Le résultat de l’élection présidentielle n’était pas acquis d’avance. Le candidat « progressiste » a certes été réélu mais avec une marge réduite. Par moments, même ses plus ardents partisans avaient bien cru qu’il pourrait perdre, eu égard au mauvais état de l’économie.
Son adversaire, un ex-gouverneur d’Etat avec une réputation de solide administrateur, monta contre toute attente une redoutable campagne. Le sortant, tout en retrouvant son dynamisme lors des grandes réunions publiques, semblait apathique comparé à ses performances antérieures.
Cependant son électorat traditionnel – les masses urbaines, les pauvres, les minorités, les chômeurs et les sous-employés — ne faiblit pas. Il n’était pas prêt à risquer de perdre son « filet de sécurité » social.
Pour cette large partie de l’électorat, apparemment captif, la situation économique générale est peu déterminante. D’aucuns pourraient arguer que, avec ses vastes ressources non encore exploitées et tant d’autres atouts, le pays ne devrait pas connaître un tel taux de chômage, tant de dettes et de déficits, et autant de bidonvilles.
La politique étrangère du pays était également un scandale : d’anciens alliés se voyaient délaissés au profit de nouveaux amis des plus douteux.
Quoique le sortant se dît chrétien, avec d’autant plus de flagornerie qu’il descendait dans les sondages, la religion et la liberté religieuse étaient devenues des enjeux. Le solide héritage chrétien du pays semblait, aux yeux de beaucoup d’opposants, partir en lambeaux, avantageusement remplacé par un nouvel évangile qui mettait l’accent sur les inégalités de classes.
L’essence du christianisme ainsi conçu était l’engagement du Christ d’imposer les riches pour financer les programmes sociaux du gouvernement. Pour peu que les structures tatillonnes et moralement répressives, maintenues par des évêques vieillissants et des prêtres compromis dans les scandales, dussent disparaître, ensemble avec leurs superstitions spirituelles, tout irait pour le mieux.
Bien entendu nous parlons ici de la récente élection présidentielle au Venezuela. Hugo Chavez a été réélu par une marge de près de dix pour cent. Son adversaire, Henrique Capriles, a reconnu sa défaite avec une inhabituelle bonne grâce, sans immédiatement contester les résultats obtenus par un tout nouveau et onéreux système de vote informatisé.
Il a néanmoins souligné l’avantage énorme de son adversaire dans les médias et les promesses de travaux publics gigantesques destinées à acheter les votes catégoriels.
Capriles est, soit dit en passant, un fervent catholique. Des rosaires et toute l’iconographie catholique figuraient en bonne place durant ses (massives) réunions populaires. Le candidat lui-même ne faisait pas mystère de son appartenance religieuse.
Une autorité aussi irréprochable que Jimmy Carter avait témoigné de la parfaite régularité de la précédente élection venezuelienne, la « meilleure au monde », selon lui. Désormais, les observateurs étrangers ne sont plus admis. Lors de la dernière élection, quelques 97% des électeurs potentiels étaient inscrits – parfois plus que d’habitants dans un des Etats acquis à Chavez et au-delà de toute probabilité dans treize autres Etats, selon des opposants. A comparer avec guère plus de 65 % aux Etats-Unis où les incitations à l’inscription sur les listes électorales ne sont pas si développées.
La participation fut supérieure à 80% comparée à moins de 60 % lors des dix dernières élections aux Etats-Unis. Bref, (en dépit des critiques) il semble faire consensus que l’élection venezuelienne brille parmi les équivalents selon les standards du Tiers-Monde. La campagne de Capriles a déployé des efforts héroïques pour l’observation du scrutin dans tous les bureaux de vote en rapide multiplication. Les précédents succès électoraux de Capriles ont été largement dus à ce type de contrôles.
Plus grave, selon le camp de l’opposition, fut la crainte du non-respect du secret du vote. Chacun se souvient que les noms des 2,4 millions de votants qui en 2004 avaient demandé le départ de Chavez furent publiés suscitant des campagnes de dénigrement. Bien que le nouveau système de vote informatisé garantisse, selon sa publicité, une totale opacité sur les votes individuels, celui qui entre son identité et son vote dans la machine peut entretenir quelque doute. La préoccupation est d’ailleurs universelle. Il existe toujours des moyens pour un parti au gouvernement de faire en sorte de garder des électorats captifs.
Au-delà de ces questions techniques sur l’intégrité du décompte électoral, on peut se poser la question plus générale de l’influence et de l’intimidation en politique.
Chavez contrôle la vie politique du Venezuela car il contrôle personnellement sa richesse pétrolière. La nationalisation a empêché que l’investissement privé continue de tirer des revenus qui venaient alimenter des richesses indépendantes. En revanche ceux-ci sont rendus disponibles pour financer des projets d’assistance du gouvernement (aussi longtemps que les prix du pétrole augmentent plus vite que la population et que les réserves sont abondantes).
La perpétuation d’une population pauvre, affamée, aigrie, dépendante des « largesses » du gouvernement, est la recette de n’importe quel parti « révolutionnaire-institutionnel » au pouvoir (le Mexique est un exemple frappant où le monopole du pouvoir a duré de cette manière plus de soixante-dix ans).
Selon Mitt Romney, enregistré à son insu, 47 % des électeurs américains sont aujourd’hui à quelque degré des pupilles de la nation et, de plus en plus, un électorat captif pour le parti Démocrate.
En Ecosse, par exemple, entre autres pays, la proportion de ceux qui reçoivent plus d’avantages de la part de l’Etat qu’ils ne payent d’impôts voisine les 90 %. Le caractère traditionnel de la population — connue pour son sens du travail et sa frugalité — en a été transformé, selon un dirigeant du Parti Conservateur écossais qui a suscité le même tollé. Ceci explique aussi pourquoi ce parti a été réduit à l’état de minuscule fossile tandis que nationalistes et socialistes s’affrontent pour le pouvoir.
J’ajouterai que c’est aussi pourquoi le christianisme en Ecosse s’est progressivement desséché : car systématiquement remplacé par une autre religion qui adore un Dieu différent.
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Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-captive-vote.html
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Chavez et Capriles : Le premier incarne la victoire de la « révolution institutionnelle ».