L’autre soir sur France 5, Franz-Olivier Giesbert avait invité ce qu’il convient d’appeler en France deux intellectuels : Edgar Morin et Régis Debray. De mon point de vue, ce fut un véritable régal, une leçon d’intelligence en direct. C’était, en tout cas, la preuve qu’on peut discuter courtoisement, échanger des idées, sans se croire obligé de s’envoyer des noms d’oiseaux à la figure. Il se trouve que je connais bien les deux interlocuteurs, et depuis longtemps. Je les apprécie l’un et l’autre dans des genres assez différents, car ce sont des esprits libres et en même temps inventifs. Le sujet, l’autre soir, c’était les frontières. Sacré sujet ! Régis Debray a écrit, il y a quelques années, tout un essai pour les justifier, alors que c’est presque un poncif de les anathématiser, de les diaboliser. Reporters sans frontières, Médecins sans frontières, j’en passe… Pour se donner un brevet d’humanisme généreux, il semble que rien n’est plus gratifiant que de proclamer qu’on ignore ces absurdes obstacles qui établissent des barrières entre les populations.
Régis Debray n’est pas d’accord, parce qu’il ne veut pas faire des limites entre les pays des obstacles, mais des marques symboliques et visibles en même temps d’une différence. Il ne veut pas ériger des murs. Il pense au contraire que là où il n’y a pas de frontières, on risque d’ériger des murs infranchissables, ainsi que cela se passe entre Israéliens et Palestiniens. C’est parce qu’il n’y a pas de frontières sûres et reconnues entre les deux peuples qu’on a dressé ce fameux mur qui fait désespérer d’une issue enfin pacifique à un conflit interminable.
Edgar Morin, qui défend toujours ce qu’il appelle une patrie-monde, une fraternité internationale, allait-il marquer un désaccord formel ? Et bien non, car il ne veut pas effacer la richesse du monde sous prétexte de globalisation. Il tient au respect des différences, à condition qu’il y ait des échanges réciproques. Relancés par trois interlocutrices pugnaces, les deux intellectuels précisent leurs notions, éclaircissent les zones obscures, et au total travaillent à une compréhension supérieure des relations internationales. Encore une fois, un modèle de débat, dont on aimerait qu’il serve d’exemple aux joutes intellectuelles dans le climat un peu pénible qui est le nôtre aujourd’hui.