En lisant The second Vatican Council : An Unwritten Story [« Le second concile du Vatican : une histoire non écrite »] de Roberto de Mattei, je me suis mis à me remémorer quelques problèmes brûlants du catholicisme du début des années 1960 : « participation active » à la messe ; avènement de la pilule contraceptive, menace communiste, place des dévotions mariales et mouvement oecuménique.
Il y a, semble-t-il, aujourd’hui une impression répandue selon laquelle la convocation d’un nouveau concile de l’Eglise fut une idée spontanée jaillie du cerveau du pape suprêmement optimiste et un peu libéral Jean XXIII. Mais c’est une erreur. Les prédécesseurs du pape Jean, Pie XI et Pie XII avaient tous les deux sérieusement examiné la possibilité de convoquer un concile comme une suite à Vatican I. Le cardinal conservateur Alfredo Ottaviani, chef de la curie du Vatican, incita fortement Pie XII et Jean XXIII à prendre des initiatives pour un nouveau concile. Le pape Jean, quelques mois après son accession au Saint Siège, accepta la suggestion d’Ottaviani comme une inspiration du Saint Esprit, et décida de convoquer un concile oecuménique.
Dans son compte rendu magistral, de Mattei en décrit les préparations initiales : dans son encyclique de 1959 Ad Petri cathedram, le pape Jean XXIII définit deux principaux objectifs pour ce concile : « Pour provoquer un développement de la foi catholique et un vrai renouveau moral du peuple chrétien ». Une enquête sur les agenda possibles fut envoyée aux évêques du monde, aux supérieurs des ordres religieux et aux universités catholiques.
En janvier 1960 près de 3000 réponses furent reçues par le Vatican. Les recommandations (vota) furent enregistrées. De Mattei résume :
La majorité des vota (même celles de l’épiscopat français tenu pour l’un des plus progressistes) demandait la condamnation des maux modernes, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, surtout du communisme, et des nouvelles définitions doctrinales au sujet de la Bienheureuse Vierge Marie.
A la première des quatre sessions du concile, 2 381 pères conciliaires participèrent. Un tiers des évêques venaient d’Europe, bien que la plupart des 500 Pères d’Afrique et d’Asie fussent d’origine européenne. Seulement 50 des 146 évêques étaient du monde communiste et seulement 44 des 144 évêques chinois étaient présents. Tout le travail du concile fut mené en latin.
Les schémas initiaux avaient été préparés par dix commissions réunies par le pape, sous la direction de treize cardinaux, coordonnés par trois secrétariats. Les premières commissions correspondaient pour la plupart aux congrégations de la Curie romaine, sous la direction du cardinal Ottaviani. A l’instigation de l’archevêque Lorenzo Jäger et du cardinal Augustin Bea, Jean XXIII créa aussi un secrétariat pour la promotion de l’unité chrétienne sous la direction de Bea et du prêtre hollandais, Johannes Willebrands.
Très tôt ce secrétariat pour la Promotion de l’unité des chrétiens fut désigné par le pape Jean comme une commission qui avait le pouvoir de contrôler et de reformuler le travail des autres commissions. Il devint progressivement un « primus inter pares » et commença à éclipser les efforts de la Curie. Selon de Mattei, l’importance de cette commission pour les débats du concile orientée vers l’oecuménisme ne saurait être sous-estimée. « Cela enleva au Saint Office la responsabilité des relations entre Catholiques et les autres confessions chrétiennes, et…cela transforma la traditionnelle attitude romaine à l’égard des hérétiques et des schismatiques ». Cela devint un chien de garde pour surveiller le travail qui sortait des autres commissions et qui pourrait avoir d’éventuelles conséquences négatives pour les relations oecuméniques.
Vatican II, selon les intentions et les directives du pape, fut œcuménique au sens traditionnel – un rassemblement des prélats venus du monde entier pour délibérer sur les questions concernant l’Eglise. Il n’était pas prévu comme « œcuménique » au sens des dénominations protestantes du début du XXe siècle, coordonnant leurs différentes missions et conduisant en 1948 à la création du Conseil oecuménique des Eglises. Cependant, sous la direction de la commission du cardinal Bea, cedernier sens, venu du protestantisme, commença à orienter la plupart des débats du concile.
