Plus on parle de la justice et plus je me réjouis car il va bien falloir qu’un jour on engage un vaste débat de fond sur ses moyens, sa légitimité, et sa place dans un état de droit. On sait que la justice est en faillite, qu’elle est critiquée de toutes parts, qu’on la croie politisée à outrance, et qu’on ne lui fait pas confiance surtout si l’on a perdu un procès ou qu’un ami (politique ) est mis en cause. Mais on a la justice que l’on mérite et si on ne veut pas la réformer et lui donner des moyens modernes et conséquents de fonctionner il y aura toujours des insatisfactions et toutes les lois que l’on vote si elles ne sont pas appliquées et arbitrées ne serviront à rien. Le dossier de M. Fillon illustre mon propos. C’est Guy Mardel qui chantait avec grand succès, jadis, « N’avoue jamais » ce que parfois les avocats conseillent à leurs clients. Mais faute avouée est à moitié pardonnée, paraît-il, et je le confesse : je voterai en mai pour le candidat de la droite républicaine libérale et conservatrice ce qui est compatible (lire mon blog : fremauxchristian.blogspot.com du 4 /12/2016 : « to be or not to be libéral et conservateur »). Je suis donc partial et partisan. Cela n’empêche pas de réfléchir en morale comme en droit à ce qui est, aux procédures en cours, en toute objectivité, du moins je le pense.
Je m’étais interrogé dans un article de mon blog du 5 septembre 2016, donc bien avant ce qui défraie la chronique pour savoir si « la justice pénale fait-[elle ]l’élection » donc du rapport entre la justice et la politique, ou l’opposition entre les juges et les citoyens (surtout les militants). J’avais conclu que « comme l’hirondelle la justice ne fera pas le printemps en mai 2017. Mais elle peut couvrir d’un manteau d’hiver divers postulants à la présidence de la république, ce qui les entravera dans leurs envolées pour nous convaincre ». À l’époque j’avais réfléchi à partir des cas judiciaires de MM.Cahuzac et Sarkozy. J’ai été rattrapé par l’actualité avec M. Fillon qui me paraissait être à l’abri de toute investigation des juges ! et ayant gagné haut la main la primaire de la droite avec un programme de réformes audacieux et la volonté de bousculer les acquis, les privilèges (tous y compris ceux des parlementaires) et les habitudes. Comme quoi on peut se tromper sur les hommes même si j’espère que la dénonciation est calomnieuse et que M. Fillon sortira de cette épreuve encore plus fort, ce qui lui permettra de se pencher aussi sur le sort de la justice puisqu’il en aura apprécié les fourches caudines. La réalité dépasse toujours la fiction, et la présomption d’innocence est piétinée par une information inattendue tirée d’un organe de presse, qui vaut « preuve » selon le tribunal de l’opinion – un journaliste n’ayant pas à dévoiler ses sources ce qui est fondamental – presse qui est moins rapide à s’excuser et à réparer les dégâts lorsqu’il y a un non-lieu ou un classement sans suite. Personne n’est dupe de la manœuvre politique à trois mois de l’élection. Mais s’il n’y avait pas eu des faits même très anciens peut-être prescrits d’ailleurs ? datant pour les premiers de 1988 d’après ce que je lis, la justice n’aurait pas réagi. Il n’y a pas de complot mais une volonté politique de ne pas faire élire le candidat désigné en lui renvoyant la monnaie de sa pièce : l’honnêteté concerne tout le monde et quand on parle de morale, il faut être irréprochable, ce dont – comme militant – je ne doute pas pour M. Fillon. N’accablons donc pas les juges(ceux du parquet seulement en l’espèce)de faire leur travail et examinons les questions en jeu à savoir : qu’est une enquête préliminaire, et peut-on commettre une infraction ( le détournement de fonds publics par un travail fictif) alors que l’emploi d’un assistant parlementaire est légalement discrétionnaire, contrôlé par le parlementaire exclusivement et même pas par l’assemblée qui est le payeur ? .Si la loi est floue il n’y a pas forcément un loup, et des dizaines de parlementaires de toute tendance politique vont devoir se justifier. Quel séisme dans les familles et dans l’antre de la fabrication de la loi et des « privilèges » des parlementaires, qu’il va falloir modifier… pour l’avenir. En lavant plus blanc que blanc, le linge devient-il gris ou incolore comme le disait à peu près Coluche pour les lessives ?
