Hier matin, le Vatican annonçait que le pape François avait accepté la démission d’Alexandre Salazar, l’un des évêques auxiliaires de Los Angeles. Dans une lettre ouverte à son archidiocèse, l’archevêque de L.A., José Gómez, expliquait que l’évêque Salazar avait été accusé « d’inconduite avec un mineur ».
Selon la lettre de Gomez, « l’accusation n’a jamais été formulée directement à l’archidiocèse » mais l’archidiocèse en avait été informé en 2005.
La chronologie est importante :
• L’inconduite par Salazar – qui a systématiquement nié les accusations – s’est produite dans les années 1990, avant qu’il fût évêque. Les responsables locaux des forces de l’ordre ont instruit l’accusation en 2002 mais ont refusé de poursuivre l’affaire. Salazar (qui avait servi comme vice-chancelier sous l’archevêque de l’époque, le cardinal Roger Mahony) devint évêque auxiliaire de Los Angeles en 2004. L’archidiocèse a été « mis au courant » de l’accusation contre Salazar courant 2005.
• L’archevêque Gómez a remplacé le cardinal Mahony comme archevêque en 2010.
• Quelque part entre 2005 et 2010, l’accusation contre Salazar a été renvoyée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. On n’a pas d’indication sur la date précise où le cas Salazar fut renvoyé à la CDF, mais en mai 2005, le nouveau Préfet pour la Congrégation de la Doctrine de la Foi – celui que Joseph Ratzinger avait choisi pour son propre remplacement
après son élection comme pape Benoît XVI – était le cardinal William Levada.
• Levada était lui-même un ancien évêque auxiliaire de Los Angeles sous le cardinal Mahony. Et un camarade de séminaire de Mahony. Et il avait servi comme chancelier de l’archidiocèse et modérateur de la Curie sous Mahony.
La CDF de Levada décida d’imposer, comme le précise l’archevêque Gomez dans sa lettre, « certaines mesures de précaution sur le ministère de l’évêque Salazar ».
Pour résumer : le cardinal Mahony rend compte d’une accusation contre son auxiliaire et ancien vice-chancelier (Salazar) à la CDF où l’ancien camarade de classe/auxiliaire/chancelier/modérateur (Levada) enquête sur ladite accusation. Le résultat de cette enquête est une peine clémente pour Salazar.
Probablement, cela aurait été la fin de l’affaire si l’archevêque Gómez n’avait pas décidé de ressortir le dossier lorsqu’il est devenu archevêque de Los Angeles. Gómez demanda, et reçut la permission de la Conférence des évêques, de présenter le cas Salazar à la commission d’examen de son archidiocèse. C’est sur la base des découvertes de cette commission – et des recommandations de l’archevêque Gomez – que le Saint-Siège décida de destituer Salazar.
Mettez de côté le dossier notoire du cardinal Mahony sur les accusations d’abus sexuels grossiers ; supposez pour le moment que le cardinal Levada a été scrupuleux dans la gestion de l’enquête en 2005 ; considérez que l’évêque Salazar a nié les accusations portées contre lui et que les forces de l’ordre ont refusé de poursuivre l’accusation lorsqu’elle fut portée. Même en considérant tout cela, le traitement de l’accusation initiale pue le conflit d’intérêts et l’apparence du favoritisme.
Le cas Salazar est un cas d’école de la nécessité d’implication de laïcs indépendants dans l’examen d’accusations contre des évêques de comportements sexuels répréhensibles. Que cela soit fait en constituant un conseil national pour l’examen des charges d’inconduites épiscopales, ou en utilisant les commissions d’examen existantes des diocèses (le soi-disant « modèle métropolitain ») est un sujet de débat, ainsi qu’on l’a vu le mois dernier à Baltimore. Mais les évêques ne sont tout simplement pas crédibles sur leur capacité à faire la police dans leurs propres rangs sans aide extérieure.
Les commissions d’examen laïques ne sont pas la panacée. Elles ne peuvent réformer les séminaires ni résoudre le problème fétide des prêtres qui ignorent les exigences de la chasteté. Elles ne choisissent pas les nouveaux évêques. Elles ne guériront pas les blessures anciennes. Mais elles peuvent constituer un appui pour restaurer la crédibilité d’un épiscopat qui a désespérément besoin de sortir sa réputation du rouge. L’Église, et le monde auquel elle est liée par la proclamation de la Bonne Nouvelle, a besoin de pasteurs de confiance.
Quant à l’autorité de destituer un évêque, elle appartient au pape ; aucun degré de participation ou d’examen des laïcs ne changera cela. Mais, ainsi que le démontre le cas Salazar, l’ajout d’une couche de responsabilité et de révision en dehors des cercles fermés de la charge ecclésiale supérieure, aide à briser la mainmise d’une caste cléricale qui, de temps en temps (et de son propre aveu), fonctionne plus comme un club de bons vieux garçons que comme le collège des successeurs des apôtres.
Même si Rome contrecarrait les plans de l’USCCB (Conférence des évêques des États-Unis, ndt) de voter sur des procédures de révision conduites par les laïcs lors de la réunion annuelle du mois dernier, le cas Salazar montre qu’un tel système fonctionne déjà sur une base ad hoc et, de manière critique, avec la coopération de Rome.
L’évêque John Jenik, auxiliaire de New York, s’est retiré du ministère après que la commission de révision des laïcs de New-York a trouvé que des accusations vieilles de dix ans le concernant étaient « crédibles et étayées ». (L’évêque Jenik nie ces accusations).
Bien sûr, une des accusations contre l’archevêque McCarrick passa entre les mains de la Commission d’examen et finit par son retrait du ministère et du collège des cardinaux par le pape François. Maintenant, ajoutez l’évêque Salazar à la liste.
C’est devenu comme une rengaine dans ma pensée et dans mes écrits à propos de la crise des abus que, si une véritable réforme doit advenir, elle viendra à travers et par le successeur de Pierre, et les évêques en commission avec lui, parce que sans eux, il n’y a aucune Église à réformer. Mais cela ne signifie pas que la voie à suivre sera tracée d’un seul coup, à Rome ou à Baltimore.
Ce n’est pas aussi dramatique que la Toute Nouvelle Stratégie Ecclésiale, mais le début d’une façon pratique et crédible de traiter les allégations d’inconduite de la part d’évêques – une manière qui respecte à la fois l’autorité de la fonction épiscopale et l’unique primauté de Pierre -, débuts qui prennent forme, au coup par coup mais organiquement. Ou, si vous préférez, Providentiellement.
Espérons que les présidents des conférences épiscopales du monde, qui se retrouveront à Rome avec le pape François en février pour discuter de la crise, en prendront note.
20 décembre 2018
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/12/20/piecemeal-but-concrete-beginnings-of-reform/
Photo : Mahony et Salazar en 2004.
Stephen P. White est membre des Études Catholiques au Centre de politique publique et d’éthique de Washington.