Albert a été un roi magnifique, très différent de son frère Baudouin (dont nous fêterons les 20 ans de départ ce 31 juillet) mais totalement fidèle à son héritage. Son caractère jovial si ce n’est enjoué, sa bonhomie légendaire, sa très profonde bonté ont fait la joie de son peuple.
Par deux fois au moins, il a « sauvé » la Belgique dans des circonstances dramatiques. Lors de la grande marche blanche — mega-manif— de tout un peuple s’insurgeant horrifié par les monstruosités de Dutroux et révolté par l’indifférence du gouvernement et les dysfonctionnements de la justice. Les deux seules personnes à pouvoir alors apaiser et canaliser cette insurrection populaire : la jeune musulmane marocaine Nabila (côté charismatique) et Albert (côté institutionnel), se faisant la voix de son peuple.
Et puis, lors de l’interminable crise gouvernementale de 541 jours où il tenait à lui seul le gouvernail. Le seul à garder la confiance presque unanime de son pays.
Mais il est une autre circonstance douloureuse où son attitude a forcé l’admiration et suscité la sympathie. Les médias ont évoqué souvent une liaison passagère hors mariage, donnant naissance à une fille. Cela lors d’une période de grave crise conjugale. Mais presque personne n’a ajouté la manière dont il s’en est sorti. Lorsque l’affaire a été divulguée, il a eu la franchise et l’humilité d’y faire allusion dans son discours de Noël de 1999, mais en ajoutant que depuis ce temps révolu, il avait retrouvé un nouvel amour avec son épouse : « La Reine et moi nous nous sommes remémorés des périodes très heureuses, mais aussi la crise que notre couple a traversée il y a plus de 30 ans. Ensemble nous avons pu, il y a très longtemps déjà, surmonter ces difficultés et retrouver une entente et un amour profonds. Cette période de crise nous a été rappelée il y a peu. Nous ne souhaitons pas nous appesantir sur ce sujet qui appartient à notre vie privée. Mais, si certains qui rencontrent aujourd’hui des problèmes analogues pouvaient retirer de notre expérience vécue quelque motif d’espérer, nous en serions si heureux… »
Ailleurs encore, il livre cette clef de fidélité : offrir à son conjoint la possibilité de vous regarder avec un regard chaque jour neuf. Et de citer son frère Baudouin qui a joué un rôle décisif dans cette réconciliation : « La paix familiale se construit chaque jour entre conjoints par le dialogue, la confiance, le respect réciproque, la réconciliation. »
Depuis, ce couple royal a donné l’exemple d’une tendresse mutuelle inlassable, s’exprimant par mille attentions et délicatesses. Même pendant des cérémonies officielles (comme déjà le couple Baudouin-Fabiola). Ce qui a beaucoup touché les cœurs. Cette attitude exemplaire, après un dérapage malheureux, peut aider un grand nombre de couples en difficulté. Ils ont donné la preuve que rien n’est irréversible. Que de grâces de conversions, de réconciliations, peuvent encore et encore être reçues, car données. Par Dieu évidemment (ce qu’il ne pouvait évidemment pas préciser dans un discours officiel en tant que chef d’État, donc revu par le Premier ministre).
Dans les compte-rendus de son règne, on ne souligne pas assez, le rôle qu’a joué son épouse, Paola, que pourtant rien ne préparait à une telle charge. Bien sûr, en premier lieu par le soutien constant qu’elle a été pour son époux, dans un amour mutuel sans cesse en crescendo. Il faut voir, sur Internet, quelques photos de l’album spécial des 20 ans de règne (www.royals.be) dont l’une est illustrée par le mot : « vieillir ensemble. »
Son domaine de prédilection, outre son souci d’associer nombre d’artistes aux rénovations des palais, a été la passion d’aider les plus démunis, les moins favorisés par la vie. Elle préside le Child Focus pour les enfants disparus et sexuellement exploités, s’engageant personnellement auprès des victimes. (Personne n’a oublié avec quelle tendresse compassionnelle, elle avait étreint les familles victimes du drame Dutroux.) S’attaquant courageusement aux causes, dont la criminelle pédo-pornographie sur la Toile. Elle organise au palais une Conférence internationale sur les droits de l’enfant. Et crée un secrétariat social permanent pour recevoir des milliers de SOS. Pendant que la Fondation Reine Paola vient en aide spécialement à des jeunes éprouvés par la vie. Alors que le Prix Reine Paola soutient des projets pédagogiques de pointe. Enfin, comme tout cela ne suffit pas, L’École de l’espoir soutient les écoles des milieux sociaux difficiles.
