Personne en France n’ignore ce qui se passe à Nantes, où l’attention de tous est concentrée sur le sommet d’une grue. Le geste de Serge Charnay, ce père qui proteste contre la suppression de son droit de visite à son jeune fils, correspond typiquement à la spectacularisation des revendications à notre âge de communication. Il faut frapper les imaginations et aussi jouer d’une possibilité de pression par rapport aux autorités publiques. Mais un cas particulier ne saurait peser sur l’opinion, s’il ne renvoyait à un problème social plus général. Les associations, qui défendent les droits des pères pour la garde des enfants en cas de divorce ou de séparation, se sont tout de suite identifiées à la cause de Serge Charnay, et le gouvernement, très embarrassé, a décidé de recevoir leurs représentants.
Dans une société où l’éclatement des familles est une réalité majeure, cette affaire est bel et bien exemplaire. Lorsqu’il y a désaccord et même déchirement entre les parents, c’est forcément la justice et l’administration qui suppléent à la déficience familiale et cela leur confère des pouvoirs singuliers.
C’est l’envers de la revendication moderne à ce qu’on appelle l’autonomie. On a bien raison de louer cette autonomie, lorsqu’elle se déploie pour le meilleur. Mais lorsqu’elle a des effets pervers, bonjour les dégâts ! Les sociologues sérieux observent le phénomène de près. Lorsque la normativité se disloque à la base, c’est l’État qui tente de rétablir des normes. Mais alors attention. Les citoyens apprécient, souvent dans la douleur, à quel point la tutelle administrative, liée à la tutelle judiciaire, peut être dure à supporter.
C’est bien pourquoi un George Orwell insistait tant sur ce qu’il appelait la commune décence, c’est-à-dire ce bel équilibre des mœurs qui permet aux communautés humaines de respirer librement, sans qu’une tutelle anonyme vienne s’interposer dans la vie quotidienne. La commune décence c’est, notamment, des familles unies, aimantes, fières de leur libre espace de vie. Lorsqu’on vient lui porter ombrage, trouble, ou violence, alors gare à la toute puissance d’une autorité qui se substitue à la tendresse des liens élémentaires. C’est aussi cela qui est en cause dans l’affaire de la réforme du mariage. Je crains qu’on n’en soit pas assez conscient !
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 19 février 2013.
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