Une enquête préliminaire est prévue aux articles 75 et suivants du code de procédure pénale. Elle résulte le plus souvent d’une dénonciation formelle, d’une plainte d’une victime qui prétend avoir subi un préjudice ou que l’on a voulu lui nuire, ou elle est ouverte d’office par le parquet qui se trouve dans chaque TGI sur le territoire. Elle est confiée à la police et a pour but d’éclairer le ministère public (les procureurs, magistrats chargés de faire respecter la loi au nom de la société) sur le bien-fondé d’une poursuite, ou non. On est dans le soupçon. Chacun connaît aussi le flagrant délit, ou le crime flagrant. Le délai de l’enquête doit être raisonnable : de 6 à 12 mois selon l’article 77-2 du code de procédure pénale. La garde à vue est possible, avec recours à un avocat dans ce cas. Mais on a créé spécialement un parquet financier national pour les infractions d’envergure plutôt complexes, comme les affaires de corruption, de marchés publics frauduleux, de fraudes fiscales, de blanchiment et en l’occurrence de détournements d’argent public. Le parquet financier national n’a pas à justifier de ses saisines d’office, plusieurs dizaines d’enquête étant en cours actuellement. C’est Mme éliane Houlette qui est la cheffe depuis 2014 du parquet national financier, sous l’autorité du procureur général de paris. Laissons donc faire la justice qui prendra ses responsabilités et qui, quelle que soit sa décision sera critiquée ; si elle classe sans suite le dossier de M. Fillon la droite exultera mais on accusera la justice de n‘être pas courageuse voire instrumentalisée ou servile en réservant l’avenir. Si la justice estime qu’il y a des éléments permettant soit de renvoyer M. Fillon directement par citation directe devant un tribunal correctionnel, soit de soumettre le dossier à un juge d’instruction (donc avec un temps long et une possible mise en examen) la droite criera à la machination et au gouvernement des juges qui pèseront sur le résultat de la future élection. Les juges peuvent aussi estimer que le détournement de fonds publics n’est pas démontré et donc exonérer M. Fillon, et ne s’intéresser qu’au travail de Madame Fillon à la revue des deux mondes en estimant que M. Ladreit de Lacharrière son propriétaire ne peut utiliser son propre argent comme il le souhaite et que c’est un abus social de rémunérer cher, une dame qui collabore occasionnellement et donc de juger ce qu’un employeur doit faire… dans son entreprise ! Dans ce cas seuls le patron de la revue et sa collaboratrice Mme Fillon (pour recel) seraient renvoyés devant le tribunal correctionnel. Que ferait M. Fillon ? Je ne doute pas que naturellement il défendrait sa femme puisque cette situation est de sa responsabilité, mais n’étant pas lui-même mis en examen il ne renierait pas sa parole et son honneur ne serait pas atteint. Je galèje bien sûr, car le pire n’est jamais certain et les magistrats sont suffisamment juristes, diplomates et citoyens pour mesurer leur responsabilité et choisir la solution qui correspond au droit et à l’éthique. Les justiciables-citoyens ne comprendraient pas qu’il n’y ait pas égalité devant la loi et il ne faut pas ajouter à la confusion politique qui rejaillit sur la démocratie un désastre judiciaire qui discréditerait la justice en plus. Mais le plus simple et le plus satisfaisant est que M. Fillon justifie du travail de son épouse que l’on n’est pas obligé de mesurer selon les critères classiques du temps passé, des courriels envoyés, des cérémonies, des réceptions diverses dans la Sarthe, à l’Assemblée ou ailleurs…Toute personne élue même à un plus petit niveau localement comme moi (maire, conseiller départemental ou régional…) sait combien l’épouse ou la compagne voire les enfants jouent un rôle important pour les concitoyens auprès des candidats, des élus, à toute heure, à la maison ou ailleurs, comme conseil, soutien moral, familial, politique voire plus et sacrifient leur propre carrière. Il est donc normal de les rémunérer.
