La situation critique du président de la République n’est niée par personne, y compris par ses propres amis et ceux qu’on appelle le cercle rapproché. Ceux qui le défendent envers et contre tout misent sur sa capacité à tenir le choc et à se relever. Certains allèguent aussi la solidité des institutions de la Ve République, qui protègent le chef de l’État dans les pires difficultés. Bernard Debré rappelait ces jours-ci que c’est son père, Michel Debré, qui avait conçu la structure de l’État gaullien et il l’en remerciait, bien qu’elle serve dans le cas présent un adversaire politique. D’autres sont cependant plus pessimistes et parlent ouvertement de crise de régime. Quand la confiance populaire est à son niveau le plus bas et qu’aucune perspective rassurante n’apparaît à l’horizon, on se souvient des moments les plus critiques du passé. Changement de régime ? On ne refait pas 1958 automatiquement et les projets esquissés de VIe République ne font pas, loin de là, l’unanimité.
J’ai retenu pour ma part l’analyse de Jean-Pierre Le Goff, dans Figarovox. J’apprécie énormément ce sociologue, auquel nous devons sans doute le meilleur livre sur Mai 68 et qui n’hésite jamais à mettre en cause les tabous du moment. Ainsi désigne-t-il sans crainte les dérives d’une classe politique qui a oublié la dimension symbolique du pouvoir. Il y voit le fruit amer d’un individualisme qui exerce aussi ses ravages dans l’État. « Beaucoup d’hommes politiques ont fait du surf sur les évolutions sociétales problématiques en espérant en tirer quelques profits électoraux. » D’où des comportements douteux dans les médias où, sous prétexte de se rapprocher du public, on affiche son ego dans des réflexes purement narcissiques : « À force de se présenter comme des gens ordinaires, les femmes et les hommes politiques dévalorisent eux-mêmes leur rôle et leur fonction. »
Il est vrai qu’ainsi le sommet veut ressembler à la base, mais ce n’est sûrement pas de cette façon que sera assumée la tâche éminente de servir le pays. Qu’en est-il de la durée des engagements, du dévouement et des sacrifices nécessaires ? La dérive sociétale est générale, et c’est un des aspects essentiels de la crise très sérieuse qui s’est aggravée la semaine dernière.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 8 septembre 2014.