La Turquie se trouve projetée à la tête de la coalition anti-israélienne dans le monde.
On ne croyait pas si bien dire (dans France Catholique du 21 mai 2010 l’Orient via Ankara): la Turquie de seule alliée d’Israël dans la région est devenue son ennemie. Israël a perdu l’alliance de la Turquie, a proclamé haut et fort le Premier Ministre turc Erdogan devant le Parlement turc.
Les événements se sont accélérés subitement avec l’envoi d’une flotille de la paix pour briser le blocus israélien imposé au territoire palestinien de la Bande de Gaza contrôlé par le Hamas. Un commando israélien a donné l’assaut le 31 mai, avec la pire des maladresses, et avant l’entrée dans les eaux territoriales, tuant neuf militants turcs et blessant une cinquantaine d’autres. L’opération était conduite par diverses organisations pro-palestiniennes à travers le monde (une trentaine de nationalités dont neuf Français) et coordonnée par le Secours Islamique turc. La flotille était partie de la partie nord de Chypre contrôlée par les Turcs, clin d’oeil à l’Europe puisque les ports nord-chypriotes sont aussi soumis à blocus de la part de l’Union européenne.
Dans cette opération, personne n’est innocent, puisque la légéreté avec laquelle le problème a été traité par Tsahal remonte directement au ministre de la Défense israélien Ehud Barak, avec, on peut le supposer, divers calculs, y compris de politique intérieure israélienne; côté turc, le gouvernement était visiblement prêt à en assumer toutes les conséquences. Quoi qu’il ait voulu, l’opération a dépassé toutes les espérances du Premier Ministre Erdogan : elle a fait de lui un véritable héros en Turquie mais aussi à travers tout le monde musulman, et d’abord dans les pays arabes. La cause palestinienne, et spécialement le sort des populations de la Bande de Gaza, était quasiment en jachère. L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas était exclue du problème. Les membres de la Ligue arabe sont profondément divisés. Il n’y a plus d’hégémonie reconnue, mais un grand vide créé par l’absence de l’Égypte, minée par la maladie du président Moubarak et la question de sa succession. Le Caire, longtemps délégué du Sultan de Constantinople pour le Proche-Orient, a d’ailleurs bien compris la manoeuvre puisqu’il s’est empressé de rouvrir le point de contact de Gaza. On se souviendra que l’Égypte a une responsabilité particulière à l’égard de la Bande de Gaza qu’elle a géré de 1948 à 1967. La Turquie a vu le vide et la division des Arabes et par un coup de maître, sinon prémédité du moins calculé, l’a comblé.
Tout a changé désormais dans la question dite israélo-arabe ou israélo-palestinienne depuis que la Turquie se trouve investie de cette nouvelle légitimité. Ce n’est certes que l’aboutissement d’un processus qui dure depuis l’arrivée au pouvoir du parti de M. Erdogan en 2002 et la guerre contre l’Irak, et surtout depuis l’opération Plomb Durci lancée par l’armée israélienne à Gaza en décembre 2008, sans prévenir Ankara qui était engagé dans une médiation entre Israël et la Syrie.
Que va faire la Turquie de sa victoire ? Celle-ci a des limites : d’abord le prix payé de neuf morts. Une bonne partie de l’opinion publique se méfie des engrenages extérieurs. La politique turque a été jusqu’à présent très autocentrée. Son ambition a été de rejoindre le camp des pays émergents et de s’imposer dans l’Union européenne. Ce sont les généraux turcs, kemalistes, qui avaient joué la carte de l’alliance avec Israël comme une prolongation de celle avec les États-Unis. La communauté juive américaine avait d’ailleurs été très active dans la promotion de l’alliance israélo-turque. Or l’armée turque est sous tutelle et les juifs américains s’interroge sur Israël aujourd’hui.
Une seconde limite des ambitions turques réside dans l’écart culturel et historique entre Turcs et Arabes depuis la révolte arabe de 1916 popularisée par l’épopée de Lawrence d’Arabie. Erdogan a réussi un coup à Gaza, mais sans les dirigeants arabes, uniquement appuyé par la mouvance pro-palestinienne en Europe. Les morts turcs ont d’ailleurs été enterrés à Istanbul. C’est dans la mesure où la Turquie est occidentale et européenne qu’elle a rencontré cet immense succès d’estime dans les médias et l’opinion publique de ce côté du monde. C’est ainsi qu’elle peut porter des coups extrémement dangereux à l’actuelle direction israélienne, et pas du tout en tant qu’islamiste. On a entendu Mme Livni, du parti Kadima, dire que la Turquie avait changé de cap parce qu’elle avait été refusée en Europe. C’est aussi le discours américain. C’est l’inverse : la Turquie est aujourd’hui en mesure de damner le pion aux Israéliens comme meilleurs élèves européens et occidentaux.
Pour aller plus loin :
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- MESSAGE POUR LA JOURNEE MONDIALE DE LA PAIX
- SYRIE : ENTRE CONFLITS ARMES ET DIALOGUE INTERNE