À la suite de son article « Où regarder ? », paru dans F.C. n° 2051 du 18 avril dernier1, notre ami Aimé Michel a reçu plusieurs lettres. Les voici, ainsi que la réponse de notre collaborateur.
Justice pour Bossuet
Je n’ai jamais eu qu’une admiration tempérée pour Bossuet, et je me sens par contre très proche de ce qu’écrit ordinairement notre ami Aimé Michel. Mais quand même il faut être juste, et dans son dernier article de F.C. (18 avril), Aimé Michel se laisse aveugler par une généreuse passion.
Bossuet a encensé inlassablement le Roi Soleil et a même soutenu la théorie du droit divin des princes qui identifie la puissance royale à la puissance de Dieu : d’accord. Mais dans le livre où il développe cette théorie, la Politique tirée de l’Écriture Sainte, rédigé pour le Grand Dauphin à partir de 1678, on trouve aussi des considérations plus judicieuses et sympathiques. Ainsi par exemple :
« Le partage des biens entre les hommes et la division des hommes mêmes en peuples et en nations ne doit point altérer la société générale du genre humain (…). Dieu défend ces aversions qu’ont les peuples les uns pour les autres ; et au contraire, il fait valoir tous les liens de la société qui sont entre eux ».
Ou encore : « Dieu veut que l’on regarde les terres comme données par lui-même à ceux qui les ont premièrement occupées, et qui en sont demeurés en possession tranquille et immémoriale : sans qu’il soit permis de les troubler dans leur jouissance, ni d’inquiéter le repos du genre humain ».
Bossuet anti-impérialiste, et pourquoi pas ? anti-colonialiste : cela dès 1678. Qui le sait aujourd’hui ?
Mais où l’ami Aimé Michel cède non seulement à l’injustice, mais à l’ingratitude, c’est lorsqu’il met dans le même panier, si j’ose dire, « des célébrité comme Bossuet, Massillon, Fléchier, Fénelon ». On croit rêver : Fénelon, le plus dur censeur de Louis XIV, assimilé aux laudateurs du Roi Soleil…
Je ne rappellerai qu’un texte de l’archevêque de Cambrai. Écrit à l’intention du duc de Bourgogne, nouvel héritier du trône, au moment de la guerre de la succession d’Espagne, avant 1710, l’Examen de conscience sur les devoirs de la royauté a des accents dignes de Voltaire et de Bernanos réunis. Qu’on en juge :
« On pend un malheureux pour avoir volé une pistole sur le grand chemin, dans son besoin extrême, et on traite de héros un homme qui fait la conquête, c’est-à-dire qui subjugue injustement les pays d’un État voisin. L’usurpation d’un pré ou d’une vigne est regardée comme un péché irrémissible au jugement de Dieu, à moins qu’on ne restitue ; et on compte pour rien l’usurpation des villes et des provinces. Prendre un champ à un particulier est un grand péché ; prendre un grand pays à une nation est une action innocente et glorieuse. Où sont donc les idées de justice ? Doit-on être moins juste en grand qu’en petit ? »
Jean Bastaire2
Le peuple et les princes
Merci, Jean Bastaire. Merci à tous les lecteurs qui m’ont écrit pour défendre Fénelon, ou pour m’exprimer leur doute que les curés de paroisse français du XVIIe siècle aient connu le catéchisme du Concile de Trente (M. L. Gabiller).
Sur ce dernier point je crains qu’en effet beaucoup ne l’aient pas connu. C’est pourquoi mon article était intitulé : Où regarder ? Je voulais dire qu’en cas de doute on nous enseigne depuis toujours qu’il faut regarder vers le Pape et les évêques réunis en concile. C’est ce qu’auraient toujours dû enseigner les évêques à leurs curés, même au XVIIe siècle.
Voilà du moins un enseignement sur lequel les évêques, quand ils n’étaient pas trop occupés à la Cour, ne pouvaient, eux, nourrir aucun doute. Quand on était évêque de Meaux, qu’y avait-t-il de plus pressant ? De rédiger à l’intention du Grand Dauphin une excellente Politique tirée de l’Écriture Sainte ? ou d’enseigner ses curés, qui enseignaient le peuple ? Je suis heureux de vivre en un temps où nos évêques s’occupent de nous plutôt que de nos princes.
