« Ce physicien américain que vous citez me trouble », m’écrit un lecteur malicieux. « Quand on m’assure qu’une chose est absurde et impossible, vous a-t-il dit, je m’attends philosophiquement à la voir se produire dans les plus brefs délais. » 1 Mais alors, qu’est-ce qu’un miracle ? »
En réfléchissant à cette question, je me suis rappelé un incident survenu au physicien Charles-Noël Martin. Il calculait à cette époque ses tables atomiques, énorme ouvrage comportant des milliers (peut-être des dizaines de milliers) de calculs. Et n’ayant pas de temps à perdre, il calculait sans cesse, y compris dans le métro et l’autobus.
Il se trouvait donc un jour sur la plate-forme d’un autobus et calculait (de tête). Au moment où le dernier chiffre d’un résultat qui en comportait quatre se posait devant les yeux de son esprit, l’autobus s’arrêta à côté d’une voiture en stationnement. Comme il regardait dans la rue sans voir, ses yeux se trouvèrent par hasard posés sur le numéro d’immatriculation de la voiture au moment même où il obtenait son dernier chiffre. Le numéro de la voiture était le nombre qu’il achevait de calculer.
« Cette coïncidence me frappa beaucoup, me raconta-t-il. Je voulus évaluer la probabilité qu’une pareille rencontre se produise, compte tenu du nombre des voitures parisiennes, du nombre de savants qui se livrent à des calculs, du nombre d’heures qu’ils passent dans la rue, et aussi de ce que l’on peut exiger d’une coïncidence pour qu’elle trouble celui qui la constate. Et je trouvai que ma mésaventure ou une mésaventure semblable, quoique improbable pour moi, devait obligatoirement se produire plusieurs fois par jour à Paris. »
Science et lévitation
Le lecteur que troublaient les propos du Pr Fairbank me dira probablement qu’une coïncidence n’est pas un miracle, que ce n’est qu’un gros lot dans une loterie, et que, quoique étonnante, l’aventure de Charles-Noël Martin n’a rien d’impossible, comme par exemple les lévitations de saint Joseph de Copertino ou de sainte Thérèse d’Avila élevés en l’air pendant leur extase.
Mais ce que je sais, c’est qu’au regard de la science il n’y a et il ne peut y avoir aucune différence entre le plus invraisemblable prodige et un coup de dés. Ils sont peut-être différents d’un certain point de vue, mais, comme on va voir, la science, quant à elle, n’est pas à même de prendre ce point de vue en considération.
Pour la science, en effet, tous les phénomènes sans exception sont indéfiniment réductibles à d’autres phénomènes, si bien que tout phénomène est statistique et résulte d’un coup de dés. Supposons par exemple que je tire de mon robinet une casserole d’eau tiède et qu’au moment où j’étends la main sur elle en disant « abracadabra », une moitié de l’eau se transforme en vapeur en faisant boum et l’autre moitié en glaçon. Cette performance est-elle « impossible » ? Non, et dans ce cas particulier tout élève de mathématiques élémentaires pourra décrire ce qui s’est passé : dans la casserole d’eau tiède, les molécules d’eau chaude et les molécules d’eau froide (je simplifie un peu) étaient d’abord mélangées ; par suite de leur perpétuelle agitation, il s’est trouvé, par hasard, que les molécules chaudes se sont trouvées rassemblées dans un coin de la casserole, ce qui n’a rien d’impossible en soi. Cela a fait boum et de la vapeur. Dans l’autre coin, où il n’y avait plus de molécules chaudes, la glace a pris.
« Mais, dira mon lecteur malicieux, pourquoi cela s’est-il produit au moment où vous disiez abracadabra ? » D’accord. Mais pourquoi le bus de Charles-Noël Martin s’est-il arrêté à côté de la voiture au « bon » moment ? Par hasard. Peut-être est-ce en disant « abracadabra » que j’ai fait boum, de la vapeur, et un glaçon. Simplement, étant donné que le hasard a pu aussi produire ce prodige, je suis incapable de prouver qu’il faut en créditer mes talents magiques plutôt que le hasard.