Beaucoup de propositions furent évaluées selon qu’elles pourraient faciliter ou gêner l’idéal d’unification avec les autres chrétiens. Les représentants protestants et orthodoxes qui avaient été invités comme « observateurs » au Concile furent souvent consultés par les théologiens et les prélats associés à la commission.
Un conflit entre Bea et Ottaviani se fit jour pendant les préparations initiales dans une session consacrée à la relation entre le catholicisme et les autres religions. La présentation du cardinal Ottaviani était intitulée De tolerantia, et celle de Bea De libertate religiosa. Ottaviani déclarait que la relation avec les autres religions était un problème théologique qui devait être examiné sous la direction de sa commission théologique, et il défendait son droit à la rédaction du schéma sur le sujet. Bea répondit que c’était la prérogative de sa propre commission, et il ajouta « Je m’oppose radicalement à ce que vous dites dans votre schéma De tolerantia » ce fut la première de plusieurs manoeuvres qui devaient éventuellement réduire l’influence du Saint Office.
Une alliance progressiste de théologiens comme Yves Congar, Henri de Lubac, et d’évêques et cardinaux progressistes comme Léon-Joseph Suenens et Helder Camara, se mit à se rencontrer régulièrement et dressa une liste « ennemie » d’« Ultramontains » faisant obstruction à leur mouvement pour la réconciliation avec le protestantisme. « Les chefs de la conférence », observe de Mattei, « étaient les pères Rahner ou Küng pour les régions germanophones, Chenu, Congar, de Lubac, Daniélou pour les régions francophones, et Schillebeeckx pour le monde anglophone »
Avant le concile, le cardinal Eugène Tisserant avait mené des négociations secrètes avec des observateurs potentiels russes orthodoxes, qui voulaient l’assurance qu’i n’y aurait pas de dénonciations explicites du communisme pendant le concile. En réponse aux multiples appels pour une condamnation claire du communisme, Jean XXIII se dissocia lui-même de ces « prophètes de malheur » dans son message d’ouverture et mit en avant sa confiance dans ce que « le plan de Dieu dans sa bonté réserverait à l’Eglise ».
Bien que le pape Jean, avec beaucoup d’autres Pères conciliaires, fût favorable à la préservation du latin dans l’Eglise, le cardinal Ottaviani en défendant la liturgie latine fut publiquement humilié par le cardinal hollandais Jan Alfrink qui ordonna de couper à mi-débat le micro à Ottaviani qui excédait la limite de dix minutes, provoquant quelques applaudissements dans l’assemblée. Selon de Mattei, « l’évêque Helder Camara vit dans ces applaudissements l’émergence de « l’esprit du concile » ». Les progressistes considéraient le latin comme un instrument de contrôle par la Curie romaine.
L’évêque Duschak, vicaire apostolique de Calpan aux Philippines, mais d’origine allemande, proposa une « messe œcuménique », célébrée à haute voix dans la langue vernaculaire et face au peuple. Sa proposition fut réellement mise en application avant la conclusion du concile. En mars 1965 Paul VI commença à célébrer les messes en italien dans quelques paroisses de Rome.
Pendant la seconde des quatre sessions de Vatican II, les conservateurs nombreux mais inorganisés, réalisant qu’ils étaient manoeuvrés et même réduits au silence par le parti progressiste anti-romain, commencèrent à coordonner leurs efforts avec des rencontres régulières et des mouvements stratégiques, sous la direction du cardinal Ottaviani, Giuseppe Siri et Ernesto Ruffini. Le bureau de Ruffini dans la Domus Mariae devint la source d’interventions bien planifiées. Le cardinal Siri coopéra en dépit de son découragement devant la sympathie apparente de Paul VI avec l’aile progressiste. Le groupe qui résulta de ce nouvel alignement fut appelé le Coetus Internationalis Patrum [« Groupe international des pères »]
Des nombreux débats animés et à l’occasion hostiles entre les deux factions se résultèrent des compromis, des ambigüités, des victoires occasionnelles, et quelques omissions
*En 1964 510 prélats de 78 pays implorèrent le pape de consacrer le monde, et en particulier la Russie, au Coeur immaculé de Marie, en union avec tous les évêques du monde ; et beaucoup de pères conciliaires appelèrent à une définition de « Marie médiatrice de toutes grâces ». Mais les théologiens progressistes, Yves Congar, Karl Rahner et René Laurentin combattirent avec succès ces initiatives, et furent capables de ramener un schéma séparé préparé sur Marie à un simple fragment d’un chapitre en préparation sur l’Eglise. Très proche de la fin de la conférence, cependant, le pape Paul VI intervint et annula la Commission conciliaire qui avait refusé de conférer à Marie le titre de « Mère de l’Eglise ».
