On a beau dire, on a beau faire : il est extrêmement difficile de canaliser le débat public en faveur des objectifs fondamentaux du bien public. Les gens les plus sérieux, responsables politiques ou non, répètent à satiété qu’il ne faut pas nous enfumer avec des questions subalternes, alors que la situation économique et sociale de notre pays devrait concentrer toutes les attentions, les puissances de réflexion et les forces de proposition. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, nous sommes sans cesse déportés vers des querelles, dont on hésite à dire qu’elles sont subalternes. L’affaire Dieudonné fait partie de celles-là. J’en ai déjà parlé à deux reprises, suscitant pas mal de réactions dont certaines justement, reprenaient l’argument du subalterne ou celui de l’enfumage. Je ne suis pas tout à fait d’accord parce que les sujets abordés par Dieudonné étaient graves et parce que le succès qu’il obtient nous interroge sur la sociologie française.
Il ne faut pas tenir pour négligeable non plus le fait que le débat politique risque d’être modifié, de façon très sensible, par des stratégies médiatiques très intéressées. Faire d’un humoriste-agitateur le sujet d’une opération très ciblée, ce n’est pas seulement pour le ministre de l’Intérieur s’exercer à la police morale. C’est donner au débat public une orientation où le danger extrémiste, sous son acception antisémite, devient essentiel. Ce n’est nullement innocent et on en reparlera : la France est-elle sérieusement menacée du retour aux idéologies des années trente ?
Depuis quelques jours, une autre affaire est venue s’ajouter à celle-là, qui détermine une agitation médiatique nationale et internationale. On disputera sur le rôle de la presse people et l’américanisation de la vie publique, dès lors que la vie privée de nos dirigeants, et du principal d’entre eux, devient objet de dispute, après avoir été largement étalée devant l’opinion. Pourtant, il s’agit d’une histoire vieille comme le monde. La mythologie et la littérature ne parlent que de cela. C’est que ce n’est pas si anodin. Cela peut bouleverser bien des choses, et au détriment du bien public !
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 13 janvier 2014.