« Pardon, dira mon lecteur (de plus en plus malicieux), vous avez un excellent moyen de le prouver : il vous suffit de recommencer. »
Mais, d’abord, que se passe-t-il quand on s’en va dire à un thaumaturge : « Excusez-moi, je n’ai pas bien vu comment vous vous y êtes pris pour faire marcher ce paralytique, vous plairait-il de recommencer ? Le thaumaturge hausse les épaules. Un prodige doit être rare. Sinon, ce n’est plus un prodige, c’est un déterminisme, une loi de la nature 2.
Et ensuite, un hasard qui s’est produit une fois peut se produire deux. Il est plus improbable certes, mais il n’est pas plus impossible la deuxième fois que la première. Il ne prouve rien de plus la deuxième fois, ni la troisième. J’entends qu’il ne prouve rien scientifiquement, car, en fait et en ce qui me concerne, si vous répétez trois fois sous mes yeux la petite expérience de la casserole, je conviendrai très volontiers que vous êtes un grand sorcier.
« Mais, me dira-t-on enfin, saint Joseph de Copertino s’envolait tous les jours. C’était chez lui une habitude. Et cela se passait pendant les extases. C’était donc bien en rapport avec l’exercice, si l’on peut dire, de sa sainteté. N’est-ce pas là en définitive ce que l’on doit appeler un miracle ? »
Je ne sais pas. Mais je dirai pourquoi, deux siècles après lui, je suis aussi méfiant que le cardinal Lambertini, futur Pape Benoît XIV, « promotor fidei » (c’est-à-dire avocat du diable) dans le procès de canonisation de saint Joseph de Copertino et la plus haute autorité en matière d’analyse des miracles (a).
Prodiges saugrenus
Les lévitations et autres prodiges se produisent toujours alors que le corps du thaumaturge est dans un état spécial, hyperthermie, catalepsie ou autre. Les saints (même les plus grands, comme saint Vincent de Paul) chez qui ces états physiques particuliers sont absents n’ont jamais produit de prodiges. Inversement, de tels prodiges ont été observés hors de toute sainteté chez des personnes présentant ces états physiques (Mollie Fancher, D. D. Home, la voyante de Provorst, etc.). De plus, ces prodiges sont beaucoup plus fréquents chez les femmes que chez les hommes. Ils varient non avec les vertus, mais avec les états de santé du thaumaturge 3.
Mais alors, qu’est-ce qu’un vrai miracle ? Je ne suis pas théologien et crains de dire des sottises. Il me semble cependant qu’un vrai miracle doit être à la fois très improbable et très édifiant. Si M. Brejnev se mettait à léviter chaque fois qu’il passe devant la basilique Saint-Basile, sa lévitation serait peut-être parfaitement naturelle ; mais indiscutablement saint Basile y serait pour quelque chose, et même Benoît XIV en serait ébranlé.
Aimé MICHEL
(a) Voir l’analyse qu’en donne Baudeau : Analyse de l’ouvrage du Pape Benoît XIV (Migne, Theol. cursus compl. Tome 8, p. 851 et suivantes). 4
Les notes de 1 à 4 sont de Jean-Pierre Rospars (sauf la seconde qui est de Bertrand Méheust).
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(*) Chronique n° 106 parue dans F.C. – N° 1341 – 25 août 1972 sous le titre « L’avocat du diable ». Reproduite dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 23 « Prodiges et miracles », pp. 582-584.
Deux livres à commander :
Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». 500 Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).
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Aimé Michel : « L’apocalypse molle », Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Edition Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).
