De la subsidiarité : dehors et dedans - France Catholique
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La justice de Dieu
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De la subsidiarité : dehors et dedans

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Nous les Américains nous avons tendance à tenir nos mécanismes politiques pour définitifs et immuables. Notre Constitution est conservée aux Archives Nationales comme le Saint des Saints dans le Temple. C’est toujours le même document qui date de 1789 et qui a donné naissance à notre République. Mais la permanence n’est pas un principe de justice.

La France en est à sa cinquième république (depuis 1792). L’Allemagne en un siècle est passée de l’Empire à la république de Weimar, au National-socialisme, à la démocratie et à la réunification. La Russie orthodoxe a basculé du Tsarisme au Communisme athée et à l’oligarchie agrémentée d’un ornement démocratique. Ces changements qui sont la norme en Histoire sont causés par la guerre extérieure tout autant que par les affrontements internes.

La Constitution américaine a été amendée et réinterprétée en permanence, de manière plutôt radicale parfois, comme avec la décision de 1973 sur l’avortement (Roe v. Wade). Les résultats sur le long terme sont spectaculaires – comme l’extension du pouvoir central – mais progressifs. Cette progressivité est une menace pour le principe fondamental de subsidiarité.

Le Royaume-Uni nous en fournit aujourd’hui un exemple. Ce pays dont on vante la stabilité à travers les siècles a souvent réussi à se tenir à l’écart des batailles politiques et des modes culturelles en cours de l’autre côté de la Manche.

Lorsque, peu après la fin de la seconde guerre mondiale, fut fondée la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, les principaux dirigeants de l’Allemagne, Konrad Adenauer, de la France, Robert Schuman, de l’Italie, Alcide de Gasperi, étaient catholiques. Tous trois sont en cours de béatification. Ils cherchaient un moyen d’intégrer la puissance économique allemande au sein d’une structure qui conférerait à toute l’Europe la paix et la prospérité sans toutefois créer un pouvoir central excessif. Le Royaume-Uni choisit de ne pas en être, préférant garder le Continent à distance. Les Britanniques révisèrent ensuite leur position lorsque le Marché Commun prit forme, de peur d’être laissés en marge de la croissance économique. Après avoir essuyé une première rebuffade de la part de la France, la Grande-Bretagne finit par devenir membre des Communautés européennes en 1973. L’ambiguïté persista. Margaret Thatcher, alors Premier Ministre, restait méfiante envers le rôle croissant de Bruxelles et obtint son fameux « rabais » sur la contribution britannique au budget communautaire avec la simple requête : « Nous voulons rentrer dans notre argent ». La persistance de cet esprit poussa récemment le Premier Ministre actuel, David Cameron, à promettre un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne d’ici 2017, si le parti Conservateur est reconduit au pouvoir aux élections de 2015. Entretemps, il cherchera à négocier avec les autres membres de l’Union de nouveaux accords qui dissuaderaient la moitié des électeurs britanniques de voter pour un départ de l’Union.

Cameron modernise l’image des Tories mais il passe aux yeux de beaucoup pour un opportuniste sans principes. Il est l’un des dirigeants occidentaux qui considèrent le relativisme moral comme un problème culturel et donc politique pour son pays mais qui ne semble pas avoir de solution.

L’annonce du référendum a rencontré des objections de la part de l’Allemagne et d’autres pays favorables à l’Union européenne, y compris l’administration Obama. D’autres pays ont des doutes. La Finlande a voté en faveur de partis eurosceptiques. Le Premier Ministre de Hongrie, Viktor Orban, a encouru les critiques des pro-européens à cause d’une réforme constitutionnelle considérée comme non démocratique, non sans raison, mais le gouvernement de M. Orban a introduit des changements en réponse. L’ampleur de l’hostilité au vitriol dirigée contre M.Orban provient également en partie de son opposition à l’hégémonie de Bruxelles. Il est donc accusé de nationalisme, ce qui lui vaut aussi l’appui équivoque de forces populistes de droite. L’opinion à l’encontre de M. Orban hors de Hongrie est sans doute accentuée par la référence aux racines chrétiennes qui figure dans le préambule de la nouvelle constitution – alors que celle-ci avait été rejetée par les promoteurs d’un projet avorté de constitution européenne.

Le principe fondamental en cause ici est celui de subsidiarité. Selon l’enseignement traditionnel de l’Eglise catholique, toutes les questions doivent être décidées au niveau le plus bas de la communauté. Ce qui ne signifie pas la négation d’un gouvernement national ou des organisations internationales. Le besoin d’avoir recours à une autorité supérieure (par exemple le pape) ne vaut en revanche que si les entités locales ne sont pas capables de traiter le problème. Ce qui restreint toute imposition autocratique par le haut. L’Union européenne prétend accepter ce principe.
Les réactions provoquées en Grande-Bretagne et ailleurs par le renforcement de l’autorité de l’Union sont l’expression que la subsidiarité est en train d’être viciée. Beaucoup de gens demandent simplement à « récupérer nos compétences légitimes ». Ce débat est l’indication que si forte ait été la pulsion centralisatrice des élites européennes au cours des décennies, des forces insistent puissamment aujourd’hui en faveur de plus de décentralisation.

Les Etats-Unis peuvent en tirer des leçons. Les Pères fondateurs ont conçu, au travers de difficiles compromis, un système fédéral de gouvernement suffisamment fort pour garantir le bien commun tout en réservant de nombreux pouvoirs aux Etats membres. En ce sens, c’est un modèle intelligent et sage de subsidiarité. L’équilibre initial a été depuis radicalement bouleversé, spécialement depuis l’ère interventionniste de Teddy Roosevelt et, dans un autre genre, de Woodrow Wilson. Les Pères fondateurs avaient étudié l’histoire des formes de gouvernement et n’ignoraient pas que la forme démocratique était l’une des plus fragiles, vulnérable à tous les dangers qui découlent du passage de la liberté ordonnée à l’oligarchie et au populisme. Ici tout comme en Europe, les considérations sur la subsidiarité peuvent donner lieu à un débat général sur les objectifs et les modes de gouvernement.

Nous ne pouvons pas revenir à 1789. Mais un Etat centralisé moderne qui rejetterait la subsidiarité serait injuste. Cette injustice doit nous conduire à réintroduire la subsidiarité au sein de nos mécanismes politiques.

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/subsidiarity-foreign-and-domestic.html

Photo : Cameron en fabriquant de bombe à retardement.