Pour Fénelon, c’est vrai, il eut beaucoup de courage. Il est vrai aussi que son bel enseignement s’adressait surtout au duc de Bourgogne, voire au roi par ricochet. Sincèrement dans cet éblouissant XVIIe siècle, je préfère M. Ollier et saint Vincent de Paul3. Pour dire ses quatre vérités au roi, il y avait hors de l’Église des âmes fortes dont c’était le métier. Par exemple Vauban4, ce « véritable Romain » (Fontenelle), ce « patriote » (Saint-Simon, inventeur en français d’un mot hélas appelé à mal tourner sous la plume de Jean-Jacques et à la tribune de Robespierre). Me permettra-t-on de citer Vauban ?
– « J’aimerais mieux avoir conservé cent soldats à Votre Majesté que d’en avoir ôté mille à l’ennemi ». Ou encore, dans son Mémoire pour servir d’instruction pour la conduite des sièges (distribué aux officiers) :
– « En vérité, si les États ne périssent que faute de bons (braves) hommes pour les défendre, je ne sais pas de châtiment assez rude pour ceux qui les font périr mal à propos. Cependant il n’est rien de si commun parmi nous que cette brutalité qui dépeuple nos troupes… et fait qu’une guerre de dix années épuise tout un royaume ».
Et d’autres lettres où il décrit avec compassion la misère du peuple des frontières, près des champs de bataille. Sans oublier, évidemment, sa fameuse Dixme Royale, 1707, dont le rejet le fit mourir de chagrin, et qui nous eût peut-être épargné les folies sanglantes de la fin du siècle. C’était le métier de Vauban de faire entendre sa grosse voix au roi.
Il semble que quelques lecteurs aient compris mon article comme une accusation portée contre les « célébrités catholiques » du XVIIe siècle de n’avoir pas dit ce qu’il fallait. Ces lecteurs me rappellent qu’ils l’ont dit. Eh oui ! Mais à qui ? Fallait-il être le Grand Dauphin ou le duc de Bourgogne pour connaître la vérité catholique ? Ces grands esprits n’ont-ils pas commis la même erreur que tels à qui nous pensons, qui croient, (peut-être) servir l’Évangile en maniant la mitraillette ?
Sincèrement, oui, je choisis M. Ollier, Mgr Glemp5 et les Églises du Silence, Rome et les Conciles. Quand je lis les belles périodes de Fléchier et même les enseignements de Fénelon au duc de Bourgogne, mon cœur se serre à la pensée de tel ami de jeunesse, maintenant évêque dans un de ces pays de ténèbres, à qui je ne peux même pas écrire sans le mettre en danger. Il ne lira jamais ces lignes. Il a tout perdu, fors l’honneur de Dieu.
Je ne compare pas la France du Siècle d’Or à ces pays. Il y a de la marge. Du moins pour nous, catholiques français. Il faut rendre à César ce qui est à César. Mais pas plus, quand on est au service, non de César, mais du peuple de Dieu.
Aimé Michel
Une caricature
Présenter Louis XIV comme un tyran sanguinaire contre lequel les évêques auraient dû prêcher la révolte, Bossuet et ses collègues dans l’Épiscopat comme de lâches courtisans qui acceptaient les écarts du roi en matière de morale conjugale, relève du genre littéraire du roman soi-disant historique et de la caricature grossière.
Le ravage du Palatinat – en 1689, non 1688 – n’est pas un épisode glorieux du règne ; cependant il s’agissait d’une opération défensive, comparable à celle des Russes devant les armées napoléoniennes en 1812, et nullement de massacrer les populations. J’aimerais savoir d’où M. Michel a pris les mots « pillez, brûlez, tuez », imprimés sur le journal en caractères gras ?
Pierre Blet6
Le seul à tenir tête
Exécuter en quelques lignes Bossuet, Massillon, Fléchier et Fénelon lui-même, me paraît un peu rapide. On semble croire que leurs prédications se résument en un appel à mourir au monde et à lutter contre la chair. En réalité ce qu’ils veulent c’est mettre la foi chrétienne dans la vie de tous. Leur attribuer la moindre responsabilité dans les ordres de dévastation du Palatinat en 1688-1689 est une erreur historique.