*Les progressistes dans une tentative de démocratisation de l’Eglise, revinrent à la question de la « collégialité » qui avait été repoussée à Vatican I et soutinrent la primauté du collège apostolique avec le ppe comme « primus inter pares ». L’idée était que la primauté papale et la congrégation du Saint Office « étaient un obstacle à l’union oecuménique ». Mais Mgr Luigi Carli de Segni, dans une défense passionnée de la primauté du pape, fit que l’atmosphère de la discussion devint plus modérée. Et le pape Paul VI, dans ce que les progressistes appelèrent le « jeudi noir », ajouta de nombreuses modifications supplémentaires clarifiant la primauté du pontife face au collège épiscopal.
*Dans la session sur le mariage et la famille, le cardinal Suenens suggéra un réexamen des positions de l’Eglise sur la contraception en rapport avec le « problème de la surpopulation » et exhorta les pères : « Evitons un nouveau jugement de Galilée. Un a suffi pour l’Eglise ». La distinction faite par Pie XI dans Casti connubii entre les fins « premières » et les fins « secondes » du mariage fut utilisée par les progressistes pour donner la priorité aux « fins secondes », même aux dépens de la procréation. Cela amena le cardinal Ruffini à donner du poing sur la table et à demander si l’Eglise s’apprêtait à un changement maintenant officiel de la morale. Cela conduisit à d’ardents débats et Paul VI réprimanda fermement Suenens pour son manque de jugement. Finalement, la constitution pastorale Gaudium et Spes qui résulta de ces discussions réitéra en termes généraux la position traditionelle sur la contraception : « les fils de l’Eglise ne peuvent pas s’adresser à des méthodes de contrôle des ces de la loi divine. » Le pape Paul, dans les suites du concile plaça le problème au-delà des disputes avec son encyclique Humanae vitae.
*Dans la troisième session du Concile, les évêques commencèrent à parler du scandale possible que produirait un « concile pastoral »qui ne dirait rien sur le communisme, le grand fléau de l’époque. Ce sujet fut repris à la quatrième session et fit l’objet d’un débat explosif. 435 pères de 86 pays présentèrent une pétition à l’assemblée pour inclure quelques paragraphes dans L’Eglise dans le monde moderne condamnant les erreurs du communisme, puisqu’il n’y avait aucun doute que c’était le principal problème pastoral de l’époque et que les chrétiens persécutés par le monde attendaient de claires directives du Concile. Cependant, par une négligence extrême (pour certains une mauvaise intention) de Mgr Achille Glorieux, secrétaire de la commission mixte, cette pétition ne passa pas à la commission qui travaillait sur le schéma. Quand le procédé irrégulier de Glorieux fut portée à l’attention de Paul VI, dans la perspective de négociations entre le cardinal Tisserant et le métropolite orthodoxe Nicodim visant à éviter des remarques embarrassantes sur le communisme, le pape se rangea à l’avis de Tisserant qu’on ne devait faire aucune condamnation explicite. Le compromis étant une référence très générale au § 21 de Gaudium et Spes sur les idéologies empoisonnées : « L’Eglise a déjà répudié et ne peut cesser de répudier, avec tristesse mais aussi fermement que possible, ces doctrines et actions empoisonnées qui sont en contradiction avec la raison et la commune expérience de l’humanité, et détrône l’homme de son excellence native. »
* Dans la discussion de Nostra Aetate le mouvement pour écarter les références liturgiques au « déicide » par les juifs, et pour reconnaître l’importance de la divine alliance avec les juifs, conduisit certains pères, venus de pays arabes, à objecter que cela pouvait être perçu comme « pro-sioniste ». Cette objection conduisait éventuellement à inclure parallèlement l’Islam dans les chapitres sur « les religions non-chrétiennes » – se référant à l’estime de l’Eglise pour les musulmans qui « adorent un seul Dieu, vivant et subsistant en Lui-même ; miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes ; ils s’efforcent de se soumettre de tout leur coeur à ses décrets impénétrables… ils honorent la vie morale et vénèrent Dieu spécialement par la prière, l’aumône et le jeûne » Cet éloge de l’Islam se poursuivit dans Lumen gentium qui définissait l’Islam comme une religion « abrahamique » adorant « un seul Dieu miséricordieux ». Avec cet éloge extraordinaire, le Concile prouva qu’il n’était pas pro-sioniste. Mais ensuite avec Dignitatis humanae, sur la liberté religieuse, le concile non seulement supprimatout type protection par l’Etat de l’Eglise catholique dans des pays comme l’Espagne et l’Italie, mais aussi ouvrit par mégarde la porte à l’expansion relativiste de n’importe quelle autre religion, incluant l’Islam
De Mattei observe :
Le relativisme s’affirma en déniant à l’Etat toute forme de censure religieuse et morale quand il se trouvait devant une déchristianisation rampante. L’Islam, au nom de la même liberté religieuse, demanda la construction de mosquées et de minarets, qui devaient dépasser en nombre les églises qui avaient été abandonnées ou transformées en hôtels ou supermarchés.
