Les biographes d’Edith Stein – désormais notre sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix – donnent comme une chose merveilleuse qu’elle ait retrouvé son identité juive en même temps qu’elle devenait chrétienne. « Retrouvé », puisque adolescente elle avait abandonné une foi juive qu’elle ne vivait plus guère d’ailleurs qu’au niveau sociétaire. Si telle ne l’avait carrément abandonnée…
C’est chose merveilleuse, en effet, mais en rien anormale. Combien de mariages d’amour ont eu un impact similaire sur la vie spirituelle des contractants ! Ainsi, par exemple, elle, incroyante, s’est éprise d’un garçon qu’elle admire « sur toutes coutures ». De la personne de l’ami elle passe aux structures éducatives qui l’ont façonné. Supposons qu’elle y découvre l’Evangile, l’Eglise, une famille chrétienne exemplaire, et que cette découverte lui pose problème sur sa propre identité. Après tout n’est-elle pas, elle-même ( c’est notre hypothèse), n’est-elle pas baptisée et donc liée plus quelle ne l’aurait pensé d’abord à son ami ? Et voilà une étincelle qui s’éveille sous la cendre, un germe qui se met à vivre.
Edith a lu un soir, et le livre est resté dans ses mains toute la nuit, elle a lu l’autobiographie de Thérèse d’Avila. C’est un choc avec son héroïne (qu’on sait maintenant de racine juive). La grâce de Jésus qui est vérité l’atteint, la subjugue. Au petit matin elle rend les armes : « Je serai catholique ! » Mais dans ce rapide parcours , elle rend aussi hommage à l’arbre auquel elle découvre appartenir par ses propres racines. Elle sera catholique, elle sera chrétienne parce que juive. Non pas bien que juive, mais tout en étant, tout en restant , et au fond, oui, parce que juive. Non seulement biologiquement , ce qui va de soi, mais spirituellement.
Ce langage exaspère l’orthodoxie d’Israël, une conversion au christianisme étant conçue par elle comme une trahison, Jésus comme un déviant. A moins que ce ne soit Paul, le rabbin devenu fou qui ait engendré cette tige gourmande vénéneuse.
La pensée de l’Apôtre était tout autre, on s’en doute. Il se faisait gloire, dans sa profession religieuse nouvelle, de rester juif fidèle. Sa « reddition » à Jésus-Christ n’est pour lui que l’accomplissement de l’engagement d’Israël à l’endroit du Messie promis, Messie attendu, Messie arrivé. Un Messie qui est le Seigneur Dieu lui-même !
Même conception de continuité, sans aucun problème de conscience, chez les premiers disciples, qui sont tous juifs et entendent bien le rester dans tout leur être. Certes on passera de la Loi à la foi car celle-ci est le « plus » salvifique Du coup les païens sont admis dans l’Alliance sans avoir à passer par Abraham et Moïse. Mais sans que les juifs perdent pour autant leur privilège d’être le tronc porteur historique.
C’est encore plus clair chez la Vierge Marie, chrétienne mieux que quiconque avant même la naissance de Celui auquel elle s’incorpore dans son sein. De rupture avec la Synagogue dans son esprit, il n’y en a pas. Par contre, il y a l’épanouissement progressif de sa foi et de son oblation, à la mesure de l’identité profonde de son petit.
Certains biographes catholiques d’Edith aiment mieux parler de son passage en Jésus-Christ à partir de l’athéisme de ses quatorze ans que de sa foi juive antérieure. Ils craignent d‘offenser Israël en évoquant tant soit peu la continuité. Ce serait, pensent-ils, une provocation. Mais ils n’auraient raison que si Israël maintenait à jamais une vocation propre en dehors d’une orientation vers Jésus-Christ. Ce n’est pas là une position cohérente avec l’affirmation d’ « une seule foi, d’un seul Seigneur, d’un seul Dieu et Père » qui fait pourtant partie de leur credo.