Le plus injustement malmené dans cet article, c’est Bossuet. Alors qu’il prêchait hardiment au roi, dans la chapelle du Louvre : « Tu es ille vir, prince, c’est à vous que je parle ». Quand, en 1675, il eut, pour peu de temps, la conscience du roi entre les mains, il lui interdit de faire ses Pâques. En cet instant, il fut le seul homme qui osa se dresser contre le tout-puissant monarque. Plus d’une fois, il lui rappela que tout roi est soumis à deux pouvoirs qu’on ne brave jamais en vain : Dieu et la raison. Et quand il ne peut le ramener à son devoir, il lui déclare publiquement qu’à sa mort Dieu lui demandera compte de toutes ses actions.
André Duchemin7
Tristes épisodes
Ravages du Palatinat : voir les Mémoires de la Fare, de Dangeau, de Mme de Lafayette, de Villars, de Saint Simon et les Mercure Français de mars et avril 1689.
Résumé de Macaulay : il explique d’abord que les succès de l’armée française, quoiqu’admirables, ne pouvaient obtenir la décision contre les Hollandais en Allemagne ; alors une autre idée vint à Louvois : « si les villes du Palatinat ne pouvaient être gardées, qu’elles fussent détruites. Si le sol du Palatinat ne pouvait approvisionner l’armée, qu’il fût tellement dévasté qu’il ne puisse plus rien fournir non plus aux Allemands. » Louvois8 soumit son plan, sans doute avec beaucoup de ménagement et quelque peu déguisé, à Louis ; et Louis, en un instant funeste pour sa gloire, accepta. Duras reçut l’ordre de transformer l’une des plus belles régions d’Europe en désert.
Quinze ans avaient passé depuis le ravage de ce beau pays par Turenne. Mais les ravages de Turenne, bien qu’ils ternissent sa gloire9, n’étaient qu’amusement au regard de la deuxième dévastation10. Le général français annonça à environ un demi-million d’êtres humains qu’on leur donnait trois jours pour déguerpir d’eux-mêmes. Bientôt les routes et les campagnes connurent des cortèges d’horreur (descriptions devenues classiques, hélas, et dont je fais grâce au lecteur. La plupart moururent de faim et de froid dans la neige, hommes, femmes et enfants…). Les flammes détruisirent chaque village, chaque hameau, chaque église paroissiale… les champs furent retournés, les vergers abattus (…). Aucun ensemencement ne fut épargné, aucune vigne, presqu’aucun arbre. Pas un palais, pas un temple, pas un monastère, pas un hôpital, pas une œuvre d’art (…). Les provisions, médicaments, les paillasses où gisaient les malades, etc., etc. Même les tombes furent brisées et dispersées…
Macaulay rend ensuite hommage à l’action de Mme de Maintenon sur le roi pour mettre un terme à cette horreur, qui s’arrêta devant la ville de Trêves. Les mémorialistes cités plus haut rapportent que même les flatteurs les plus courtisans s’étaient tus pendant ces mois de folie. Le mot : « Allez, mes enfants, brûlez, pillez, tuez » est attribué à Duras. Ne pas oublier que le Palatinat subit encore un troisième ravage en 1693, par l’armée du duc de Lorges. Les horreurs atteignirent leur comble à Heidelberg. On pourrait peut-être en rester là sur ces tristes épisodes de notre histoire11.
Aimé Michel
Texte n° 418 paru dans F.C. – N° 2057 – 30 mai 1986
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 19 février 2018
Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 19 février 2018
- Chronique n° 416, Où regarder ? – En cas de doute il faut regarder vers le Pape et les évêques réunis en concile, mise en ligne il y a deux semaines.
- Jean Bastaire (1927-2013), « chrétien catholique socialiste libertaire » selon ses propres mots, intellectuel discret, professeur au Centre national d’enseignement à distance, collabore de 1952 à 1981 à la revue Esprit. Spécialiste de la poésie chrétienne à l’âge baroque et de l’œuvre de Charles Péguy, ami de Robert Bresson et d’Alain Cuny, du père de Lubac et d’Edmond Michelet, il milite pour la cause de l’indépendance algérienne et pour le renouveau de l’Église. Dans son autobiographie spirituelle, L’Apprentissage de l’aube (2001), il raconte sa conversion sans reniement des valeurs laïques et républicaines dans lesquelles il a été élevé. Il fut aussi un pionnier de l’écologie, ce dont témoigne, par exemple, son livre Pour une écologie chrétienne (2004). Bien qu’il n’ait pas eu l’impact d’un Jacques Ellul, de nombreux articles ont parlé de lui à sa mort, voir par exemple http://larepubliquedeslivres.com/jean-bastaire-chretien-catholique-et-socialiste-libertaire/.