Bref, toute une vie, l’espace d’un règne, donnée, toute livrée aux autres, en priorité aux pauvres.
Le prince Philippe qui prend courageusement la relève, sera un souverain digne de son père, et très particulièrement de son oncle, le roi Baudouin, ayant été pendant des années, très soigneusement préparé par lui en tant qu’héritier de la couronne. Il en est vraiment son fils spirituel.
Il a magnanimement traversé toutes les calomnies par lesquelles des journalistes sans scrupule ont voulu l’humilier. Il en est sorti mûri par la souffrance, plus grand que jamais. Oui, j’en ai l’intime certitude : en comptant sur les grâces d’état (cas de le dire) : un grand roi, il sera ! Il nous étonnera !
Il saura allier à merveille la bonhommie, l’humour légendaires de son père, à la profondeur, l’intériorité de son oncle.
Mais ici aussi, grâce à cette rayonnante Mathilde qui par son charme, sa douceur, sa grâce, son visage où filtre une clarté d’Ailleurs — parfaite maman autant qu’épouse — a déjà conquis le cœur de ce peuple désormais confié à son cœur maternel de reine, sans parler de ce qui suscite l’enthousiasme : elle est la toute première reine belge des Belges (les précédentes étant successivement : anglaise, française, bavaroise, suédoise, espagnole, et italienne).
Cette prestation de serment du nouveau Souverain est l’occasion de réfléchir sur le sens aujourd’hui de la monarchie.
Parmi les immenses avantages sur une République, je signale :
1. Le prince héritier est préparé dès l’enfance à son métier, recevant une éducation, une formation ad hoc sur le long terme, y étant au long des ans initié par son père (ou, pour Philippe, par son oncle). Et assumant pendant des années déjà nombre de missions diplomatiques et de prestations publiques, de réceptions officielles. Assisté qu’il est par différents conseillers politiques. Donc toujours parfaitement au courant de l’actualité nationale et internationale.
2. Le peuple le connaît dès sa naissance, a suivi toute sa croissance, sa lente maturation. Ce n’est pas un individu débarquant on ne sait d’où…
3. Le roi est au-dessus de toutes les querelles, mesquineries, magouilles, gué-guerres des partis politiques. Il en est totalement indemne. Il peut vraiment être le re-présentant, mieux : comme la personnification de son peuple, étant ainsi tout à tous. Un roi « parti-san » est impensable. Il est sans-parti. Hors parti.
4. Un roi est reçu, accueilli, car donné. Normalement, sans contestation. Il n’est pas le résultat mathématique d’une implacable, féroce, meurtrière bataille électorale, coûtant des sommes exorbitantes, où les candidats se gargarisant de promesses fallacieuses (dont on sait bien qu’ils ne pourront les tenir), mitraillent leurs adversaires, les salissant à coups de médisances ou de calomnies, tous les coups bas étant permis. Faisant honte à leur pays. Où la victoire n’est emportée au plus juste qu’à quelques centaines de mille voix près, et souvent grâce aux nombreuses abstentions. « Victoire » au prix de la moitié du peuple vaincu, humilié, amer, si ce n’est révolté. Comment un tel « vainqueur » peut-il oser ensuite se prétendre le représentant de la nation, le président de tous ? C’est inhumain. Contre-nature.
