Il y a un an et demi, trois de nos plus éminents critiques littéraires catholiques – Dana Gloia, Gregory Wolfe, et Paul Elie – ont été engagés dans un débat sur l’état de la littérature catholique dans le monde anglophone. Bien que ce débat intéressât spécialement les catholiques qui aiment la littérature et les arts, les enjeux en cause devraient intéresser tout catholique car ce qui est en question est tout simplement de savoir si et de quelle façon les catholiques vont avoir une voix dans l’un des plus importants domaines de la culture.
Michael Dana Gioia, ancien président de la Fondation nationale pour les arts, actuellement professeur à l’Université de Caroline du Sud, et, ce qui n’est pas le moins, poète de réputation internationale, donna le coup d’envoi au débat en décembre 2013 avec un article publié dans First Things, « L’écrivain catholique aujourd’hui ». Dans ce texte très long et pénétrant, Gioia affirme que la littérature catholique est en déclin. Il compare la condition de la littérature catholique américaine au milieu du XXe siècle – « le premier plein épanouissement de l’imagination catholique américaine » – à sa condition d’aujourd’hui et trouve la différence « bouleversante ».
Dans les deux décennies qui ont suivi la fin de la Deuxième guerre mondiale, « les voix catholiques dans toute leur diversité jouèrent un rôle actif en donnant forme à cette conversation publique dynamique qu’est la littérature américaine. Le catholicisme n’était pas seulement vu comme une vision du monde compatible avec une vocation littéraire et artistique. Riche en rituels, signes et symboles, l’Eglise romaine était souvent regardée comme la religion la plus compatible avec le tempérament artistique. »
Il n’en est pas ainsi aujourd’hui. Quand Goia examine le paysage actuel, il voit qu’ il y a moins d’écrivains importants à s’identifier publiquement comme catholiques, que l’influence de la tradition littéraire catholique sur la culture est en déclin, et que l’establishment culturel est trop content de snober la foi, attitude symbolisée par la déclaration rageuse de la romancière Hilary Mantel, lauréate du Booker-Prize, selon laquelle « de nos jours l’Eglise catholique n’est pas une institution pour gens respectables ».
Paul Elie, auteur de The Life You Save May Be Your Own [« La Vie que vous sauvez peut être la vôtre »], une quadruple biographie de Flannery O’Connor, Walker Percy, Dorothy Day et Thomas Merton, est de l’avis de Gioia : « Si quelque pan de notre culture peut être dit post-moderne, c’est la littérature ».
Ainsi nous catholiques naviguons à contre-courant, ramenés sans cesse dans le passé avec Chesterton, Belloc, Greene, Waugh, Powers, Percy, et O’Connor…
Cette forme de nostalgie est une forme de réaction au récit de déclin, ce qui est souvent exprimé dans des discussions sur l’état de la littérature catholique, mais ce n’est pas la réponse que Gioia préconise. Gioia presse les écrivains catholiques de revenir dans le jeu, de ressaisir le sens d’une mission partagée, et de « rénover et réoccuper notre propre tradition. »
On peut pourtant réagir autrement au récit de déclin : c’est que le récit est une fiction. Gregory Wolfe, fondateur et rédacteur en chef d’ Image, un journal de la foi et des arts, a rejeté l’idée du déclin de l’influence catholique dans les lettres de langue anglaise, comme en ont témoigné les œuvres tant appréciées d’écrivains catholiques plus récents comme Ron Hansen, Alice McDermott, Cormac McCarthy, Oscar Hijuelos, Andre Dubus et bien d’autres. Pour Wolke les écrivains catholiques n’ont jamais abandonné le jeu ; ils ont été sur le terrain, et s’y sont tenus plutôt bien, constamment.
Ainsi, pourquoi n’avons-nous pas ajouté les noms de Hansen, McDermott et alii à notre panthéon de grands écrivains catholiques ? Beaucoup le font, mais pour beaucoup d’autres ces noms n’ont pas la même résonance que ceux de Chesterton, Greene et Waugh. Pour une bonne part la raison en est, soutient Wolfe, que les écrivains catholiques les plus récents « ont eu beaucoup plus tendance à chuchoter ».
Il se réfère à la fameuse déclaration de Flannery O’Connor sur sa propre esthétique : « Le romancier qui est lié au christianisme trouvera dans la vie moderne des distorsions qui lui répugnent ; et son problème est de les faire apparaître comme des distorsions à un public qui a l’habitude de trouver cela naturel… aux durs d’oreille vous criez, et aux presque aveugles vous dessinez des figures larges et saisissantes. »
Wolfe voit que les écrivains catholiques récents sont moins engagés que la génération précédente l’était avec la lutte contre les attaques séculières du XXe siècle contre la religion. Ces écrivains sont « moins sûrs qu’ils peuvent, ou qu’ils devraient, créer ces grandes silhouettes. Ils sont plus intéressés à faire des gravures artisanales de la vie privée. Ce sont des chuchoteurs plutôt que des crieurs. Et le problème, selon Wolfe, c’est que nous ne les écoutons pas. »
Cette dichotomie entre cris et chuchotements cependant est quelque chose de trompeur. Certainement O’Connor et d’autres ont utilisé la grande figure et le grand geste. Pensons à l’horrible conclusion de la nouvelle de O’Connor : A Good man Is Hard to Find [« Les braves gens ne courent pas les rues »] ou à la dramatique conversion sur un lit de mort dans Brideshead revisited [« Retour à Brideshead »] de Waugh. Mais ces écrivains sont aussi capables de traiter des combats de la foi aussi bien que d’autres sujets dans des tons plus assourdis et des compositions plus intimes, comme nous le voyons dans la nouvelle d’O’Connor The Enduring Chill [« Le froid persistant »] ou la tragédie domestique de Waugh A Handful of Dust [« Une poignée de poussière »]
La dichotomie des cris et des chuchotements n’a pas tant à faire avec le ton et la composition qu’avec une attitude devant la post-modernité. « Nous vivons dans un monde séculier » atteste Wolfe, « où tout grand roman est suspect, où toutes les institutions sont vues comme oppressives » Ainsi la vacillante toile de fond métaphysique du catholicisme et ses institutions dépréciées ont mené beaucoup d’écrivains catholiques à l’intérieur où ils dépeignent la foi telle qu’elle est combattue dans les intimités du cœur humain.
Et telle est la racine du persistant sentiment de déclin que ressentent beaucoup de catholiques à propos de l’état de la littérature catholique : c’est que des écrivains catholiques récents ont abjuré la face publique, la nature sociale et politique, du catholicisme, ils ont échoué à parler de la manière de vivre la foi dans un monde qui trouve que cette face publique ne mérite pas le respect.
Que ce soit en cris ou en chuchotements, c’est la voix que nous désirons entendre.
Vendredi 24 avril 2015
Source : http://www.thecatholicthing.org/tag/decline-into-silence/
Photo : Ron Hansen.
Daniel McInerny est philosophe et auteur de fiction pour enfants et pour adultes. Vous pouvez vous informer sur lui et son œuvre à danielmcinerny.com