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- Aimé Michel rapporte cette déclaration du Pr Fairbank, de l’université de Stanford, à propos des particules élémentaires dans la chronique n° 101, Entre Hegel et Groucho Marx, parue un mois auparavant (F.C. N° 1336, 21 juillet 1972), reproduite ici le 14 juin 2010. Cette chronique se termine ainsi : « L’acceptation de l’absurde par les savants n’est que la reconnaissance du mystère de la réalité, qui excède l’intelligence. Et ceux qui sont passés par là se sentent soudain merveilleusement libérés : l’univers n’est plus ce machin poussiéreux, exactement borné aux limites de l’homme, que désirait Hegel. Il est le lieu d’une aventure illimitée, digne non seulement de l’homme mais de Dieu. Tout en lui peut se produire. » Comme je le signalais alors cette formulation ne doit pas être mal comprise : il est des choses impossibles. Aimé Michel précise ainsi sa pensée vingt ans plus tard : « Si l’on me demandait de citer trois faits actuellement inconcevables, je les choisirais en violant de mon mieux la statistique. Par exemple, qu’une casserole d’eau tiède sépare soudain son eau en deux moitiés : un morceau de glace et une explosion de vapeur. Ou bien, en géologie, que l’on découvre une vache fossile dans une roche secondaire (on ne commence à voir des vaches sur terre que des dizaines de millions d’années plus tard). Ou enfin, que dans la main d’une momie égyptienne tout juste déterrée on trouve la traduction hiéroglyphique de cet article, avec ma signature ! » (Chronique n° 500, Observation : science et miracle, reproduite dans La Clarté, chap. 23, p. 599).
- Probablement une réminiscence d’un passage de Renan. Dans La vie de Jésus Renan se défend de rejeter le miracle a priori ; puis il place aussitôt la barre si haut qu’il clôt d’emblée toute discussion. « Ce n’est donc pas au nom de telle ou telle philosophie, écrit-il, c’est au nom d’une constante expérience que nous bannissons le miracle de l’histoire. Nous ne disons pas : “le miracle est impossible”; nous disons : “il n’a pas eu jusqu’ici de miracle constaté”. Que demain un thaumaturge se présente avec des garanties assez sérieuses pour être discuté; qu’il s’annonce comme pouvant, je suppose, ressusciter un mort, que ferait-on ? Une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à la critique historique, serait nommée. Cette Commission choisirait le cadavre, s’assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où devrait se faire l’expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaire pour ne laisser prise à aucun doute. Si, dans de telles conditions, la résurrection s’opérait, une probabilité presque égale à la certitude serait acquise. Cependant, comme une expérience doit toujours pouvoir se répéter, que l’on doit être capable de refaire ce que l’on a fait une fois, et que, dans l’ordre du miracle, il ne peut être question de facile ou de difficile, le thaumaturge serait invité à reproduire son acte merveilleux dans d’autres circonstances, sur d’autres cadavres, dans un autre milieu… » (Le livre de poche, p. 80.) Il s’agit là d’un des passages les plus involontairement comiques de toute la littérature rationaliste. (B.M.)
- Sur saint Joseph de Copertino, voir Aimé Michel, Métanoia : Phénomènes physiques du mysticisme, coll. Spiritualités vivantes n° 57, Albin Michel, Paris, 1986. Première édition Le Mysticisme : L’homme intérieur et l’ineffable, Éd. Planète, 1972. Sur Mollie Fancher et D. D. Home, voir Herbert Thurston, Les phénomènes physiques du mysticisme (trad. Marcelle Weill, 508 p., Gallimard, Paris, 1961 ; rééd. Ed. du Rocher, Monaco, 1986, avec une préface de Rémy Chauvin). Dans cet ouvrage, recueil d’articles parus entre 1919 et 1938, Thurston (1956-1939), médecin et jésuite anglais, « ne se propose pas de résoudre des problèmes, mais de faire l’exposé des faits et de les classer. » Voici quelques extraits de ses cas :
