La première messe de l’histoire a été la Cène, commémorée chaque Jeudi saint. Au cours de son dernier repas, le Christ enjoint à ses disciples : « Faites ceci en mémoire de moi. » Mais le lieu de la célébration, lui, n’est pas précisé. Dans les Actes des Apôtres, on lit que « chaque jour, d’un seul cœur, ils allaient fidèlement au Temple, ils rompaient le pain dans leurs maisons ». Si donc les premiers chrétiens se rendent au Temple, c’est seulement pour l’enseignement ; la fraction du pain, elle, se fait alors dans les maisons. C’est l’assemblée (ecclesia en grec) qui fait le lieu sacré, et non l’inverse. Toutefois, contrairement à nous en cette période de confinement, les chrétiens pouvaient se rassembler en communauté, quand nous sommes seuls ou en famille, en l’absence de prêtre, pour assister à la messe en live sur YouTube ou Facebook – ce qui n’est pas la même chose que la messe « réelle ».
Les tituli chrétiens
Le point de ressemblance est néanmoins que la prière et la messe – alors confondus dès le IIe siècle, rapporte saint Justin –, se déroulent la plupart du temps dans des lieux privés. Ainsi, chez les chrétiens de Rome au IVe siècle, la messe, pourtant prière publique, prend place chez soi, ou du moins chez certains des membres de la communauté, est aussi chose courante. Les toutes premières églises de Rome, dans lesquelles a pris forme la liturgie latine, sont en effet soit les maisons privées de citoyens romains qui accueillent les réunions des chrétiens – oratoriae ou oraculae ; soit des diaconies, placées sous le contrôle d’un diacre ; soit des maisons ayant un titulus, appelées aussi domus ecclesiae, littéralement, « la maison de l’assemblée ».
Les tituli sont nommés d’après le propriétaire du lot ou de l’immeuble assigné à cet usage, et par la suite d’après l’évêque correspondant. La basilique Saint-Clément, que vous pourrez visiter lorsque le voyage à Rome sera à nouveau permis, offre un panorama vertical de l’évolution des églises romaines dans le temps. En effet, trois bâtiments sont « empilés » : un titulus, une basilique du IXe siècle et celle du XIIe siècle, au niveau de la rue.
Dehors ou dedans ?
Puis, au Moyen Âge occidental, l’église devient primordiale : « Le propre des religions anciennes est la diffusion, voire la dispersion, du sacré. Le christianisme latin, par réaction, est une religion fortement concentrée », explique Alain Rauwel, auteur de Rites et société dans l’Occident médiéval (éd. A. et J. Picard, 2016).
Une grande importance est accordée au lieu de la célébration et il est particulièrement impossible de célébrer la messe en plein air. Au XVIIe siècle, les missionnaires eux-mêmes exigent d’avoir un sanctuaire fermé, fût-il fait de branchages et reconstruit chaque jour. En 1706, Jean Girard de Villethierry énonce clairement que c’est l’édifice qui fait la célébration.
Toutefois, les grandes épidémies, comme à Annecy lors de la peste de 1629, compliquent cette règle. L’évêque du lieu fait alors mettre un autel près de la porte, mais dans l’église, afin que les fidèles, massés à l’extérieur, puissent suivre la messe depuis la rue. À l’heure du coronavirus, les mesures sont plus radicales et plus aucune messe publique n’est hélas autorisée. Le moyen de ralentir la progression du Covid-19 est d’être à l’intérieur, mais à l’intérieur de chez soi – même pour suivre la messe en virtuel.
En paroisse ou au monastère ?
En outre, cette particularité actuelle – numérique – et provisoire bouscule cependant un peu plus la répartition des fidèles, qui a toujours été une épineuse question. Au IVe siècle, il est obligatoire d’assister à la messe dominicale dans sa paroisse. Aux XVIe et XVIIe siècles, ce principe est mis à mal et nombreux sont ceux qui préfèrent les messes des couvents et monastères, Léon X ayant déclaré en 1517 que ces fidèles « ne commettent aucun péché grave ni n’encourent aucune peine ecclésiastique ». Vers 1630 l’évêque de Tournai promet 40 jours d’indulgence à ceux écoutant la messe à la paroisse, comme encouragement ! Aujourd’hui encore, il est généralement « mal vu », bien qu’admis dans les faits, de pratiquer le dilettantisme paroissial.
La famille, une Église domestique
« L’Église universelle, et en elle chaque Église particulière, se révèle plus immédiatement comme épouse du Christ dans l’Église domestique et dans l’amour vécu en elle », souligne saint Jean-Paul II dans sa Lettre aux familles en 1994. Benoît XVI ajoute, dans son encyclique Deus caritas est, que « le mariage […] devient l’icône de la relation de Dieu avec son peuple ». Alors que nous vivons, pour beaucoup, un huis clos familial où la promiscuité peut provoquer quelques tensions, il semble plus que jamais l’heure de se rappeler que nous sommes l’Église avant tout avec nos parents et enfants, appelés à la sainteté dans chacune de nos actions quotidiennes.
Car, comme le soulignait Mgr Georges Chevrot dans Notre messe (éd. Desclée de Brouwer, 1942), la messe peut se poursuivre dans notre vie « si nous offrons à Dieu notre travail de chaque jour, en union avec le sacrifice de Jésus ». Faisant de notre vie une « élévation vers Dieu », et constituant ainsi, selon l’ancien curé de Saint-François-Xavier à Paris, la meilleure réponse à la sécularisation et à l’athéisme qui rabaisse les « aspirations humaines aux seules satisfactions de la terre ».
Enfin, « la messe sans la charité, écrivait Mgr Gerbet, serait un sacrifice sans action de grâces ». Pourquoi dès lors ne pas offrir nos prières domestiques et nos privations douloureuses de sacrements pour tous les chrétiens qui sont de manière habituelle privés de la messe, à cause des guerres et des persécutions ?