Le pauvre Mgr Stanislas Lalane qui s’interrogeait au micro de RCF sur la question de savoir si la pédophilie devait être qualifiée de péché, s’est bien fait avoir parce que son propos, qui se voulait nuancé, est immédiatement devenu grand public, repris en boucle sur BFM et ailleurs, et donc totalement inaudible pour 99% des gens qui ne s’interrogent jamais sur ce qui peut être considéré comme un péché au sens chrétien du terme, un péché grave voire imprescriptible ! Mais qui, évidemment, ne veulent pas qu’on puisse avoir l’air de montrer un certain laxisme à l’égard d’agressions sexuelles contre des enfants. Après tout, on les comprend. L’évêque a aussitôt dû rétropédaler, s’expliquer, s’excuser, demander pardon… Mais les évêques sont moins formés à la communication de crise que certains hommes politiques ou chefs d’entreprise, d’où le malaise de communicateurs chrétiens (Charlotte d’Ornellas 1 ou Jean-Pierre Denis qui s’exaspèrent de l’amateurisme des cadres de l’Eglise…).
Car les bons apôtres du quotidien Le Monde, entre autres, avaient tout de suite vu comment alimenter le scandale du populo moyen en ayant l’air de déduire des propos de l’évêque de Pontoise que, pour l’Eglise, la pédophilie est quelque chose de pas grave.
Il n’y a plus de communication fragmentée. Internet propulse partout, et si possible en 140 caractères, ce qui mériterait au moins quelques explications.
La délicatesse du conducteur d’âme n’est pas de mise à l’heure où le moindre mot de prêtre est surveillé et utilisé contre l’Eglise, surtout s’il paraît aller dans le sens du laxisme à l’égard de la pédophilie. Bien sûr, si Mgr Lalane s’était interrogé sur les conditions dans lesquelles un adultère ou un acte homosexuel doit être considéré comme un péché, on se serait moqué de lui, sauf à le poursuivre éventuellement, pour le second exemple, au chef d’homophobie. Et s’il avait évoqué un avortement, il aurait été immédiatement lynché, mais pour des raisons diamétralement inverses que dans le cas de la pédophilie. Car l’avortement, naguère un crime, est désormais un quasi droit-de-l’homme, accessoirement mieux remboursé par la sécurité sociale que l’accouchement…
Quant aux agressions sexuelles sur certains enfants, la parole est donc libérée. On l’a déjà dit dans nos critiques du film Spotlight, il faut se réjouir que les choses aient été enfin dites haut et fort car seule la vérité rend libre. Et si la dénonciation du passé peut aider des victimes à se reconstruire et, mieux encore, empêcher des agressions au présent et dans le futur, on en sera encore plus soulagé.
Ce n’est pas une raison pour faire porter uniquement sur quelques responsables d’Eglise actuels le fait que toute une société — le monde entier — n’a pas pris la mesure des atteintes à l’innocence des enfants par certains prédateurs sexuels, plus ou moins pervers, plus ou moins dangereux, qui ont manifestement toujours existé partout et pour lesquels certaines époques récentes ont été plus qu’indulgentes. 2
Oui, ces prédateurs ont toujours existé probablement aussi dans l’Eglise. Soit qu’ils aient été attirés spécialement là par certaines formes d’esthétisme par exemple, ou parce qu’ils pensaient dès le départ (ou pas… et là on retombe sur l’interrogation de Mgr Lalane) que cela leur donnait accès à des victimes potentielles et, dans ce cas, ils ne sont pas différents de certains animateurs socio-culturels ou professeurs d’hier et d’aujourd’hui dont on ne parle certainement pas encore à l’exacte proportion du phénomène 3
Oui, l’Eglise, comme les autres institutions encadrant des enfants et des jeunes gens, n’a pas pris la mesure de problèmes qui sont complexes et dépendant aussi d’évolutions globales des comportements sexuels, de leur contrôle, de leur prétendue libération. Des sanctions sont souhaitables pour tenter d’empêcher le mal de se développer et un changement d’attitude pour l’avenir. Ce n’est pas une raison pour lancer une chasse aux sorcières, pour condamner médiatiquement avant toute enquête judiciaire et tout jugement qui devrait toujours être prononcé dans un cadre permettant la confrontation et la vérification des témoignages.
Il est certain qu’il a fallu beaucoup de courage à ceux qui ont lancé l’alerte puisqu’il leur a fallu atteindre un âge adulte, souvent d’être eux-mêmes parents, pour prendre la mesure de leur propre blessure et exprimer leur demande de reconnaissance du statut de victimes. On ne peut pas reprocher aux victimes d’avoir mis tant de temps à se faire connaître avec force. Mais on ne peut pas non plus leur laisser dire que tout le monde savait ce qu’elles taisaient ou n’exprimaient que faiblement. On peut encore moins le laisser dire à d’autres personnes — leurs parents, leurs amis — qui n’ont quasiment rien dit non plus pendant si longtemps, parfois parce qu’elles ne savaient pas, ou ne pouvaient pas entendre ou avaient l’impression que personne ne les écouterait, ce qui montre bien que ce n’était pas aussi facile ni évident qu’on voudrait le faire croire aujourd’hui.
