Les périodes électorales ont le mérite d’éveiller l’intelligence et la sensibilité aux grandes questions civiques. Je ne parle pas des militants qui vivent souvent des semaines éreintantes où ils donnent le maximum d’eux-mêmes. C’est l’ensemble de la population qui se trouve éveillé à la chose publique, ne serait-ce qu’à cause de l’écho exceptionnel que le système médiatique, et singulièrement la télévision, donne au débat public. Je le constate autour de moi. Beaucoup qui, sans être indifférents suivent habituellement avec une certaine distance la politique, en viennent à se passionner. Même les petits enfants indiquent qu’ils sont devenus familiers des candidats en vous récitant la liste des noms et en indiquant leurs préférences.
Il y a donc incontestablement du bien dans cet élargissement de la conscience. Cela me rappelle encore une formule d’André Malraux : transformer en conscience la plus large expérience possible. L’écrivain en faisait un précepte d’art de vivre. La participation par le suffrage permet ainsi l’accès au souci du bien commun et nul ne pourra s’en offusquer. Le vrai problème consiste à bien discerner la nature d’un tel souci. Tout ne se ramène pas aux affaires de l’État, pour lesquelles la démocratie représentative délègue des responsables qui y travaillent à plein temps. Il y a aussi la vie quotidienne, qui se décline dans la famille, le voisinage, le travail, les loisirs, la pratique religieuse… Et c’est tout de même là que se déroule l’essentiel de l’existence. Il y a péril en la demeure lorsque tout se trouve transféré au sommet, comme si l’État devait conquérir le maximum d’espace possible.
Contre le totalitarisme que la grande Simone Weil appelait « le gros animal », il y a le déploiement concret des libertés, ce que certains appellent aussi la société civile. L’équilibre est certes difficile à trouver entre ce qui relève de la base et du sommet, et qui devrait répondre à ce qu’on appelle le principe de subsidiarité. Les citoyens ne doivent pas être des administrés, ils doivent affirmer leur dignité et leurs principes qu’il n’appartient pas à l’État de définir mais qu’il se doit de respecter. C’est pourquoi je m’inquiète au plus haut point que certains veuillent brutaliser nos consciences, en nous imposant ce qui ne relève pas de l’autorité politique, à moins que celle-ci ne se transforme dans le gros animal fustigé par la philosophe de La pesanteur et la grâce.