Quels sont les freins rencontrés aujourd’hui par la CFTC, qui pourraient nous la faire voir disparaître du paysage syndical avant qu’elle n’atteigne ses cent ans ?
Jacques Voisin : Le syndicalisme – et pas seulement le syndicalisme chrétien – est aujourd’hui à la croisée des chemins. L’avenir de toutes les organisations dépendra de la manière dont elles répondront aux attentes nouvelles des salariés du privé comme du public, des demandeurs d’emploi, des retraités et de leur famille.
Dès les premières manifestations de la crise, nous avons constaté une vague d’adhésions nouvelles qui peut s’expliquer par le besoin des salariés de se prémunir contre la précarité croissante, et d’être mieux défendus en cas de plan social. Ma crainte, c’est que ces nouveaux adhérents ne renouvellent pas leur carte l’année prochaine s’ils sont licenciés. Nous devons donc réfléchir aux services à mettre en place pour accueillir les chômeurs, aux tarifs à adopter, de manière à les fidéliser. Or, jusqu’à présent le syndicalisme s’adressait d’abord aux travailleurs en poste : la crise nous oblige à revoir nos méthodes de fonctionnement de manière à intégrer les chômeurs.
N’êtes-vous pas également confronté au vieillissement de vos adhérents et aux refus des jeunes, plus tentés par l’engagement associatif que syndical ?
Ce que je viens de dire à propos des demandeurs d’emploi est également valable pour les jeunes. Leurs attentes à l’égard du syndicalisme ne sont pas celles des générations précédentes. Pour attirer les jeunes, il faut que nous ayons quelque chose à leur offrir, que nos revendications correspondent à leurs attentes, que nous soyons en phase avec leur mode de vie. Or, aujourd’hui, nos structures sont trop rigides et le parcours syndical traditionnel, trop daté pour répondre à leur besoin de liberté qui s’exprime à travers le « zapping ». Pendant de nombreuses années, dès qu’un jeune adhérait à la CFTC, il passait par une sorte de sas et intégrait la commission « jeunes » ; il était, alors, pris en main et formé au syndicalisme CFTC. Ce schéma d’intégration à la vie syndicale ne fonctionne plus : ce n’est pas parce qu’un adhérent est jeune qu’il faut le parquer en attendant qu’il « mûrisse ». Je pense qu’il faut tout de suite le lancer dans le grand bain du syndicalisme dans son entreprise, sa région, sa branche professionnelle, en fonction de ses goûts.
Il est plutôt positif de voir que leur besoin d’engagement demeure vivant, même s’il s’agit d’un engagement associatif plutôt que syndical ou politique. Probablement parce qu’ils veulent des retombées concrètes, palpables tout de suite. Et puis, l’engagement dans l’humanitaire ou dans l’environnement est plus d’actualité que l’engagement dans le social.
En outre, le souci premier des jeunes est d’abord de se stabiliser dans leur travail, pas de faire du syndicalisme : surtout que le syndicalisme est parfois perçu, à tort ou à raison, comme un frein à une carrière professionnelle. Aussi, lorsqu’un jeune s’engage, c’est pour s’ouvrir à d’autres horizons, pour vivre autre chose d’utile, pour s’échapper. Nous devons lui laisser le temps de s’installer dans l’entreprise et de trouver sa place dans la société. Si vous voulez être disponible pour les autres, il faut que vous soyez bien dans votre environnement.
Nous devons être à l’écoute de ceux qui arrivent dans le monde du travail, d’une part, pour être capables de les accueillir de manière à assurer la relève, et d’autre part pour qu’ils aident la CFTC à évoluer, à bouger, à conquérir de nouveaux publics. C’est un défi que nous devons relever.
Depuis la loi d’août 2008, la représentativité syndicale n’est plus donnée une fois pour toutes, mais est désormais fondée sur l’audience obtenue dans les entreprises. N’est-ce pas le plus grand danger qui menace aujourd’hui la CFTC, qui est plus un syndicat d’influence que d’adhérents ?
À ce jour, la CFTC compte 142 000 adhérents, ce qui n’est pas rien comparé aux partis politiques et aux associations. Et nous ne cessons de progresser depuis la scission de 1964 qui a donné naissance à la CFDT. Les historiens du syndicalisme s’accordent pour reconnaître que la CFTC avait 500 000 adhérents avant la scission ; ils reconnaissent, également que 10 % des effectifs ont rallié la CFTC maintenue, soient 50 000 personnes. Citez-moi une organisation qui, en 45 ans, a presque triplé ses effectifs. Par ailleurs, la CFTC réalise déjà 18 % dans les entreprises où elle est présente et 9 % dans les branches professionnelles.
Nous devons trouver des opportunités dans cette loi. Elle doit nous stimuler. Elle nous oblige à conquérir notre légitimité, à aller au-devant des salariés, à être encore plus à leur écoute, ret à répondre à leurs préoccupations. Elle nous oblige surtout à nous battre pour que la CFTC se distingue des autres syndicats : elle sera désormais jugée sur sa capacité à faire vivre le dialogue social, la négociation et le contrat qui sont sa spécificité dans le paysage syndical français. Certes, nous risquons de perdre notre représentativité dans certaines entreprises mais ni plus ni moins que les autres syndicats. Ce sera difficile, nous devrons nous battre, mais j’ai une entière confiance dans les militants de la CFTC et leur motivation.
La référence aux valeurs sociales chrétiennes inscrites dans son nom et dans l’article premier de ses statuts ne constituent-ils pas un frein redoutable au développement de la CFTC dans une société sécularisée ?
Au contraire, la crise a montré la nécessité de moraliser les pratiques économiques, d’instaurer davantage d’éthique et de transparence. Il est temps d’aller au-delà du constat pour que plus rien ne soit comme avant. La violence de l’économie – qui se manifeste aujourd’hui par des séquestrations de dirigeants, par les menaces de faire exploser l’usine, ou encore des suicides – montre la nécessité d’instaurer davantage d’humanité dans les rapports sociaux au sein des entreprises, de redonner du sens au travail. Qui, mieux que la CFTC, fière de son enracinement social chrétien, peut le dire… et le faire ? Lors du dernier G20 à Pittsburgh, on a pu remarquer la présence de Juan-Antonio Somavia, le directeur général de l’Organisation internationale du travail, aux côtés des chefs d’État et des dirigeants du FMI, de la Banque mondiale ou de l’Organisation mondiale du commerce. Or, c’est une demande que j’avais formulée au président de la République, au nom de la CFTC, pour que l’emploi soit pris en compte au même titre que l’économie et la finance.
Toutes nos revendications en faveur d’un travail décent associé à un revenu de dignité, d’une participation des salariés aux orientations stratégiques des entreprises, de la traçabilité sociale et environnementale des biens et services, d’une protection sociale solidaire… sont tournées vers cet objectif de remettre l’homme au cœur de l’économie en lieu et place de la finance.
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Le stress au travail :
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