- Sur l’œuvre de saint Vincent de Paul (1581-1660), voir la note 3 de la chronique n° 330, Marthe robin, ou la lumière du soir – Une mystique pour une fin de siècle consciente de son infinie solitude, et sur sa captivité à Tunis dans sa jeunesse, voir la chronique n° 160, La science et le mystère – Rousseau, Gödel et Saint Vincent de Paul. On comprend qu’Aimé Michel le donne en exemple car sa légende n’est pas usurpée. Confronté à la misère matérielle et morale du peuple, il s’efforce sa vie durant d’y porter remède de manière concrète, servi par une énergie et un pouvoir de séduction qui exercent un effet d’entrainement sur son entourage. Jean-Jacques Olier (1608-1657), dit Monsieur Olier, se destine d’abord à une brillante carrière ecclésiastique puis s’en détourne . En 1631, il refuse une aumônerie à la cour et préfère catéchiser des mendiants et des pauvres. Il rencontre saint Vincent de Paul et se met à son service. En 1633, il est ordonné prêtre, refuse toute promotion et s’implique dans des missions rurales. En 1641, préoccupé par la formation insuffisante du clergé, il fonde à Vaugirard près de Paris une communauté pour y remédier, dans l’esprit du concile de Trente (voir note 5 de la chronique n° 416). L’année suivante il accepte contre l’avis de sa famille de devenir curé de la paroisse de Saint-Sulpice. Sa maison de formation devient un exemple. Avec le soutien de l’évêque de Paris, elle s’agrandit pour former tous les futurs prêtres du diocèse et devient le séminaire Saint-Sulpice. On n’y enseigne pas la théologie (ce qui est le rôle de la Sorbonne) mais on y donne des conférences spirituelles destinées à faire prendre conscience de l’importance du sacerdoce. Ses disciples fondent des séminaires semblables à Nantes, Viviers, Saint-Flour, Le Puy, Clermont. Diminué par une attaque cérébrale en 1652, il se démet de sa cure mais conserve le séminaire. Il appuie la fondation de la ville de Montréal et forme quatre volontaires pour cette mission. Il écrit plusieurs petits traités souvent réédités. Après une dernière visite de saint Vincent de Paul, il meurt le lundi de Pâques 1657. Sa conception du prête (centré sur le culte, séparé du monde, sans spontanéité, défiant à l’égard de la femme, édifiant pour les fidèles), relayée par son disciple Louis Tronson (1622-1700), marquera durablement la formation du clergé français jusqu’à nos jours (voir aussi note 5 de la chronique n° 411).
