Constantin Melnik. De Gaulle, les Services secrets et l’Algérie. Avant-propos d’Olivier Forcade, entretien avec Sébastien Laurent, articles de presse. Ed.Nouveau Monde, 2010,
464 pages dont 92 d’entretien et d’articles. 22 €.
D’origine russe, analyste stratégique de l’Union soviétique à la Rand Corporation, Constantin Melnik est appelé en avril 1959 par Michel Debré, en vue de cordonner à son cabinet les affaires de renseignement. Remercié en avril 1962, l’auteur fait un nouveau passage à la Rand, puis publie de 1988 à 2000 des essais et des romans qui se réfèrent à son expérience de Matignon. Il y revient en 2010.
La réalité n’étant pas toujours facile à déchiffrer dans ses écrits, deux historiens s’efforcent de faire un nouvel inventaire, d’où il ressort que si le renseignement relève de l’art de gouverner, le Premier ministre, chargé de l’action, n’en domine pas tous les rouages et ne réussit pas la centralisation. Le SDECE n’est contrôlé ni par l’exécutif, ni par le législatif. Quant au général de Gaulle, chargé de la parole, il considère les Services secrets comme des instruments de la violence d’Etat, vulgaires et subalternes ; son génie médiatique ne l’empêche pas, par ignorance, de commettre des erreurs, telles que des contacts suicidaires dans l’affaire si Salah ; il ne comprenait rien au renseignement moderne (sic). C’est en fait Foccard qui deus ex machina, oriente l’action contre les trafiquants d’armes et coordonne le renseignement sur l’Afrique.
Quel est le rôle de Melnik dans ce désorde ? Au milieu de réflexions stratégiques et morales, sur les dérapages inacceptables du service Action et des camps d’internement, sur la république bananière des barons du gaullisme, sur la mythologie de la Main rouge, sur le pouvoir qui corrompt, sur les parachutistes exaltés et l’armée mise hors jeu lors des barricades, il révèle un certain nombre d’anecdotes et d’événements dont il fut témoin : – l’affolement du Cabinet au moment du putsch – les appels de Malraux à bombarder Alger, et de Sanguinetti à flinguer d’abord – les clivages du Cabinet entre libéraux et ultras – l’incompatibilité entre les diplomates et le renseignement – le financement à perte du journal Candide – la restitution d’une cargaison d’armes à la Tunisie – l’aveu de Mourad Oussedik sur le coup mortel porté au FLN par les harkis de Paris – la répression de la manifestation FLN du 17 octobre 1961, acte de guerre ordonnée au plus haut niveau de l’Etat – la bombe du SDECE qui éclate au quai d’Orsay en janvier 1962. Il évoque également les orientations du plan de recherche gaullien de juillet 1958.
Intime collaborateur de Michel Debré (avec lequel il rompt pour épouser sa secrétaire), considéré par certains médias comme un vice-premier ministre ou un Commandant en chef (sic), Melnik apparaît avant tout comme une courroie de transmission entre le Premier ministre, le général Grossin du SDECE et le Préfet Verdier chef de la Sûreté. Ses principales initiatives concernent la centralisation des écoutes (GCR), l’orientation des RG vers les extrémistes de gauche et de droite, la désignation du préfet Hacq pour la mission C, et l’ouverture de négociations confiée à Loquin en novembre 1960. En fait il ignore que des contacts ont été établis par Barakrok 1 en septembre 1958, sous le contrôle d’Edmond Michelet. C’est le colonel Mathon qui suit la situation en Algérie. Melnik n’intervient pas dans la mise sur pied de la Force de police auxiliaire et des SAT à Paris, dans les rapports avec la Commission de Sauvegarde des libertés, dans les entretiens de Médéa avec Si Salah, dans l’orientation des Services (CCI et DST) en Algérie. Intelligent et retors selon Foccard, il semble manquer de discrétion avec le journaliste Jean Cau. Il aurait souhaité que l’on négocie2 dès 1958 avec le GPRA, et préconise l’engagement de l’armée contre l’OAS à Alger. Il prend pour argent comptant la surestimation des pertes de Sétif, de Madagascar, du 17 octobre 1961, et du total de la guerre d’Algérie. Enfin il ne fait pas la différence entre la recherche d’un renseignement partiel, assurée par les Services secrets, et la synthèse de toutes les sources qui est confiée au Centre d’exploitation du SGDN, qu’il semble ignorer.
Maurice Faivre