Au moment où les média proclament le pape François l’homme le plus influent au monde, les Presses universitaires de France publient opportunément une « géopolitique du Vatican » sous-titrée « la puissance de l’influence », par Jean-Baptiste Noé.
L’exercice avait été communément appliqué au pontificat de Jean-Paul II à cause de son rôle dans la guerre froide et la stratégie post-communiste. Que vaut-il à l’aune de l’actuel occupant du Saint-Siège ? Partant de Léon XIII, l’auteur montre bien que la diplomatie pontificale s’inscrit dans une parfaite continuité. Les observateurs extérieurs ont pu être frappés par les initiatives prises par le premier pape polonais élu en 1978. Le Vatican reste le Vatican. Pourquoi y aurait-il aujourd’hui un retour de la diplomatie pontificale et en quoi la géopolitique permettrait-elle de l’expliquer ?
L’originalité de ce petit ouvrage fort pédagogique, bien écrit, empathique, est de prendre ses distances avec la commune explication de nature sociologique sur « l’universalisation » de l’Eglise catholique, le renversement démographique du nombre de fidèles, désormais plus nombreux au Sud qu’au Nord, l’élection d’un pape sud-américain. Comme si l’Eglise catholique serait la première à subir ce remplacement de population prophétisé par le mouvement identitaire. D’un côté, J-B. Noé, se plaçant sous l’autorité du Père de Lubac, a raison de préciser en quel sens l’Eglise catholique est universelle dès l’origine et sans égard à sa présence à travers le monde : « Essentiellement, la catholicité n’est pas affaire de géographie ni de chiffres. S’il est vrai qu’elle doit nécessairement s’épanouir dans l’espace et se manifester aux yeux de tous, elle n’est pourtant pas de nature matérielle mais spirituelle. » (de Lubac. Catholicisme. Les aspects sociaux du dogme, cité par Noé p. 183). On est en droit de se demander ici : pourquoi donc une géopolitique ? La réponse de l’auteur est surprenante car de l’autre côté il s’inscrit complètement à faux contre l’idée que l’avenir de l’Eglise soit en Afrique, en Amérique du sud ou en Asie. Il n’en démord pas : l’Eglise est romaine ; son avenir est en Europe ou ne sera pas. Pourquoi ? Parce que, selon lui, le Christianisme est historique. Noé dixit : tout argentin qu’il soit, Bergoglio est italien, il est latin, il est romain 1.
Le problème de l’approche géopolitique s’agissant de l’Eglise est de privilégier l’institution, la structure, le matériel. Noé est parmi tous ceux qui s’y sont essayé celui qui est le plus ouvert au spirituel, au religieux, à ce qu’il appelle (il faut arriver à la page 207) « le mystère de la puissance vaticane » : « c’est que le Vatican tire sa force de la foi et de la transcendance. » Il fait ainsi mieux percevoir l’absence, la faille dans le raisonnement. La pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : la foi est au principe de l’institution et non l’inverse. Noé, sans doute pressé par l’éditeur, a dû abandonner le titre qui lui semble le plus exact : « géopolitique du Saint-Siège » pour ce « géopolitique du Vatican » nécessairement réducteur. Le Pape n’est pas puissant ou influent parce que chef d’Etat du plus petit Etat au monde. Le Vatican n’a d’existence que comme Siège apostolique du Pape. Le titre encore plus exact aurait d’ailleurs été « géopolitique de la Papauté ». En ciblant l’Etat, on regarde par le mauvais bout de la lorgnette. Par le bon bout, vu du Vatican, on verrait l’immense territoire, le territoire infini, l’empire du Ciel ! Le Pape, successeur de saint Pierre, vicaire du Christ, choisi et guidé par l’Esprit-Saint. Si l’on voulait figurer l’édifice par une pyramide, ce serait une pyramide qui reposerait sur sa pointe. Cette pointe s’appelle la foi et sa première modalité d’action la prière. Noé signale bien en passant « la diplomatie de la prière » à laquelle François a eu recours le 7 novembre 2013 pour écarter les frappes contre la Syrie et le 6 juin 2014 pour faire prier ensemble Israël et Palestine à travers leurs chefs d’Etat respectifs suite à son pèlerinage en Terre sainte. Mais c’est tous les jours que le Pape prie et qu’il appelle les fidèles à prier pour lui. Si géopolitique il y a, le ministère de la prière en est au principe. Ce ne sera jamais une idéologie comme le redoute l’auteur, une foi sortie de son contexte historique et « culturel », c’est le ministère de la Grâce.