- Saint-Simon dans ses Mémoires est très élogieux : « Vauban s’appelait Le Prestre, petit gentilhomme de Bourgogne tout au plus, mais peut-être le plus honnête et le plus vertueux de ce siècle (…), le plus simple, le plus vrai et le plus modeste (…) un extérieur rustre et grossier, pour ne pas dire brutal et féroce. Il n’était rien moins : jamais homme plus doux, plus compatissant, plus obligeant, mais respectueux sans nulle politesse, et le plus avare ménager de la vie des hommes, avec une valeur qui prenait tout sur soi, et donnait tout aux autres (…) ». Jean Fourastié dans Les écrivains témoins du peuple (J’ai Lu, 1964) complète ce portrait : « Vauban est le plus souvent admiré pour ses talents d’homme de guerre ; on vante à juste titre son génie militaire et les fortifications qu’il a fait élever. Depuis un demi-siècle environ, un autre aspect de la personnalité de Vauban se révèle : l’économiste, le statisticien, le démographe et surtout l’homme très bon, conscient des problèmes sociaux de son temps. (…) Son esprit apte à la synthèse le conduisait naturellement à hiérarchiser les idées par rapport aux aspirations et aux besoins des hommes. Ministre de la Guerre, Vauban (…) conseilla lui-même, pour réduire les dépenses royales, de faire des économies dans le secteur militaire. Son enfance à Saint-Léger-de-Fougeret en Morvan, sa pauvreté, ses contacts avec les humbles, lui avaient permis (…) de voir de façon très proche les souffrances de ses concitoyens et de leur chercher des remèdes. Sa vie a été une permanente enquête. Il écrit : “Tout ce que je dis n’est point pris sur des observations fabuleuses mais sur des visites et des dénombrements exacts et bien recherchés, auxquels j’ai fait travailler deux ou trois ans de suite…” Vauban lui-même travaille sans relâche. » Dans son dernier traité Projet d’une dîme royale (1707) il met en garde contre de forts impôts qui détournent des activités productives et propose la création d’un nouvel impôt plus équitable qui remplacerait tous ceux existant jusqu’alors : la « dîme royale ». Il s’agit un impôt progressif (de 5 à 10%) sur tous les revenus, sans exemption pour les ordres privilégiés, le roi y compris. Une cabale s’organise contre lui à la cour et Louis XIV se laisse convaincre que ce projet est le renversement de la monarchie. Vauban est disgracié, son livre condamné et saisi. De santé affaiblie depuis plusieurs années, il ne supporte pas l’épreuve et meurt quelques jours après. Signe d’aveuglement collectif et ironie de l’histoire, en refusant les réformes proposées par un homme qu’il reconnaît à sa mort « attaché à sa personne et à l’État », le roi favorise ce qu’il entend éviter et, quelques décennies plus tard, la monarchie est renversée.
- Aimé Michel mentionne le cardinal polonais Józef Glemp (1929-2013) en raison de son rôle de premier plan pendant la dictature militaire du général Jaruzelski. En juillet 1981, alors évêque de Varmie dans le nord-est de la Pologne, J. Glemp est nommé par Jean-Paul II d’abord archevêque de Varsovie et primat de Pologne (il succède au cardinal Stefan Wyszyński dont il a été le secrétaire et proche collaborateur de 1967 à 1979), puis cardinal en février 1983. Quelques mois plus tard, en décembre 1981, le général Jaruzelski instaure la dictature en vue d’éliminer le syndicat Solidarnosc conduit par Lech Walesa (voir la note 1 de la chronique n° 377). L’intervention du cardinal Glemp vise d’abord à éviter un affrontement (« Je vous demande, même si je dois le faire pieds nus et à genoux : ne commencez pas à vous entre-tuer »). Elle est diversement appréciée et lui vaut le surnom de « camarade Glemp », mais sa conduite prudente porte ses fruits. La loi martiale est suspendue le 31 décembre 1982 puis annulée en juillet 1983. En 1989, ses talents de négociateur le font choisir comme médiateur par le pouvoir communiste et Solidarnosc. Leurs négociations aboutissent aux premières élections libres dans le bloc communiste depuis 1945 et conduisent l’année suivante à l’élection de Lech Walesa comme président de la République.
- Le jésuite Pierre Blet (1918-2009) est un historien qui, de 1959 à sa mort, enseigna l’histoire de l’Église à l’université Grégorienne de Rome. Il fut l’un des quatre historiens jésuites qui de 1965 à 1981 publièrent les onze volumes des Actes et documents du Saint-Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale. Il en tira son ouvrage Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d’après les archives du Vatican, Perrin, Paris, coll. « Tempus », 1999. Sa remarque « il ne s’agissait nullement de massacrer les populations » me parait surprenante car même si ce n’était pas là l’objectif, ce pouvait en être la conséquence.
- Il s’agit peut-être de l’abbé André Duchemin, auteur de livres de catéchisme pour les élèves et leurs enseignants.