5. Les présidents se succèdent à cadence rapide. Les régimes s’effondrent les uns après les autres. Les gouvernements sont sans cesse remaniés, les ministres valsent, les chambres sont régulièrement dissoutes. Les programmes sociaux et économiques, les politiques scolaires et diplomatiques ne cessent de changer au gré des caprices d’un ministre. En République, rien n’est stable. Personne n’assure la continuité ni la stabilité, ne veille sur la fidélité au patrimoine national, à l’héritage des siècles, à l’histoire de la nation. Parfois même on s’en f… À peine a-t-on reconnu la valeur d’un bon président, que son mandat est achevé. Et s’il est mauvais, bonjour les dégâts dans l’attente impatiente des élections. Bref, présidents et gouvernements passent. Le roi demeure. Comme la nation.
6. Les présidents ont besoin de beaucoup de temps pour trouver leurs marques, découvrir le pays, autant dans son histoire que dans son actualité. À peine le travail fait : out ! Et de devoir recommencer à zéro avec un nouveau. À échelle plus réduite, il en va de même pour ministres, préfets, ambassadeurs. Comment est-ce possible de les muter tous les deux ans maxi ? À peine commence-t-on à connaître à fond son domaine, son département, sa région, le pays auquel on est accrédité : au suivant !
7. Une monarchie « moderne » dite constitutionnelle met à l’abri de toute dérive arbitraire, de toute tentative dictatoriale, le souverain ne pouvant s’arroger aucune prérogative non précisée par la Constitution, dont il n’est que l’interprète et le garant. Alors qu’un système républicain électoral ne met aucunement un président à l’abri d’un totalitarisme idéologique dictatorial ou virant à la dictature, comme nous en faisons l’amère expérience en cette France, se gargarisant pourtant des « droits de l’homme » . [Pour revenir à l’actualité de la Belgique : le roi y a beaucoup moins de pouvoir effectif que les présidents des USA ou de France, mais bien davantage que les monarques de Grande Bretagne ou des pays scandinaves. Car le discernement et le choix des premiers ministres qui lui revient s’avère stratégiquement décisifs.]
8. Un roi ne gouverne pas : il règne. Mais joue tout de même un rôle décisif et magistral en politique, par sa seule autorité morale, par l’ascendant que lui donne sa longue expérience, lui conférant une sagesse et un discernement des personnes et des situations unanimement reconnus par la classe politique. Ce fut flagrant pour un roi Baudouin.
C’est dire que le côté « spirituel », « moral » l’emporte sur la fonction. Le pouvoir d’un roi tient davantage de sa stature, que des statuts juridiques de son pays. Et son influence personnelle sur partis et politiciens est renforcée par sa popularité : le peuple est derrière lui. Cela même est une exigence pour lui. Impérative. S’il veut avoir une vraie influence politique, il lui faut être à la hauteur de la charge, être parfaitement digne de sa fonction — bref, le plus irréprochable possible. S’ajoutant à sa légitimité, son intégrité personnelle est garante de son autorité. Mais par ailleurs, sa légitimité n’est pas dépendante de sa popularité. Il n’est pas comme un président, livré, pieds et poings ligotés aux sondages d’opinion, aux applaudimats. Il en est royalement (cas de le dire) libre. Politiquement correct. Il n’est pas esclave de petits lobbies, ou des gros magnats des médias fabriquant la soi-disant opinion publique. Il est Souverain. Son autorité découle de son intériorité.
9. Le roi n’est pas un individu isolé. Il est famille. Inséparable non seulement de son épouse, mais de ses enfants, frères, sœurs, cousins. C’est toute sa famille que l’on connaît « depuis toujours ». Cela donne à la vie d’un peuple une dimension familiale très forte. Exigence là aussi, pour le souverain, d’avoir une vie de famille la plus irréprochable possible, vraie école de sainteté pour lui. C’est tout autre chose qu’un président imposant sa concubine comme « première dame ».
10. Enfin, un roi ou reine, on l’aime. On aime sa famille. Cet élément « affectif » humanise tellement la vie d’un peuple. On peut admirer un bon président. Mais difficilement l’aimer : il ne fait que passer la durée d’un ou deux mandats. Donc, mieux vaut ne pas trop s’y attacher. Baudouin et Fabiola, Paola et Albert ont été profondément aimés. Philippe et Mathilde le seront certainement.
Qui a vu lors de l’encièlement du roi Baudouin, tout un peuple, unanime, en larmes, des grands-parents aux petits-enfants, sait de quoi je parle. n