Une question pour commencer : qui a écrit « l’enseignement moral est devenu trop négatif; ces remarques cherchent à rendre justice à la majesté vivante, la noblesse, la beauté du bien. Nous avons trop tendance à considérer l’éthique comme extérieure à l’homme rebelle; voyons plutôt que c’est le bien qui rend l’homme vraiment humain.» ?
Avec tout le caquetage des médias, vous penserez peut-être que c’est le pape François. Si vous creusez un peu l’enseignement récent de l’Église, vous croirez que ce pourrait bien être Jean-Paul II ou Benoît XVI, car tous deux, dans la lignée de nombreux autres au cours du vingtième siècle, ont adopté ces prémisses pour éviter que la Foi soit réduite à un simple moralisme.
Toute une école moderne a exploré les « Sources of Christian Ethics » (Sources d’éthique chrétienne) — titre d’un ouvrage essentiel de Servais Pinckaers, O.P. . Il a développé des vues de toutes époques et les a présentées sous un jour nouveau pour montrer que les règles sont nécessaires, mais pas seulement en tant que telles. Leur fonction est de guider vers le bonheur, au sens profond du terme, sorte d’épanouissement humain apaisant le cœur inassouvi et amenant paix et joie au sein des communautés humaines.
La prochaine fois que, catholique ou non, quelqu’un proclame que S.S.
François a entamé une nouvelle approche mettant, à l’inverse de ses prédécesseurs, les règles au second plan, vous pouvez affirmer que vous entendez de pures billevesées. S.S. François a innové, mais certes pas en ce domaine.
La citation ci-dessus est de Romano Guardini, vers le début de son excellent livre Learning the Virtues That Lead You to God (Apprendre les vertus qui mènent à Dieu), qui vient de paraître dans une très belle réédition. Guardini (1885 – 1968) était un guide spirituel pour Joseph Ratzinger, spécialement en matière de liturgie, mais il a de plus fortement marqué l’Église avant Vatican II.
Quand on oppose à présent herméneutique de continuité à herméneutique de rupture on ne sait pas toujours vraiment de quoi on parle. Une tradition accueillie à bras ouverts, et reçue, apporte une évolution continue face aux temps présents. Une tradition incapable de faire face à une nouvelle situation est une tradition morte. Une totale rupture est, presque par définition, la fin de cette tradition et le début de quelque chose de nouveau. Ni la simple répétition ni la rupture totale ne peuvent être comprises dans la tradition.
À présent on réfléchit à ces questions en termes de comparaison du pape avec son prédécesseur, si la liturgie est ou non réformée, ou quel enseignement recevront les futurs prêtres et théologiens dans le domaine de la doctrine catholique et de la tradition.
Mais il est un côté populaire, quasi-populiste, de la tradition qui passe presque inaperçu. Probablement plus de catholiques ont été perturbés par les réformes radicales de la liturgie dans les années 1960 – 1970 que par n’importe quel autre changement dans l’Église. Et sur un plan encore plus personnel les dévotions particulières et les lectures spirituelles de nombreuses couches de population ont simplement disparu. Le catholique moyen, au fil des siècles — et jusque récemment — connaissait les Confessions de St. Augustin, l’Imitation de Jésus-Christ, l’Introduction à la vie dévote de St. François de Sales, les écrits spirituels de Ste Thérèse d’Avila et de St. Jean de la Croix.
Le Seigneur (Méditations sur la personne et la vie de Jésus-Christ) de Guardini entre dans cette catégorie, et j’en relis de bons passage à Pâques, chaque année. Mais n’importe quel autre de ses livres — « The End of the Modern World » (La fin des Temps modernes), ses commentaires sur Rilke et Dante, et bien d’autres, méritent une (re)lecture profitable. Et désormais, celui que je ne connaissais pas encore, ce livre sur les vertus.
Le maître pré-Vatican II de la tradition de vertu est Josef Pieper (1904 – 1997), dont vous devriez vous procurer « Four Cardinal Virtues » (Quatre vertus cardinales) pour une lecture immédiate. Comme Guardini, Pieper combine merveilleusement la culture allemande et la manière incomparable d’un enseignant consommé. Guardini, dont le nom est visiblement italien, est né en Italie du Nord (Vérone) mais a grandi en Allemagne et conjugue les qualités des deux pays.
Là où Pieper pioche dans Thomas d’Aquin pour un traitement magistral des vertus cardinales, Guardini préfère présenter la question d’une façon moins systématique, mais tout autant profonde et humaine.
Les premiers chapitres débutent comme des conférences, mais sont visiblement guidés par un plan ambitieux. Il traite de la vérité, la soumission, la patience, la justice le respect, la loyauté, le désintéressement, l’ascétisme, le courage, la gentillesse, la compréhension, la courtoisie, la gratitude, l’altruisme, la reconnaissance, le silence, et la justice devant Dieu, et bien d’autres questions pendantes.
Parmi les nombreux points forts de cette approche, il sait s’emparer de ce qui pourrait sembler impossible sur des questions de morale ou de formation du caractère, et en tirer les leçons s’intégrant dans la vie de l’homme. Il est fermement attaché au contenu de la morale et des doctrines même en disant, par exemple dans son chapitre sur la vérité :
« Nous avons certainement remarqué qu’il n’y a pas dans la nature de son « absolu », il y a toujours des harmoniques formant une note avec son timbre. La couleur pure n’existe pas, c’est toujours un mélange. De même une vérité « toute nue » ne peut exister. Elle serait dure et inique. Ce qui existe, c’est une vérité vivante, pénétrée et retouchée par d’autres éléments issus du bien. »
Vu par d’autres, ce pourrait être un raccourci vers le relativisme ou la complaisance. Chez Guardini, remarquez qu’il faut des éléments tirés du « bien » pour obtenir une solide vertu de vérité.
C’est peut-être d’avoir lu Guardini des années durant qui m’a rendu sensible à la voix bien-aimée du Maître. Peut-être pas. Il dit des choses sur la formation du caractère à la vertu qu’on ne trouverait guère ailleurs. C’est précisément par sa tournure d’sprit sensée, humaine, solide, que la flamme vivante est transmise — et pourrait être trouvée encore dans cette nouvelle édition — pour adoucir les si nombreux changements brutaux survenus dans l’Église en un demi-siècle. Il transmet les vieilles leçons dans de nouvelles outres.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-continuity-of-virtue.html
« Apprendre les vertus qui mènent à Dieu. » 1
Pour aller plus loin :
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
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