- L’historien André Corvisier, spécialiste de Louvois dont il a écrit une biographie (Fayard, Paris, 1983), confirme dans son article de l’Encyclopaedia Universalis que le nom de Louvois « reste attaché à deux mesures odieuses : manquant de réalisme contre son habitude, il inspire la dévastation du Palatinat (1689) ; en revanche, il ne fait qu’accepter l’idée des dragonnades mais en limite les effets. » Toutefois, le célèbre secrétaire d’État à la Guerre de Louis XIV est aussi « un administrateur de grand talent et d’une rare énergie » qui a réglementé l’armée et, entre autres, instauré l’avancement à l’ancienneté qui permet aux roturiers d’accéder aux mêmes grades que les nobles. Cet aspect de l’œuvre de Louvois est favorablement commenté par Robert Mandrou dans La France aux XVIIe et XVIIIe siècles (PUF, Paris, 1971, 6e éd. 1997). Après avoir présenté les ravages de la guerre à cette époque, il écrit : « Il faut les réformes de Louvois dans le recrutement et dans le casernement – et de longues décennies d’adaptation pour que ces images des “malheurs de la guerre” cessent d’être courante pendant le XVIIIe siècle ». Quels sont ces malheurs courants ? Il importe d’en préciser la nature pour comprendre ce que les ravages du Palatinat ont de spécifique. Dans les pages qu’il consacre aux « conditions de vie du plus grand nombre », d’où j’ai extrait la citation sur Louvois, R. Mandrou souligne l’insécurité qui règne à l’époque et rend précaires les conditions de l’existence ; « cette précarité, écrit-il, se place sous le signe de cataclysmes invoqués à longueur de prières depuis des siècles : la peste, la faim, la guerre » (libera nos a peste, fame et bello). Passons sur les deux premières, si terribles et déjà évoquées dans la note 5 de la chronique n° 423, pour nous intéresser à la troisième : « [L]a guerre, poursuit-il, intervient de façon moins “régulière” que la famine et la peste : c’est-à-dire les ravages de la guerre, car les batailles en elles-mêmes ne provoquent pas d’hécatombes. Mais les soudards qui doivent vivre sur le pays, prenant leurs quartiers d’hiver chez l’habitant, et pourchassant hommes et femmes, incendiant les récoltes et massacrant le bétail, sont redoutables et redoutés pendant longtemps.(…) Jusqu’aux horreurs de la guerre de Succession d’Espagne en tout cas, la tradition de ces destructions ne s’est pas démentie. Contre elles, les villes se trouvent mieux protégées que les plats pays, car elles sont enfermées derrière leurs remparts, capables de tenir tête à quelques compagnies, et aptes à négocier avec les capitaines ; mais dans la campagne, point d’autre ressource que d’entasser ses hardes dans un coffre et de pousser enfants et bétails devant soi jusqu’à la plus proche forêt pour y attendre la fin du péril. » La guerre de Trente ans (1618 à 1648), ajoute-t-il, a illustré « mieux que toute autre » ces misères. Misères qui perdurent à travers les âges et n’ont toujours pas disparues de notre actualité comme le rappelle, sous d’autres formes, les évènements de Birmanie et de la République Démocratique du Congo.
- Le premier ravage du Palatinat à l’été 1674, œuvre de Turenne, a lieu lors de la guerre de Hollande (1672-1678) qui oppose Louis XIV à l’empereur germanique Leopold Ier de Habsbourg. En juillet 1674, Turenne est en fâcheuse position car il n’a que 16 000 hommes alors que les troupes impériales se renforcent et risquent d’atteindre 40 000 hommes. Pour priver l’armée ennemie de ses approvisionnements en pain et en fourrage, il décide de ravager le Palatinat, d’autant que les Palatins harcèlent ses troupes. Voici la suite et ses conséquences telles que les présente l’article Wikipedia sur le « Ravage du Palatinat », références à l’appui : « Comme tous les soldats en campagne, il commet des écarts. Mais ce ne sont jusqu’ici que méfaits traditionnels, qui s’opèrent plus ou moins à l’insu de la hiérarchie. La nouveauté qu’introduit Turenne, ce sont des exactions systématiques, ordonnées par le haut commandement, menées à grande échelle. Elles vont dépasser tout ce qu’il est permis d’imaginer. Turenne veut frapper les esprits. Les incendies et les pires atrocités se multiplient, entre Rhin et Neckar. La seconde quinzaine de juillet voit l’anéantissement de 32 localités. Les temples ne sont pas épargnés, ni même les églises. Du Fay, gouverneur de Philippsburg, écrit à Louvois, le 9 septembre : “Dans les deux dernières semaines, j’ai brûlé treize villes et villages […] Il ne restait plus âme qui vive dans aucun deux”. » En janvier 1675, à la suite d’une manœuvre bien préparée et bien menée, Turenne conduit son armée au-dessus du camp de Turckheim en Alsace où les Allemands prennent leurs quartiers d’hiver. Pris par surprise ils doivent battre en retraite. Pour se venger d’attaques alsaciennes, Turenne organise le sac de Turckheim qui se poursuit pendant deux semaines avec pillage, viol des femmes, tortures, massacres.
