Historien de premier ordre, Pierre Chaunu l’était d’évidence, auteur d’une œuvre considérable, pionnier dans plusieurs domaines, travailleur impressionnant… Mais c’était aussi et en même temps, d’une façon indissociable, un homme engagé. Et, qui plus est, un chrétien engagé. De souvenirs qui remontent aux années soixante-dix aux plus récents, une impression majeure se dégage : Pierre Chaunu était toujours en mission, parce qu’il avait une vocation qui le soulevait toujours au-delà de lui-même. Qui ne l’a jamais vu dans le crescendo passionné d’un cours, d’une intervention, d’une conférence, ne soupçonne pas le degré d’incandescence auquel mène la conviction, surtout lorsqu’elle porte en elle les enjeux de l’existence humaine. La première fois que je l’entendis, c’était au cours de la grande bataille pour la vie et le droit de l’enfant à naître, dans un amphithéâtre de la Sorbonne. L’universitaire, l’homme de science, apportait à l’homme engagé le recours de toutes ses connaissances. Déjà, il mettait en avant l’énorme risque démographique que courait l’Europe. Peu lui importaient les batailles perdues ! Les causes supérieures exigeaient de toujours dépasser les revers, pour qu’on s’accorde avec ce qu’avait d’invincible l’espérance.
Comment ne pas le citer lui-même ? « Et me voici tel que je suis, homme de passion, homme de mémoire, homme de colère et d’amour, enragé du destin de l’homme avec, par-dessus tout, le besoin de garder, de concilier et de construire, instant après instant, morceau par morceau ce qui sera transfiguré dans l’Éternité. » C’est évidemment la foi chrétienne qui explique le tout. Mais cette foi s’investit dans le temps de l’histoire et requiert sans cesse les armes de l’intelligence. Pierre Chaunu se définissait comme héritier des Lumières, car il assumait l’élan de la pensée et l’ambition du savoir le plus étendu. Le savoir passait notamment par la problématique quantitative, qu’il préférait appeler « sérielle ». Mais l’histoire scientifique qu’il avait mise en œuvre est à l’opposé des interdits du positivisme. Elle appelait ce qu’il y avait d’absolu dans l’humanité. « Pour moi, tout a un sens. Rien n’est insignifiant. Le monde a un sens, le cosmos a un sens, la vie de 30 ou 60 milliards d’hommes hominisés qui ont vécu jusqu’à nos jours a un sens, tout a un sens, qui nous échappe le plus souvent. »
Ce que la science dans les simples mesures de la raison ne pouvait livrer, la foi chrétienne le révélait. Certes, pour parvenir à cette perception, il fallait franchir les ordres : « Il faut beaucoup de silence pour entendre le doux murmure de la Parole de Dieu. » On sait que c’est à travers l’expérience religieuse de Martin Luther que le jeune homme avait adhéré au christianisme. Cela ne l’empêchait pas d’être un vigoureux ami du catholicisme et d’exprimer l’admiration qu’il avait pour les papes modernes. Le chrétien Chaunu était d’une exigence totale en ce qui concerne l’orthodoxie. Jamais il n’admit le libéralisme théologique et s’il s’interrogeait sur la division des Églises, c’était pour lui reconnaître cette vertu d’exprimer à plusieurs voix la richesse infinie de la Parole de Dieu. Nous n’oublierons jamais que l’ami que nous pleurons, voulut, son existence durant, associer son enseignement d’universitaire et sa prédication de la Parole révélée.
Gérard LECLERC
Le dernier livre de Pierre Chaunu est « Leçons pour la paix », éditions du Cerf, 126 pages, 15 euros. Il était fondé notamment sur un certain nombre de leçons que Pierre Chaunu donna au futur roi du Maroc Mohamed VI, et il donne du « vieux professeur » une image lumineuse et pleine d’espérance bien différente de celle que certains auraient voulu véhiculer…
— – Lire le bel article de Xavier Walter http://www.libertepolitique.com/culture-et-societe/5624-la-mort-de-pierre-chaunu
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