« Mollie Fancher était née en 1848. Sa vie s’écoula au foyer de sa tante, à Brooklyn, New York, et elle mourut dans la même maison, peu avant la fin du siècle dernier. Elle semble avoir été dès l’enfance, sujette à la tuberculose et, après avoir terminé ses études, elle devint invalide, incurable et, dès lors, pendant plus de trente ans, ne quitta plus sa chambre, ni même, pratiquement, son lit. Ses membres inférieurs, pliés sous elle, se tordirent et s’atrophièrent ; elle devint ensuite complètement aveugle et souffrit de désordres nerveux aux manifestations bizarres. Pendant de longues années, elle fut incapable d’avaler et vécut presque complètement sans nourriture, mais au milieu de ces infirmités elle acquit des facultés remarquables de seconde vue. On prétendait qu’elle discernait souvent ce qui se passait dans des villes lointaines, qu’elle avait connaissance du contenu de lettres scellées, qu’elle pouvait lire très rapidement en passant la main sur les pages imprimées et il semble certain qu’elle exécuta les travaux artistiques les plus délicats, au-dessus de sa tête, la seule position possible avec son bras paralysé, où même la jouissance complète de la vue ne lui aurait été d’aucune utilité. Nombre de témoins attestent qu’elle pouvait distinguer, par le seul toucher, avec une exactitude infaillible, les couleurs des laines à tapisserie, des feuillets de cire et des autres fournitures qu’elle utilisait pour son travail. Outre cela, quatre personnalités distinctes se manifestaient en elle, chacune avec des caractéristiques particulières et une écriture différente de celle de l’état normal. Elle ne dormait jamais à proprement parler, mais ces personnalités se révélaient pendant la nuit, jamais apparemment en plein jour, leur apparition étant précédée de convulsions violentes et d’un état de transe, fréquemment cataleptique. » (pp. 353-354)
David Dunglas Home se rendit célèbre par son immunité aux brûlures (p. 220), sa capacité à irradier de la lumière (p. 232), à allonger ou rétrécir son corps d’une vingtaine de centimètres (pp. 234-238) et même à léviter (pp. 11-12). Thurston estime qu’on ne peut écarter ces prodiges d’un revers de main. Concernant l’immunité aux brûlures il écrit : « Que de tels faits se soient produits au cours des séances de Home, une masse de témoignages, impossibles à rejeter, nous l’atteste. Plus de vingt fois, son immunité aux brûlures, alors qu’il touchait des charbons incandescents, fut certifiée par des témoins du plus haut rang, et, détail encore plus étonnant, il avait le pouvoir de transmettre cette même immunité à ceux qui avaient foi en lui et désiraient prendre des objets brûlants de sa main. ». Il ajoute : « Ce que je tiens à souligner, c’est que nous ne pouvons tenir des témoins comme Lord Adare et le Maître de Lindsay pour de simple benêts, même s’ils étaient jeunes tous les deux à l’époque. Il avait été correspondant de guerre du Daily Telegraph en Abyssinie, en 1867 ; il représenta, l’année suivante, le même journal à Paris pendant la Commune, et, au cours de sa carrière politique, fut deux fois sous-secrétaire d’Etat aux Colonies. Lord Lindsay était plus jeune, mais il fut élu membre de la Royal Society à l’âge de trente et un ans, en 1879, avant de devenir comte de Crawford. Il était déjà président de la Société Royale d’Astronomie, et devint plus tard un des administrateurs du British Museum et membre correspondant de l’Académie des Sciences de Prusse. De telles distinctions n’échoient pas au hasard à des originaux ou à des nigauds excités, même si ce sont des gens fortunés, comme Crawford l’était. » Toutefois, Thurston note une différence entre les prodiges mystiques et ceux des médiums : « Les ascètes ainsi honorés, au lieu de faire parade de leurs dons mystérieux, s’efforçaient de tout leur possible de les dissimuler à autrui. Le contraire semble toujours avoir été la règle avec les médiums, même ceux qui n’en font pas métier, comme Stainton Moses et D.D. Home. Ils exploitèrent leur pouvoir pour leur propre réputation, si ce n’était pour des émoluments pécuniaires, et il est difficile de trouver de la modestie dans tout ce qu’ils ont écrit sur ce sujet. » (pp. 273-274).
