Il sera difficile d’oublier mai et juin 2017. Des meurtres épouvantables, des attentats suicides, se sont produits à Manchester (22 mai), en Égypte (26 mai) et en Afghanistan (31 mai), lors desquels de nombreuses vies humaines innocentes ont été tuées. Juin a commencé avec d’autres attaques terroristes, à nouveau à Londres (3 juin) et à Melbourne (6 juin). Et il ne s’agit là que des plus importantes : beaucoup d’incidents moins graves se sont produits partout dans le monde à la même période.
Comment les gens font-ils face à la douleur et à la perte ? Le poète Tony Walsh a lu un extrait de son poème This is the place à une assistance de Manchester : « Face à un défi, nous gardons toujours la tête haute. » Sa Grâce Monseigneur Angaelos, de l’église copte orthodoxe au Royaume-Uni, a pleuré sur les martyrs coptes mais a pardonné aux meurtriers avec les propos suivants : « Vous êtes aimés par moi et par des millions d’autres, non à cause de ce que vous avez fait, mais à cause de ce que vous avez la capacité de faire en tant que créatures merveilleuses de Dieu qui nous a créé au sein de la même humanité partagée. Vous êtes aimés par moi et par des millions d’autres parce qu’eux et moi croyons en la transformation. »
Ces expressions publiques de la détermination et du pardon des chrétiens sont les bienvenues dans une culture qui semble avoir perdu les deux. Mais les bombes et les carnages ont laissé de nombreuses personnes à travers le monde plus craintives que jamais vis-à-vis des rassemblements de foules, des vols en avion, des aéroports et des centres villes.
Certains montrent des signes de ce que les psychologues appellent « la fatigue de la compassion », l’impuissance et la fermeture à des horreurs qui sont simplement trop grandes et trop fréquentes. La peur des attaques terroristes revient souvent dans les discussions en classe, avec mes étudiants. Comment faire face à la peur ? Est-il toujours possible de surmonter la peur ? Ou, pour reprendre les mots du pape François : « que faudra-t-il pour endiguer la spirale de la peur ? »
Contrairement à ce que beaucoup pensent, le courage n’est pas le contraire de la peur. Aristote enseignait qu’il est juste et humain d’avoir peur de certaines choses, mais qu’il faut avoir la juste mesure de la peur parce que « l’homme qui fuit et craint tout, et ne se dresse contre rien devient un lâche, et l’homme qui ne craint rien mais va à la rencontre de tous les dangers devient téméraire. » (Éthique à Nicomaque, II). Il est tout simplement humain de ressentir de la peur lorsqu’on est en danger, mais on ne doit pas se laisser paralyser ni pourrir la vie par la peur.
La réponse chrétienne à cette question a quelque chose de paradoxal – surmonter la peur par une autre sorte de peur -, la crainte de Dieu. L’Écriture et les premiers Pères de l’Église sont assez clairs là-dessus : si vous craignez Dieu, vous ne serez jamais plus effrayé de la même manière car il n’y a ultimement rien à redouter. « Puis Il posa Sa main sur moi et dit : « N’aie pas peur. Je suis le Premier et le Dernier. » » (Ap 1, 17)
St Jean Climaque (579-649) écrivait : « Celui qui est devenu serviteur du Seigneur ne craint que son Maître. Mais celui qui ne craint pas Dieu est souvent effrayé par sa propre ombre. La peur est sœur de l’incroyance. » (21e échelon)
Jésus apaisant la tempête par James J. Tissot, c. 1890 [Brooklyn Museum]
Saint Ephrem le Syrien (306-373), connu comme le professeur du repentir, a le même argument à propos de la crainte de Dieu : « Celui qui craint Dieu se situe au-dessus de toute peur. Il est devenu étranger à toute la peur de ce monde et l’a placée loin de lui, et aucune raison de trembler ne l’approche. »
La peur décrite dans ces exemples est une saine et révérencielle crainte de Dieu, qui est intimement reliée à la foi. La crainte de Dieu chrétienne ne peut être détachée de la foi. C’est une sorte de saine peur qui rend audacieuse la foi en Dieu. Pour des chrétiens, c’est la foi qui conduit au-delà de la peur ordinaire, de la mort, de l’intimidation. C’est une foi qui transforme les circonstances impossibles en espérance. Et c’est la foi qui rend les croyants forts face au mal, terrorisme inclus.
Dietrich Bonhöffer, le célèbre pasteur luthérien martyrisé par les Nazis, savait où se tourner dans les moments de peur et d’incertitude. Il a prêché sur « surmonter la peur » en 1933 (l’année même où Hitler est arrivé au pouvoir) : « Regardez vers le Christ lorsque vous avez peur, pensez au Christ, gardez-Le devant vos yeux, appelez le Christ et priez-Le, croyez qu’Il est avec vous maintenant et qu’Il vous aide. Alors la peur pâlira et s’éloignera, et vous serez libre, par votre foi dans notre Sauveur fort et vivant, Jésus-Christ. »
Une foi forte permet de faire confiance à Dieu. Témoins en sont les martyrs coptes qui furent massacrés par des terroristes le 26 mai 2017 : ils furent tués parce qu’ils ont refusé de renier le Christ. Ces courageux martyrs ont accepté une mort horrible grâce à la foi.
Pourtant, la question n’est pas complètement évacuée : est-ce que la crainte de Dieu et la foi en Dieu sont suffisantes pour surmonter la peur des attaques terroristes ? La réponse n’est pas simple. Les terroristes ne tuent pas seulement des personnes innocentes. Ils tuent pour faire plier la volonté, pour intimider, pour épuiser, pour décourager, pour rendre les gens incertains d’eux-mêmes. Les terroristes veulent détruire les âmes, ainsi que les valeurs fondamentales et les espoirs.
Et il convient de noter une distinction. Une personne qui craint Allah, une personne de foi qui prie sincèrement, jeûne et respecte la tradition islamique, est un musulman. Une personne qui considère sa tradition religieuse comme une entreprise politique dont le but est de purifier les autres traditions – dont il croit qu’elles sont corrompues et qu’elles corrompent – est un islamiste et n’a aucun problème pour tuer même d’autres musulmans.
Je sais combien le nécessaire dialogue va être difficile. Il est même difficile d’être sûr que l’on parle avec un musulman ou que l’on traite avec un islamiste. Nous devrions avoir une saine suspicion, peut-être même une certaine crainte, lorsque nous voyons tant de naïfs qui parlent du « dialogue ».
Mais là aussi, il faut surmonter la peur. Prendre le risque et rencontrer le musulman, le musulman fidèle qui craint Dieu, qui souffre et est souvent lui-même victime du terrorisme, c’est une partie nécessaire à la fois de l’auto-défense et d’un effort pour « endiguer la spirale de la peur ». Et conquérir cette peur chaque jour peut, dans le processus, aider également à combattre le terrorisme.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/06/24/fear-of-god-faith-and-encounter/
Tableau : Jésus calmant la tempête, par James J. Tissot, c. 1890 [Musée de Brooklyn]
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Ines Angeli Murzaku (http://academic.shu.edu/orientalia) est professeur d’Histoire de l’Église à l’Université Seton Hall. Ses recherches approfondies en histoire du christianisme, du catholicisme, des ordres religieux et de l’œcuménisme ont été publiées dans de nombreux articles savants et cinq livres. Le Dr. Murzaku a fréquemment été présenté dans les médias, journaux, radios et télévisions nationales et internationales, ainsi que dans des blogs.