L’extradition à la Cour pénale internationale de La Haye de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo à deux semaines des élections législatives est un pari risqué.
Justice ou réconciliation ? Le dilemme, présent dans la plupart des situations de sortie de crise, se retrouve en Côte d’Ivoire sept mois après la chute de l’ancien président qui avait eu la mauvaise idée de se maintenir au pouvoir après avoir perdu les élections de novembre 2010. Les poursuites contre lui se limitent aux violences post-électorales lesquelles auraient globalement fait 3000 morts. Crime contre l’humanité ? Actes graves en effet commis contre des populations civiles, mais furent-ils généralisés ou systématiques ? à la Cour qui siège à La Haye d’en juger.
Depuis son renversement, Laurent Gbagbo était détenu au nord de la Côte d’Ivoire. Le pays avait retrouvé la sécurité et la confiance des bailleurs de fonds. Une commission de réconciliation avait été mise en place en septembre. Le parti de l’ancien président renâclait mais sans trop. Quelles que soient les manipulations ultérieures, Gbagbo avait été crédité d’environ 45% des voix, ce qui n’est pas peu. Fallait-il risquer de compromettre ce processus de retour à la légalité pour une satisfaction intellectuelle ou des haines viscérales ? Ne pouvait-on au moins attendre les élections ?
Maintenant, la légitimité de celles-ci, prévues le 11 décembre, sera entachée par la non-participation de l’opposition. Le cycle infernal que le pays connaît d’élection manquée en élection truquée, depuis la mort d’Houphouët Boigny en décembre 1993, reprendra inlassablement. Ne fallait-il pas laisser les passions s’apaiser, après quoi l’on aurait pu juger plus impartialement ?
La justice internationale est particulièrement lente. Effective depuis le 1er juillet 2002, la CPI n’a commencé que trois procès et n’en a terminé qu’un seul (dont on attend le verdict) ; un cinquième homme est détenu mais n’est qu’au stade de l’accusation ; ces cinq prévenus sont tous congolais, quatre des miliciens de l’est, le cinquième est Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président du Congo, mais qui est poursuivi pour des actes commis en République Centrafricaine (de même que l’ancien président libérien a été poursuivi à La Haye mais devant un tribunal spécial pour des actes en Sierra Leone, procès commencé en 2007, achevé en mars 2011 dont on attend le verdict). Le procureur argentin Luis Moreno-Ocampo qui termine en juin prochain son mandat de neuf ans (son successeur sera une Africaine) ne peut pas se prévaloir d’un impressionnant bilan. Il a poursuivi le président en exercice du Soudan sans résultat, a échoué à s’accaparer le fils Kadhafi, qui sera en principe jugé en Libye, et il attend de savoir si les juges décideront d’inculper les six prévenus qu’il a sélectionnés au Kenya pour le même motif qu’en Côte d‘Ivoire, à savoir les violences post-électorales après les élections présidentielles de décembre 2007 où le sortant s’était proclamé réélu alors qu’il avait été battu. Mais au Kenya, comme au Zimbabwe de Mugabe, qui avait connu le même rapt des élections, vainqueur et vaincu ont décidé de cohabiter dans un gouvernement d’union.
Deux poids deux mesures, donc. Non pas, comme accusent certains, parce que l’on poursuit seulement des Africains et qu’on laisse tranquilles des délinquants « blancs », européens, arabes ou centraméricains. Mais parce que l’on s’ingère dans le jeu politique interne pour les uns contre les autres. Au Kenya et en Côte d’Ivoire, le temps de la justice n’est pas celui de la démocratie. La durée d’un voire de deux mandats politiques ne permet pas de faire sa part à la valeur éducative et surtout à la force préventive de la justice internationale. On n’a encore rien vu et on a déjà tout oublié. Résultat nul.