groupements locaux d’Eglises particulières, et spécialement avec le centre catholique de l’unité, l’Eglise particulière se trouve étouffée et l’Eglise universelle simplement oubliée.

Il était bon que de telles vérités nous soient rappelées. On a beau jeu de dauber sur la Curie romaine. Un effort prodigieux a été fait, depuis le Concile, pour la réformer. Hélas ! y a-t-il eu un tel effort pour réformer les curies diocésaines ?

Mais, surtout, ne serait-ce pas la ruine de toute l’œuvre conciliaire que de substituer simplement à la Curie romaine de quelconques curies babyloniennes qui reproduiraient, voire aggraveraient, son bureaucratisme inhumain, tout en perdant de vue systématiquement ce que la Curie romaine, même en se pires errements, a toujours gardé : le souci de l’unité catholique de l’Eglise universelle ?

Louis BOUYER