De Mattei conclut que ce qui est appelé l’ « Esprit de Vatican II » :
repose dans quatre documents, Gaudium et Spes, qui cherchait le dialogue avec le monde moderne, Unitatis redintegratio sur l’oecuménisme, Nostra Aetate sur les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes, et la déclaration Dignitatis humanae sur la liberté religieuse. La perspective commune de ces textes est l’œcuménisme, et la contribution décisive à leur composition vint du secrétariat du cardinal Bea pour la promotion de l’Unité chrétienne) [C’est l’auteur qui souligne]
Que ferons-nous du concile Sur son héritage je voudrais suggérer ces lumières et ces ombres :
Les lumières :
Ce fut un Concile vraiment universel, vraiment oecuménique dans le sens originel – pas principalement européen comme Vatican I, mais incluant de substantielles délégations d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine. Malgré une Ostpolitik vaticane faible et l’omission scandaleuse de toute condamnation du communisme, des chemins ont été tracés vers une éventuelle réunification avec les orthodoxes qui sont parmi les chrétiens les plus proches du catholicisme romain et de ses traditions. Beaucoup aujourd’hui considéreraient l’ouverture à la langue vernaculaire dans la liturgie comme un grand pas en avant. Et le Concile devant de multiples défis réaffirma de nombreuses doctrines catholiques, y compris l’égale importance de la Tradition et des Ecritures, la primauté du pape, le caractère moralement inacceptable de la contraception, et le fait que l’Eglise du Christ subsiste dans l’Eglise catholique.
Les ombres :
le silence sur le communisme qui, même d’un point de vue purement pastoral, fut la plus grande menace pour l’Eglise au XXe siècle, et, comme le disait le philosophe et historien brésilen Plinio Corréa de Oliveira, « énigmatique, déconcertant, effrayant et apocalyptiquement tragique ».
Probablement lié à cette étrange omission, il y eut ce manque d’attention à la mariologie, en dépit des appels de nombreux pères de l’Eglise – couronnée par la visite de Paul VI à Fatima en 1967, dans laquelle il refusa une conversation avec soeur Lucie, à laquelle Notre Dame avait confié ses avertissements sur la propagation du communisme soviétique. Regrettable également : la terrible naïveté à propos de l’Islam qui est sans nul doute la religion la plus hostile au christianisme, naïveté venant de opères conciliaires qui apparemment n’avait aucune connaissance des écrits islamiques, des avertissements de nombreux saints catholiques, ou même d’une familiarité avec les opinions de Hilaire Belloc, Winston Churchill, John Quincy Adams, et d’autres penseurs sagaces.
Howard Kainz est professeur émérite de philosophie à Marquette University. Ses publications les plus récentes comprennent Natural Law : an Introduction and Reexamination [« La loi naturelle : une introduction et réexamen »] (2004), The Philosophy of Human Nature [« La philosophie de la nature humaine »] (2008), et The existence of God and the Faith-instinct [« L’Existence de Dieu et l’Instinct de la foi »].
NDLR de France Catholique : la rubrique wikipedia de Plinio Corréa de Oliveira semble avoir été bien édulcorée par ses partisans. L’association FTP n’est pas considérée par l’Eglise comme vraiment catholique. En son temps Mgr di Falco, alors porte-parole des évêques, avait fait une sévère mise au point élargie à des associations comme Droit de Naître ou Avenir de la Culture.