Dans certaines sectes, dans des structures catholiques parfois, surtout si elles sont déviantes, on évoque avec justesse des cas d’emprise psychologique qui empêche les victimes — y compris des adultes manifestement incapables de faire valoir leur libre-arbitre, leur droit de démissionner — de se plaindre souvent avant de très nombreuses années après des faits insupportables. Yves Hamant parle de viol psychologique. Soit. Une telle emprise reproduit ce qui se passe dans certaines familles incestueuses, retranchées du monde et où les enfants n’ont aucune expérience de la liberté.
Et il y a donc des choses à changer, des précautions à prendre — ou plus souvent encore à rétablir ! — pour que cela ne puisse plus se répéter. Il est certain que ce qui s’est passé dans certaines communautés ou congrégations aurait dû, et devrait encore, donner lieu à une surveillance, à des sanctions plus rapides et plus dures, à une prise en compte de ce qui a été gâché, à des réparations, à des compensations, un accompagnement humain et social… au minimum à des changements de nom accompagnant la reprise en main et même à une dissolution pure et simple des structures complices ou coupables (que l’on songe aux Légionnaires du Christ fondés par le père Maciel de sinistre mémoire et vis-à-vis duquel saint Jean-Paul II n’a certainement pas su réagir comme il aurait fallu).
Mais maintenant le courage consiste-t-il pour autant, et seulement, pour ceux qui n’ont rien vu, rien compris, rien dit (ou pas grande chose) pendant si longtemps, d’aller dans le sens de la foule et des médias anticléricaux et de trouver de commodes boucs émissaires qui n’ont souvent pas été beaucoup plus aveugles, incapables de comprendre et inactifs qu’eux-mêmes ?
La colère, aussi justifiée soit-elle — surtout si on se juge soit même coupable d’aveuglement et si on a eu quelque parole malheureuse qui ont nuit aux victimes — est presque toujours mauvaise conseillère. Car, si on se documente, on peut percevoir qu’il y a aussi des prêtres — et des enseignants ou d’autres personnes — qui ont été, qui sont et qui seront accusés à tort, imprudemment ou par ruse. Certains connaîtront une mort sociale injustifiée. Quelques-uns se suicideront. Qui le dit ? Qui appelle au calme et à la raison ? Qui accepte de revoir certains jugements trop vite prononcés ?
La seule manière de procéder si on veut que des choses moralement inacceptables comme la pédophilie et les agressions sexuelles par des personnes détenant une autorité morale ne se produisent plus (ou moins !), c’est de procéder avec méthode, avec professionnalisme (enquêteurs, juges, ce sont des métiers) en respectant toujours les droits des accusés. Ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui, dans la société civile avec la justice ordinaire. Et peut-être moins encore dans la justice d’Eglise qui a encore moins de moyens, il faut le reconnaître. Ce n’est pas jeter l’opprobre sur la dénonciation médiatique qui peut suivre une enquête journalistique. Celles-ci ont évidemment leur grande utilité, surtout si elle sont menées, elles aussi, avec professionnalisme et sans a-priori idéologique.
Le courage ce n’est pas de hurler avec les loups, même quand les loups ont raison. Ce n’est pas seulement de dénoncer les injustices passées que tout le monde a commencé à comprendre. C’est aussi de dénoncer celles qu’on ne voit pas encore et qui seront les scandales de demain. Alors bien sûr, si on avait été plus attentifs, dans l’Eglise en particulier, et dans toutes les structures d’Education ou à l’égard des familles, sur les crimes d’abus sexuels et en particulier de pédophilie, si on avait sanctionné plus durement, ce serait plus facile aujourd’hui de réagir sans risquer de commettre d’autres injustices ou de permettre l’instrumentalisation de la justice pour casser des personnes ou des institutions avec un projet politique qui enfantera des crimes bien pires si c’est possible. Car c’est bien là un des risques actuels.
Lire aussi :
L’Eglise annonce de nouvelles mesures :
http://www.lepoint.fr/societe/pedophilie-l-eglise-promet-des-mesures-12-04-2016-2031716_23.php
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20160412.OBS8331/pedophilie-dans-l-eglise-quelles-sont-les-mesures-annoncees-par-les-eveques-de-france.html
http://www.itele.fr/france/video/la-conference-des-eveques-de-france-annonce-des-mesures-pour-lutter-contre-la-pedophilie-dans-leglise-161041
« Pédophilie tolérance zéro »
par Nicolas Tardy-Joubert, Conseiller régional Ile-de-France PCD
http://lepcd.fr/pedophilie-tolerance-zero-nicolas-tardy-joubert-conseiller-regional-ile-de-france-pcd/
http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/04/06/pour-mgr-lalanne-la-pedophilie-ne-serait-pas-un-peche_4897264_1653130.html
- Sur Twitter, elle dit le 6 avril : « Si les évêques pouvaient parfois se taire et laisser faire les pros. »
- Je me souviens du prestige intellectuel du journal « Tout » qui prônait la pédophilie avec force arguments au début des années 1970.
- On ne peut pas tout développer mais les prédateurs ne visent pas que les très jeunes garçons ou les petites filles, l’éphébophilie est encore autre chose, et l’homosexualité dans certains séminaires américains ou autrichiens une autre également… qui ont en commun presque toujours un abus d’autorité ou au moins une incapacité de la personne en responsabilité, ou tout simplement de l’adulte, à exercer celle-ci dignement, ou de rester à sa place.
Pour aller plus loin :
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Quand le virtuel se rebelle contre le réel, l’irrationnel détruit l’humanité
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918