- Le second ravage du Palatinat se déroule en quatre vagues successives de décembre 1688 à octobre 1689. Pour s’en faire une idée d’ensemble on peut consulter une vidéo de sept minutes, « Le ravage du Palatinat par Louis XIV, un crime de guerre ? » par Christopher Lannes de la chaîne Internet TVLibertés (https://www.youtube.com/watch?v=Sk8KFpU2QeU), inspirée d’un article de Guerres et Histoire n° 37 (juin 2017). L’historien Jean-Philippe Cénat analyse ces évènements dans un article de la Revue historique, n° 633, p. 97-132, 2005 (https://www.cairn.info/revue-historique-2005-1-page-97.htm). Lui aussi souligne son caractère paroxystique : « Le ravage du Palatinat par les troupes françaises en 1688-1689 est en fait la combinaison de trois méthodes de guerre qui ne sont pas nouvelles, mais qui ont été utilisées sur une plus grande échelle et de manière systématique : la levée de contributions, la tactique de la terre brûlée et la destruction des places fortes. Ces opérations, planifiées de manière empirique, progressive et rationnelle par Louis XIV, Chamlay et Louvois dans le cadre de la stratégie de cabinet, visaient à priver les ennemis des bases d’opération et des moyens de subsistance qui leur permettraient d’attaquer le royaume. » Les principaux responsables de l’opération sont Louvois et son conseiller Chamlay, chef d’état-major de l’armée d’Allemagne aux côtés de Duras. Quant au roi, s’il « n’est sans doute pas à l’origine du projet, s’il a peut-être eu des scrupules à ordonner de telles destructions, il n’en est pas moins autant responsable que Louvois et Chamlay. Il était bien informé de ce qui se passait et il a approuvé ou signé tous les ordres donnés. » Reste à savoir, cependant, si les plans décidés dans les bureaux de Versailles ont été intégralement exécutés. « En fait, il y avait une grande différence entre ce que l’on ordonnait de Versailles et ce que les commandants exécutaient sur le terrain. Si Louvois, Chamlay ou Louis XIV étaient pleinement conscients de la nécessité stratégique de ces actions, les officiers sur le terrain, des gentilshommes avec une certaine éthique, étaient réticents à appliquer des consignes si cruelles. Ils se sentaient en quelque sorte responsables de ces populations qui s’étaient rendues sans combat et qui risquaient de passer l’hiver sans abri. Ainsi, on retrouve, comme à propos de la stratégie de cabinet, l’opposition entre les hommes de Versailles, qui planifient savamment les opérations sur leurs cartes et ceux du terrain, plus réalistes et plus sensibles. (…) [L]a plupart des démolitions avaient été faites sur le terrain par de petits groupes d’hommes isolés, des « partis », qui opéraient loin du regard de leur supérieur hiérarchique. Par conséquent, l’ampleur des destructions a beaucoup varié en fonction de la personnalité des commandants, plus ou moins cruels, pilleurs ou soucieux de l’exécution des ordres. Ainsi, le maréchal de camp Ézéchiel Mélac se distingua par ses cruautés et son sadisme, notamment lors de la destruction d’Heidelberg en mars 1689. Par contre, d’autres officiers étaient écœurés et aidèrent des bourgeois de la ville à sauver les maigres biens qu’ils pouvaient. Enfin, pour raser complètement une ville importante, il fallait beaucoup de temps et d’hommes, deux éléments qui firent défaut aux Français (…). » Qui plus est, « en brûlant des villes, [l’armée] prit goût au pillage et les soldats en profitèrent souvent pour s’enivrer. Le thème des beuveries des soldats français est en effet très présent à la fois dans les rapports des officiers et des commandants, et dans les œuvres de propagande antifrançaise. L’indiscipline et la désertion, gagnèrent donc du terrain. Au lieu de renforcer l’armée, ces destructions ont finalement sapé l’efficacité de l’outil militaire. » Même si les destructions effectives ont été moins importantes que les destructions planifiées (ce qui ne me paraît pas un motif de consolation morale), J.