L’opposition est coite et rase les murs car les élus de gauche, extrême aussi ou du front national sont dans la même situation : à compétences égales voire supérieures, puis qu’il n’est pas formellement interdit d’employer un membre de la famille au sens large, un neveu, un cousin, un ami, un copain d’un ami… pourquoi vouloir faire un cas particulier ? Que pense-t-on des cadres autonomes qui ne font pas les 35 heures (mais beaucoup plus sans remarques) et n’ont pas à justifier de leur travail, dès l’instant que l’employeur est satisfait ; ou du télé-travail ; ou de celui qui voyage en avion ou dans les trains ou sur la route tout le temps, ou du haut fonctionnaire qui dépend seulement de son ministre ou de l’État même quand il se fait cirer les pompes à l’Élysée… Ne commençons pas à être poujadiste et à accabler l’autre payé sur des fonds privés ou publics même si pour ce dernier cas il faut être encore plus strict. Additionner comme le fait le canard enchainé les sommes reçues sur 20 ou 25 années pour obtenir un total gigantesque et marquer faussement les esprits n’est pas pertinent et est d’une particulière mauvaise foi : si on cumule les salaires de chacun (notamment les cadres supérieurs) sur une période aussi longue cela fait des sommes considérables, toutes proportions gardées, mais ne correspond pas à un abus. On est dans le registre de la démagogie et on dénonce les prétendus riches aux smicards. Ce n’est pas un argument de droit et de haute politique ! Attendons la fin de l’enquête avant de se féliciter ou de se désespérer et ayons confiance. M. Fillon vaincra. Si l’on voulait rire on ajouterait que M. Hamon par son revenu universel veut payer par fonds publics tous les citoyens du pauvre au milliardaire sans aucune obligation de travailler : serait-ce une proposition de loi pour rendre le travail fictif légal et… encouragé ?
Le droit français permet de répondre à une autre question : comment ce qui est légal (faire rémunérer par le parlement un travail d’assistant, sans contrôle sur ledit travail de l’Assemblée ou de la Cour des comptes ou de tout organisme financier public) peut il se transformer en ce qui serait une infraction pénale ? On a le droit ou non dit le quidam qui a du bon sens. En France on n’a pas de pétrole mais on a des idées et les juristes ont l’imagination fertile, surtout ceux qui travaillent à Bercy. En droit fiscal il y a la notion d’abus de droit que l’administration invoque quand la légalité a été respectée, mais qu’il y a eu des montages prouvant que l’on a voulu éluder le paiement de l’impôt. Avec M. Fillon cet argument ne tient pas. Il est de bonne foi : il a appliqué les règles et la pratique du parlement. Il est l’employeur et n’a évidemment rien à reprocher au travail de sa femme (avocate de formation et spécialiste littéraire), mais surtout partageant tous ses combats et ses difficultés) ou de ses enfants étudiants en droit (comme nombre d’assistants parlementaires en fonction) compétents puisque devenus avocats.
Il n’y a donc pas eu d’abus de droit. Rappelons que l’on reproche à M. Fillon une infraction pénale. Le droit pénal est autonome et d’application stricte. Le doute profite à l’accusé ; ce sont des principes de base dont M. Fillon comme tout citoyen doit bénéficier. On peut être tenu pour responsable financièrement sur le plan civil sans que cela soit une infraction pénale. Et on peut être condamné pénalement sans avoir de sanction civile et devoir payer quoique ce soit. Ce sont des constantes de la loi et de la jurisprudence. Tout juriste sait cela. Tout avocat les invoque. Tout juge doit les appliquer. Quant à l’argument émotionnel consistant à dire que M. Fillon a fait le contraire de ce qu’il demande aux autres, chacun l’appréciera s’il est avéré qu’il est coupable, ce qui ne me paraît pas être le cas. En droit civil encore il y a une disposition qui dit qu’un texte dont la signification est confuse s’interprète contre celui qui l’a émis. En l’occurrence le parlement doit balayer devant sa porte : si ses règles appliquées par beaucoup de parlementaires sont obsolètes compte tenu de l’évolution des mœurs qui veut la transparence et que les puissants n’aient pas de privilèges et rendent des comptes, ce qui est légitime pour être exemplaires, il faut les changer et en voter d’autres, claires, courtes, précises, surtout en matière répressive. Les régimes dits spéciaux (comme les diverses indemnités parlementaires à usage discrétionnaire) doivent être supprimés… La réforme en tous ses états est donc indispensable.