- Le livre rare de Nicolas Baudeau (1730-1792), théologien, économiste et journaliste, a été récemment numérisé par Google et on le trouvera aisément avec ce moteur de recherche. Publié en 1761, son titre complet est : Analyse de l’ouvrage du pape Benoît XIV, sur les béatifications et canonisations, approuvée par lui-même, et dédiée au roi. Son intérêt vient en partie du fait que l’ouvrage de Prospero Lambertini (1675-1758), élu pape en 1740 sous le nom de Benoît XIV, De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione (4 volumes, 1734-1758) n’a apparemment jamais été traduit en français. Baudeau définit ainsi les objectifs de son travail (je conserve l’orthographe originelle) : « Nous avons tâché de rassembler en cet essai les maximes générales, qui servent, pour ainsi dire de fondement et de base aux jugemens de Béatification et de Canonisation. C’était notre intention de saisir un juste milieu, dans le détail des règles fondamentales et des procédures juridiques, pour en donner à nos Lecteurs une idée claire et distincte Nous sçavons que notre siècle est ennemi des longs Ouvrages, d’ailleurs nous n’avons destiné cet Abrégé ni aux sçavans, ni aux Théologiens, ni aux Prélats. Ce seroit leur rendre un mauvais office, que de les empêcher de connoître par eux-mêmes ces Traités, dont nous avons fait nos délices. » (p. 281). Après avoir résumé l’histoire du culte des saints depuis les origines du christianisme, il détaille les « formalités judiciaires » d’un procès en canonisation, les fondements de la sainteté et enfin ses preuves, c’est-à-dire les miracles. Donnons-en quelques extraits :
Sur le second point (le procès), il écrit : « Les causes de la Béatification ou de Canonisation se traitent en toute rigueur comme les affaires criminelles ; c’est le principe général de la Congrégations des Rites. Il faut donc que les faits soient prouvés avec la même exactitude et les procédures examinées avec autant de sévérité que pour la punition des crimes. Les témoignages suspects ou peu concluants, qui ne suffiroient pas pour condamner à mort un accusé, font, par les mêmes défauts, incapables de fonder une déclaration de sainteté. » (p. 142).
Quels sont les « vrais miracles » ? « Cinq qualités principales en font le caractère. Premièrement l’Efficacité. L’esprit d’erreur [le démon] est borné dans son pouvoir, tandis que l’autorité de Dieu n’a point de limites. Souvent le merveilleux que le Démon suppose n’a qu’une vaine apparence, parce qu’il fascine les sens ou séduit l’attention par des ressemblances, tandis qu’un vrai Miracle opère dans la réalité. Secondement la durée. Souvent le prestige n’a qu’un instant, et tout rentre aussi-tôt dans l’ordre. Troisièmement l’utilité. Dieu ne prodigue point sa puissance en vain. Des traits puérils et des changemens qui n’aboutissent qu’à causer de la frayeur ou de l’étonnement, sont indignes d’occuper un homme raisonnable, à plus forte raison d’être produits par un ordre particulier de la Providence. On peut encore moins supposer que la Sagesse suprême se prête à des scènes indécentes ou ridicules, semblables à celles dont on a quelquefois voulu repaître la populace ; de même qu’il seroit impie de croire qu’elle favorise des desseins injustes et pernicieux. Quatrièmement le moyen. C’est par la prière, l’Invocation de l’adorable Trinité, de la Sainte Mere de Jésus-Christ, ou des Ames bienheureuses, que s’opèrent les vrais miracles. (…) Cinquièmement l’objet principal. Dieu ne peut avoir en vûe que sa gloire et notre bonheur. Le triomphe de la Vérité, le règne de la Justice, sont les seuls motifs dignes de sa bonté, toujours infiniment sage. Tous ces principes, dont l’application est si facile et si concluante, se réduisent à celui-là seul, qui contient tout dans sa fécondité. Le Maître de la Nature est le Dieu de la Vérité, non le Dieu du Mensonge. (…) » (pp. 244-247).
Plus loin (pp. 252 et sq.) l’auteur distingue trois ordres de prodiges selon qu’ils proviennent de Dieu (comme la résurrection d’un mort), d’« intelligences pures, dont le sçavoir et l’activité sont au-dessus des nôtres » ou résultent de « Loix qui les mettent à l’abri de toute erreur, et qui ne permettent pas de les confondre avec les effets de l’art, ou le cours ordinaire de la Nature. » Suit la liste des « sept conditions absolument indispensables » pour que les guérisons soient admises « au rang des vrais Prodiges. » Considérations toujours actuelles même si l’esprit du temps en est fort éloigné.Sur la personnalité de Benoît XIV, considéré comme « le plus intelligent des papes du XVIIIe siècle », esprit ouvert, épris de science (il fit publier les œuvres complètes de Galilée en 1741), on pourra consulter par exemple le livre de Peter Godman : Histoire secrète de l’Inquisition de Paul III à Jean-Paul II (trad. par Cécile Deniard, coll. Tempus, Perrin, 2007), en particulier le chapitre 6 « La révolution manquée ».