-Ph. Cénat reconnait que « les destructions causées par les Français, tant dans les campagnes que dans les villes, ont sans aucun doute été considérables dans le Palatinat et les pays rhénans. On peut d’ailleurs se demander comment ont survécu les populations locales dans de telles conditions. Il est malheureusement bien difficile d’estimer l’ampleur des dégâts ou leur coût financier. » Ce constat froid, même s’il se heurte au mur de notre (relative) ignorance (qui provient peut-être d’une exploitation encore insuffisante des données disponibles), même s’il ne confirme ni le « demi-million d’êtres humains » jeté sur les routes hivernales, ni l’ampleur (« pas un hameau, pas une église, pas un hôpital, pas une vigne ») des destructions décrites par l’historien et homme politique britannique Thomas Macaulay (1800-1859) sur lequel s’appuie Aimé Michel, il n’en reste pas moins, toujours selon Cénat, que les « ravages de 1688-1689 ont certainement été plus importants que les précédents (en Hollande en 1673, dans le Palatinat en 1674 ou dans les Pays-Bas espagnols en 1683-1684) car (…) ils ont été plus longs dans la durée, plus systématiques, plus étendus sur le plan géographique et plus spectaculaires. » (C’est moi qui souligne les passages en italique). Il paraît donc fondé de ne pas s’en tenir uniquement à l’attitude objective et distanciée de l’historien impavide, mais d’accepter aussi de considérer la somme d’atrocités concrètes qu’elle tend à masquer et sur laquelle A. Michel appelle l’attention de son lecteur.
- Ces « tristes épisodes de notre histoire » ont été extrêmement contre-productifs. Tous les historiens s’accordent pour reconnaître que leur effet psychologique en Europe a été déplorable. Dans sa biographie de Turenne (Fayard, Paris, 1987), Jean Bérenger note que « Cette pratique systématique de la terre brûlée devait laisser de profondes traces dans les mentalités collectives outre-Rhin et constituer, ultérieurement, l’un des arguments de la propagande anti-française. » J.-Ph. Cénat relève également « l’extraordinaire retentissement de cet événement qui ternit pour longtemps l’image de la France en Allemagne et même en Europe. En effet, un flot de pamphlets antifrançais, écrits par des Allemands mais surtout par des Hollandais et des réfugiés protestants, se répandit alors en Europe et en France. Pour cette propagande déjà très hostile envers la France depuis la politique des Réunions et la révocation de l’édit de Nantes, le ravage du Palatinat arrivait à point nommé pour montrer à toute l’Europe la cruauté et le danger que représentait Louis XIV. » L’article Wikipédia commente : « Les deux sacs du Palatinat ont un retentissement d’autant plus grand qu’ils surviennent dans une période de relatif adoucissement des conflits. Les pillages et saccages de la Guerre de Trente Ans s’expliquaient par l’épuisement financier des États, l’impossibilité de payer les troupes, et par la haine religieuse (catholiques contre protestants). Les exactions françaises en Palatinat, comme le bombardement de Gênes en 1684, sont des actes de terreur délibérés d’un État qui dispose de finances saines et de troupes disciplinées. L’opinion du temps les juge d’autant moins excusables. » Comprenons que le sac du Palatinat survient à un moment de l’histoire où le recours à la force brutale (une constante depuis l’antiquité la plus reculée, amplifiée par les progrès techniques et économiques) se heurte à une évolution des consciences. Certains historiens relèvent d’ailleurs, à partir de la fin du XVIIe siècle, « une tendance à la diminution des exactions et des violences des troupes, à une certaine “humanisation” de la guerre avec les progrès de la discipline des armées et du droit international ». Ils estiment que les horreurs du Palatinat ont joué « un rôle important pour amener les Européens à faire des efforts pour restreindre la violence et la barbarie de la guerre au XVIIIe siècle » (John Lynn) et ont contribué à « la naissance d’une opinion publique européenne lassée des destructions de la guerre et aspirant à la paix » (Joël Cornette). (Pour une réflexion plus générale à ce sujet voir la chronique n° 420, Cet univers où nous passons – Apprendre à reconnaitre la délivrance du mal).