À propos de changement je reviens à mes propos d’origine sur la nécessité de rénover la maison justice, civile comme pénale de fond en comble. Dire que les juges sont indépendants n’a plus de signification réelle. Par rapport à qui ou à quoi doivent-ils être indépendants ? Faut-il les élire comme aux USA ? On se rassure et on veut y croire et ce n’est pas les juges qui sont en question mais le système. La Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg considère que les procureurs, les membres du parquet, ceux qui poursuivent, ceux qui enquêtent sur M. Fillon ne sont pas des magistrats au sens commun du terme, puisque leur hiérarchie remonte jusqu’au ministre de la justice ?
Pourquoi ne pas en faire un corps « d’accusateurs ou d’enquêteurs publics » ? sous l’autorité d’une personnalité qui doit obtenir l’approbation des 3/5e du Parlement ? et qui transmettent les dossiers, après enquête non publique pour protéger la présomption d’innocence, que la presse doit respecter-seulement quand les faits sont établis aux magistrats du siège. Certes il n’y a plus actuellement d’instructions données dans les dossiers individuels mais on s’interroge toujours en ayant en outre le sentiment faux – mais parfois vérifié il faut l’admettre – que des juges syndiqués qui s’expriment publiquement et politisés – dits rouges – pullulent dans les juridictions. Quelle est la vraie légitimité des juges qui ont passé jeunes un concours très difficile, qui sont payés par l’État et qui défendent l’intérêt général incarné par la loi ?
Indépendance ne veut pas dire impunité. L’intérêt général est aussi de la compétence du privé. Le justiciable ne sait pas quoi penser et il s’imagine n’importe quoi. En quoi la légitimité d’un élu doit-elle s’effacer devant celle des juges, sauf infraction démontrée ce qui est un cas devenu relativement moins rare. Le général de Gaulle a voulu dans la constitution de 1958 une simple autorité judiciaire face au pouvoir exécutif et au pouvoir législatif. N’est-il pas temps de revenir vraiment à Montesquieu et de créer un véritable pouvoir judiciaire, avec des garanties certes, des contrôles démocratiques pour éviter tout dérapage, sans pour autant constituer un gouvernement des juges qui fait peur à beaucoup de monde ? L’indépendance des juges ceux qui sont assis, qui siègent en tranchant les litiges doit être confortée réellement en leur garantissant leur carrière, des traitements augmentés car ils ont le sort d’individus entre leurs mains et doivent prendre des décisions graves concernant la société en tous les domaines, et peut-être en pouvant engager leurs propres responsabilités en cas de fautes avérées, d’erreurs ayant de graves conséquences… L’égalité est pour tous. Enfin il ne faut pas « mégoter » et être pingre : la justice a besoin d’un vrai budget avec plus de moyens matériels et humains (juges, greffiers, assistants…) pour qu’elle puisse être moderne et rapide dans la prise de décisions et être un arbitre impartial des conflits puisqu’il est acquis que chacun veut que l’on tranche ses litiges objectivement, sachant que celui qui perd son procès maudira toujours son juge. C’est humain. Une justice forte obligera à l’exemplarité ce qui est aussi le but recherché.
Comme la femme de César la justice et les magistrats doivent être insoupçonnables : ils ne doivent rouler pour personne, et ne servir que la loi (qui est objective et neutre) qui quand elle se confond avec la morale (qui est subjective) satisfait les citoyens. Le premier président Séguier, déclarait il y a longtemps, que la justice rend des arrêts et pas des services. Justice et politique ne sont pas des adversaires. Il faut cesser de les opposer. Chacun doit rester dans son domaine et collaborer dans l’intérêt supérieur de la nation donc des citoyens.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Affaire Ulrich KOCH contre Allemagne : la Cour franchit une nouvelle étape dans la création d’un droit individuel au suicide assisté.
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.
- Édouard de Castelnau
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918